- Pourquoi avez-vous rencontré le procureur général ?
- Pour l’interpeller sur le climat de tensions qui s’enchainent. D’abord, la multiplication, depuis plusieurs mois, des arrestations, des interpellations et des gardes-à-vue concernant des jeunes, dont la plus grande partie n’a jamais eu maille à partir avec la police et la justice. Voire même des détentions provisoires de mineurs. Nous avons rappelé la garde-à-vue récente d’un mineur de 14 ans qui a suscité de la part de son établissement scolaire une réaction vive. Nous avons, ensuite, évoqué le positionnement régulier, à l’entrée d’un établissement à Corte, de forces de l’ordre, ce qui crée des situations de tension. La première rencontre des jeunes avec la justice se fait dans des conditions complètement contestables. Tout cela est très inquiétant ! Nous avons fait remonter l’incompréhension de la jeunesse.
- De quelle manière ?
- Nous avons dit que cette incompréhension creusait le fossé entre la jeunesse et les institutions concernées. Nous avons longuement insisté sur un contexte inquiétant causé par la conjonction de deux contestations vives contre, à la fois, le prélèvement ADN et le Fijait (Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes). Des procédures sont en cours contre dix jeunes qui ont été mis en garde-à-vue, à qui on a demandé le prélèvement ADN et qui l’ont refusé. C’est la conséquence directe de la multiplicité des gardes-à-vue ! Sans cette multiplicité, il n’y aurait pas eu multiplicité de demande de prélèvement ADN, donc multiplicité de refus et multiplicité de procès ! A cela s’ajoutent quatre procès entre octobre et novembre de personnes qui refusent de répondre aux obligations du Fijait. Nous sommes très inquiets, tout en étant conscients que la justice est dans son rôle qui est de faire respecter la loi.
- Quel problème, selon vous, pose le Fijait ?
- Le problème n’est pas judiciaire, mais politique ! C’est le problème d’une loi qui s’inscrit dans d’autres lois dont les répercutions absolument inacceptables aggravent le climat social. Nous avons dit au procureur général que nous comprenions tout à fait l’indignation des députés nationalistes lors du débat sur la nouvelle loi antiterroriste. Cet enchainement de lois est fait pour lutter contre un terrorisme responsable de massacre de masse, d’actes de barbarie et de fanatisme religieux… les Corses ne peuvent pas être confondus avec ces gens-là ! La LDH a toujours été opposée à toute action clandestine, mais on ne peut pas comparer ces actions avec les actions des djihadistes. On n’est pas sur des fanatismes religieux ! On n’est pas sur des massacres de masse ! On n’est pas sur un mépris total de la vie ! Le Fijait permet cette confusion. La loi inclut des militants nationalistes qui ont purgé leur peine. Nous avons beaucoup insisté sur le mécanisme de rétroactivité qui est fondamentalement opposé aux principes de l’Etat de droit.
- Concernant la loi antiterroriste, avez-vous apporté votre aide aux trois députés nationalistes ?
- Oui ! Au mois de juin, la LDH avait envoyé une lettre aux quatre députés de Corse pour les alerter sur le danger de cette loi. Lorsque s’est enclenché le débat à l’Assemblée nationale, les trois députés nationalistes ont sollicité la LDH pour lui demander son avis. Nous leur avons envoyé un argumentaire en concluant clairement que cette loi n’était pas, pour nous, à-priori amendable et qu’il ne fallait pas la voter. L’échange a été intéressant. La LDH a apprécié que les trois députés nationalistes s’en soient nourris. Elle se félicite qu’ils aient voté contre et qu’aucun député corse n’a voté la loi.
- Qu’est-ce que la LDH reproche à cette loi ?
- Dans toute loi d’exception, - et celle-ci est particulièrement grave puisqu’elle consiste à banaliser l’état d’urgence dans le droit commun -, deux dimensions jouent. D’un côté, on accorde systématiquement un pouvoir exorbitant à l’administration et à l’Exécutif au détriment de l’autorité judiciaire qui est tenue à distance. On marginalise le juge, garant des libertés. De l’autre côté, cette loi est construite sur des concepts complètement flous qui sont la porte ouverte à l’arbitraire. On met en place un dispositif législatif qui est basé sur l’insécurité judiciaire de par les concepts qu’il utilise.
- Quels concepts ?
- Des concepts qui consistent à dire qu’à partir simplement de comportements qui seraient suspects, on pourra, par exemple, tenir en résidence des personnes ou leur interdire l’accès à certains lieux. Or, dans un Etat de droit, la justice cherche les responsabilités sur des faits commis et juge sur des éléments précis et probants. Là, on dit : cette personne a un comportement et des relations qui nous semblent suspects, elle est, donc, forcément dangereuse. Nous avons une mémoire de cela en Corse !
- Dans un Etat de droit, le droit prime sur l’Etat. Avec cette loi, est-ce l’Etat qui prime sur le droit ?
- Exactement ! On est dans la construction d’un Etat de police et, donc, on tourne le dos à l’Etat de droit. Quand on donne des pouvoirs exorbitants au ministre de l’intérieur et aux préfets, qu’on confond police administrative et police judiciaire, on confond une police qui doit maintenir l’ordre avec une police qui, sous l’autorité d’un juge, récolte des éléments d’élucidation d’un crime, et cherche la vérité et les responsabilités. On confond les deux polices au détriment de celle placée sous le contrôle d’un juge. C’est inacceptable ! Il faut que les gens le comprennent ! Un gouvernement par la peur a toujours été dangereux pour les libertés et la démocratie ! Il ne faut pas perdre le cap de l’Etat de droit ! Le juge doit être prédominant sur tout autre chose. Les concepts flous, c’est extrêmement grave ! On en a l’habitude en Corse !
