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Femu a Corsica : "Un riacquistu pour un nouveau modèle économique basé sur l’entreprise et l’innovation"


Nicole Mari le Jeudi 29 Octobre 2015 à 23:25

U riacquistu economicu et suciale pour réamorcer l’économie insulaire en pleine crise et lutter contre les inégalités, c’est le projet du mouvement nationaliste modéré, Femu a Corsica, candidat aux élections territoriales de décembre prochain. L’enjeu est de passer du modèle actuel, basé sur une économie de rente, à un modèle de développement, basé sur une économie de production, d’un système pervers et obsolète, ultradépendant du BTP, du tourisme saisonnier et de la manne publique, à un système ouvert sur l’entreprise, l’innovation, la croissance et l’emploi. Explications, pour Corse Net Infos, de Marie-Antoinette Maupertuis, économiste, chercheuse primée, ancienne attachée parlementaire à Bruxelles, professeur d’économie à la faculté de Corte, et numéro deux sur la liste de Gilles Simeoni.



Marie-Antoinette Maupertuis, économiste, chercheuse primée, ancienne attachée parlementaire à Bruxelles, professeur d’économie à la faculté de Corte, et numéro deux sur la liste de Gilles Simeoni.
Marie-Antoinette Maupertuis, économiste, chercheuse primée, ancienne attachée parlementaire à Bruxelles, professeur d’économie à la faculté de Corte, et numéro deux sur la liste de Gilles Simeoni.
- Comment qualifiez-vous l’état de l’économie corse, aujourd’hui ?
- La Corse a connu, dans les années 2000, plusieurs années de croissance économique de nature très quantitative, c’est-à-dire axée sur des facteurs exogènes comme la démographie avec une population venant, majoritairement, de l’extérieur. Cette croissance était basée, essentiellement, sur l’économie résidentielle et le tourisme. Notre île accuse, aujourd’hui, un retour de cycle avec une déprise qui s’installe, un taux de chômage à 11%, un BTP en crise depuis l’explosion de la bulle immobilière, des entreprises en difficulté… Lorsque le BTP et le tourisme sont touchés, les entreprises ont des difficultés de trésorerie et, donc, n’investissent pas et ne créent pas d’emploi. La Corse a une économie de rente qui se contente d’absorber des transferts publics très importants.
 
- Ces transferts financiers sont-ils en cause ?
- Non ! Ces transferts, qu’ils viennent de l’Europe ou de l’Etat, comme le PEI (Plan exceptionnel d’investissement), sont tout à fait normaux. La Corse en a besoin. Elle n’est pas la seule à en disposer. Mais s’il n’y a pas d’économie productive, la consommation n’a pas, à l’échelle locale, l’effet multiplicateur qu’elle devrait avoir et ne fait que doper les importations. Donc, le modèle économique corse, basé sur la rente et les transferts publics, conduit à un déséquilibre très important de notre balance commerciale, près de 25% du PIB (Produit intérieur brut), et, parallèlement, à un système politique basé sur la redistribution de cette rente par l’assistanat et le clientélisme.
 
- Est-ce ce système qui a généré ces effets pervers ?
- Bien sûr ! Ce système était, peut-être, justifié à la base au titre du rattrapage historique et du retard de développement. La Corse avait besoin de moyens et en a toujours besoin. Le problème, c’est que ces moyens n’ont pas toujours été utilisés à bon escient. Après 30 ans de fonctionnement de ce système, on s’aperçoit que la Corse n’a pas capitalisé sur toutes les aides qu’elle a reçues. Des aides qui ont, paradoxalement, généré des effets pervers.
 
- Femu a Corsica propose un riacquistu economicu. Qu’entendez-vous par là ?
- Dans les années 70, plus personne ne parlait de la langue et de l’identité corses. La culture corse était réduite au folklore. Il y a eu le riacquistu culturale, qu’on a plus simplement appelé le « riacquistu ». Aujourd’hui, il s’agit, pour la société corse, de se réapproprier pleinement les moyens d’avoir une destinée économique. On ne peut pas penser les institutions, les réformes institutionnelles, sans réfléchir économiquement à la soutenabilité du système existant. On a besoin d’une stratégie sur le long terme, clairement définie et proactive.
 
- Sur quels axes ?
- Sur plusieurs axes. D’abord, il faut mettre les entreprises et l’emploi au centre du dispositif. Sans entreprise, il n’y a pas d’emploi ! Il faut mettre en place des mesures d’urgences, des mesures contracycliques à deux ans pour enrayer la déprime. Par exemple, un fonds de garantie pour les trésoreries des entreprises et un accompagnement dans le montage des dispositifs d’aide avec une coordination de tous les partenaires sociaux et de tous les services concernés. C’est très important. Ensuite, il faut des mesures fiscales de moyen terme. La Corse est soumise à une concurrence très forte. Depuis le regroupement des régions, elle est devenue la plus petite des régions de France et a, donc, intérêt à posséder un statut dérogatoire en matière de fiscalité. Si nous n’arrivons pas à obtenir ce statut fiscal particulier, il faut, dès la loi de finances 2017, essayer d’obtenir un certain nombre de garanties fiscales.
 
- Lesquelles ? Une zone franche, par exemple ?
- Oui ! Des exonérations et une zone franche pour les zones rurales et de montagne. L’enjeu de cette zone franche est d’agir sur l’aménagement du territoire pour éviter une concentration de population et d’entreprises dans les villes et sur le littoral. Tous les moyens, actuellement disponibles, doivent être mobilisés, notamment les dispositifs de la banque d’investissements, la BPI France, qui sont insuffisamment utilisés. Il faut réfléchir, aussi, à d’autres dispositifs de consolidation des entreprises. A plus long terme, et ça se prépare dès la prochaine mandature, ne plus investir uniquement sur le tourisme. S’il génère du chiffre d’affaires et des bénéfices, le tourisme ne peut se développer au détriment d’autres activités. Il doit l’être de manière très professionnelle et dans une perspective de durabilité, c’est-à-dire soucieux des équilibres, à la fois, environnementaux et sociaux.
 
- Prônez-vous un tourisme éloigné du tourisme de masse et des low costs ?
- Oui ! Le problème n’est pas tant les low costs, mais un tourisme de masse qui ne rapporte rien à la fin la saison et qui, donc, ne sert à rien. Il attire du monde pour rien, crée des encombrements, des nuisances, des problèmes environnementaux… pour rien ! En plus, il génère une masse de déchets à gérer, qui coûte à la collectivité. Il faut un tourisme rentable, maîtrisé, équilibré sur le plan territorial et qui permet d’asseoir des trajectoires de croissance durable. Concomitamment au tourisme, d’autres activités sont porteuses de productivité, de bénéfices, de création de richesses et de valeur ajoutée. Des opérations de très bon augure sont menées actuellement en Corse, notamment sur le numérique, la croissance verte, la transition énergétique et les énergies renouvelables. Nous sommes dans la dernière phase d’obtention de moyens européens importants. Même s’ils ont diminué, c’est la dernière manne que nous aurons en termes de financement public. Il faut l’utiliser et la cibler sur ces secteurs d’activités fortement créateurs de valeur ajoutée.
 
- Vous proposez un plan corse pour l’innovation. Cette manne servirait-elle à le financer ?
- Tout à fait ! Les moyens existent. En ce moment même, à l’Assemblée, sont discutées les aides communautaires en matière d’innovation à travers, notamment, les fonds structurels. Des fonds européens seront, donc, dédiés à l’innovation technologique, commerciale, marchande ou sociale. Nous devons absolument les mobiliser parce que, de toute façon, pour créer un nouveau modèle économique, il faudra innover. La croissance de long terme, quelque soit l’économie, est basée sur l’innovation.
 
- Privilégiez-vous l’emploi privé par rapport à l’emploi public ?
- Non ! Je dis qu’aujourd’hui, les perspectives d’emplois publics sont limitées. Il faut bien se rendre à l’évidence : le modèle, sur lequel on a vécu et même bien vécu, qui a généré des effets pervers, rencontre des limites. Désormais, il y aura beaucoup moins de création d’emplois publics qu’il n’y en a eu dans les 40 dernières années. La seule perspective est la croissance de l’emploi privé. Pour cela, il faut des entreprises. D’ici à dix ans, une entreprise corse sur trois va fermer parce que, lorsque les chefs d’entreprise partiront à la retraite, elles ne trouveront pas de repreneurs. Il faut, par conséquent, anticiper ses reprises et empêcher qu’un patrimoine économique et des savoir-faire disparaissent. Il est impératif de considérer que le Riacquistu economicu et suciale passe par la création d’entreprises, la stabilisation d’entreprises en activité et la reprise d’entreprises saines qui sont en capacité d’élaborer des stratégies et d’obtenir des marchés internationaux.
 
- Femu a Corsica s’est battu pour la sanctuarisation des terres agricoles dans le PADDUC. Quelle place accordez-vous à l’agriculture dans ce modèle nouveau ?
- Une place, d’abord, économique. Même si l’agriculture représente, aujourd’hui, un pourcentage assez faible du PIB, sa valeur ajoutée est essentielle. Elle pourrait le devenir de plus en plus dans le cadre, notamment, d’une meilleure intégration entre tourisme et agriculture. Il ne faut pas oublier que les seuls produits, que nous exportons, sont des produits agroalimentaires de qualité. Nous devons privilégier ces exportations et tendre vers l’autosuffisance alimentaire.
 
- Est-elle atteignable ?
- L’autosuffisance est un bien grand mot. Personne, aujourd’hui, n’est autosuffisant sur le plan alimentaire, mais je ne vois pas pourquoi on importerait des salades ! Ecologiquement, en limitant nos importations, nous réduirons notre empreinte carbone. Ensuite, l’agriculture est fondamentale parce que les agriculteurs sont les jardiniers du rural. Un territoire, qui n’est plus cultivé, est un territoire à l’abandon. Enfin, à chaque fois qu’on met une terre en culture, on la préserve des constructions, de l’anthropisation, de l’urbanisation, et on crée des trames vertes dans le paysage. Cela me paraît plutôt positif, y compris d’un point de vue touristique.
 
- Quelle politique préconisez-vous sur les transports maritimes ?
- Personne ne peut pas imaginer une île sans transports maritimes. Personne ne peut imaginer un système économique sans système de transports performant. Enfin, personne ne peut imaginer que, dans quelques semaines, les salariés corses de la SNCM seront au chômage. Concernant la SNCM, aucune décision judiciaire n’a encore été prise. La position de Femu a Corsica est très claire. Lors de cette mandature, nous avons défendu l’idée d’une compagnie régionale, type SEM. Cette option n’a pas été retenue pour des raisons, à la fois, politiques et économiques. Il est essentiel pour nous que le choix, qui sera fait entre les quatre offres de reprises de la SNCM qui sont sur la table, respecte, déjà, les équilibres sociaux et une saine concurrence entre les entreprises existantes sur le marché. Il est fondamental que la Délégation de service public (DSP) soit très solide, mais aussi que l’entreprise, qui sera choisie, soit mise sous suivi de ses performances, de son efficacité et de son respect de l’environnement.
 
- Au vu de la crise que subit la Corse, l’économie sera-t-elle, selon vous, l’enjeu premier de cette élection ?
- Oui ! On ne peut pas résumer l’enjeu de la campagne électorale à la mise en place de la collectivité unique. Ne parler aux Corses que d’une réforme de plus ne leur donne pas beaucoup d’espoir. Ce ne sont pas les réformes institutionnelles qui construiront, seules, l’avenir. Toutes les îles, de par le monde, qui ont défini une trajectoire de développement durable, ont pensé, en même temps, les institutions, et le socle de valeurs sur lequel elles sont assises, et l’économie. Les deux vont de pair. Ce n’est pas seulement une question conjoncturelle. On ne parle pas d’économie uniquement parce que c’est la crise. On parle d’économie parce qu’il faut un modèle économique à la Corse, un modèle qu’aujourd’hui, elle n’a pas !
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Les candidats de Femu à Corsica présentent leur programme économique.
Les candidats de Femu à Corsica présentent leur programme économique.