- Pouvez-vous préciser ?
- Oui ! On rentre dans une société du soupçon, voire même dans un Etat du soupçon. Il ne faut pas oublier ce que la Corse a vécu, au lendemain de l’assassinat du préfet Claude Erignac. Si une personne en côtoyait une autre plus ou moins suspectée de quelque chose, de fait tout son réseau d’amis et de famille était suspecté. Des familles entières ont été complètement prises dans la mécanisme de l’anti-terrorisme, certaines d’entre-elles ont même été détruites. Qu’est-ce cela signifie : « des comportements qui poseraient problème » ? Un soupçon juste étayé par les notes blanches des services de renseignement dont il est très difficile de valider les informations ! Ce travail de police de renseignement sert à mettre en place des procédures particulièrement attentatoires au droit. Par exemple : la rétention administrative, les atteintes à la liberté d’aller et venir, l’accès à certaines zones géographiques, la zone géographique elle-même, tout cela est très mal défini dans le temps. Ces concepts flous amènent une logique de soupçon sur quasiment tout le monde !
- Que vous a répondu le procureur ?
- Il a été très à l’écoute. Il a partagé notre inquiétude vis-à-vis de certaines choses qui se passent dans la société corse. Il a admis que le climat était lourd. Ce qui est certain, c’est qu’alors que notre lettre initiale était très critique, il nous a rencontré, il a dialogué avec nous, il a envie de mieux comprendre et de ne pas rentrer dans un processus qui enchaînerait plus de tensions. Il considère que lorsque la LDH demande à le voir, elle est dans son mandat. Sans confondre les responsabilités, nous avons rencontré, il y a quelques semaines, le Préfet de Corse sur les mêmes problématiques. Nous interpellons les représentants de l’Etat, en espérant qu’ils fassent remonter comme il se doit la position de la LDH, qui est, en général, une interlocutrice entendue par les pouvoirs publics. Il faut espérer qu’aujourd’hui, elle le sera !
Propos recueillis par Nicole MARI.
- Pour l’interpeller sur le climat de tensions qui s’enchainent. D’abord, la multiplication, depuis plusieurs mois, des arrestations, des interpellations et des gardes-à-vue concernant des jeunes, dont la plus grande partie n’a jamais eu maille à partir avec la police et la justice. Voire même des détentions provisoires de mineurs. Nous avons rappelé la garde-à-vue récente d’un mineur de 14 ans qui a suscité de la part de son établissement scolaire une réaction vive. Nous avons, ensuite, évoqué le positionnement régulier, à l’entrée d’un établissement à Corte, de forces de l’ordre, ce qui crée des situations de tension. La première rencontre des jeunes avec la justice se fait dans des conditions complètement contestables. Tout cela est très inquiétant ! Nous avons fait remonter l’incompréhension de la jeunesse.
- De quelle manière ?
- Nous avons dit que cette incompréhension creusait le fossé entre la jeunesse et les institutions concernées. Nous avons longuement insisté sur un contexte inquiétant causé par la conjonction de deux contestations vives contre, à la fois, le prélèvement ADN et le Fijait (Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes). Des procédures sont en cours contre dix jeunes qui ont été mis en garde-à-vue, à qui on a demandé le prélèvement ADN et qui l’ont refusé. C’est la conséquence directe de la multiplicité des gardes-à-vue ! Sans cette multiplicité, il n’y aurait pas eu multiplicité de demande de prélèvement ADN, donc multiplicité de refus et multiplicité de procès ! A cela s’ajoutent quatre procès entre octobre et novembre de personnes qui refusent de répondre aux obligations du Fijait. Nous sommes très inquiets, tout en étant conscients que la justice est dans son rôle qui est de faire respecter la loi.
- Quel problème, selon vous, pose le Fijait ?
- Le problème n’est pas judiciaire, mais politique ! C’est le problème d’une loi qui s’inscrit dans d’autres lois dont les répercutions absolument inacceptables aggravent le climat social. Nous avons dit au procureur général que nous comprenions tout à fait l’indignation des députés nationalistes lors du débat sur la nouvelle loi antiterroriste. Cet enchainement de lois est fait pour lutter contre un terrorisme responsable de massacre de masse, d’actes de barbarie et de fanatisme religieux… les Corses ne peuvent pas être confondus avec ces gens-là ! La LDH a toujours été opposée à toute action clandestine, mais on ne peut pas comparer ces actions avec les actions des djihadistes. On n’est pas sur des fanatismes religieux ! On n’est pas sur des massacres de masse ! On n’est pas sur un mépris total de la vie ! Le Fijait permet cette confusion. La loi inclut des militants nationalistes qui ont purgé leur peine. Nous avons beaucoup insisté sur le mécanisme de rétroactivité qui est fondamentalement opposé aux principes de l’Etat de droit.
- Concernant la loi antiterroriste, avez-vous apporté votre aide aux trois députés nationalistes ?
- Oui ! Au mois de juin, la LDH avait envoyé une lettre aux quatre députés de Corse pour les alerter sur le danger de cette loi. Lorsque s’est enclenché le débat à l’Assemblée nationale, les trois députés nationalistes ont sollicité la LDH pour lui demander son avis. Nous leur avons envoyé un argumentaire en concluant clairement que cette loi n’était pas, pour nous, à-priori amendable et qu’il ne fallait pas la voter. L’échange a été intéressant. La LDH a apprécié que les trois députés nationalistes s’en soient nourris. Elle se félicite qu’ils aient voté contre et qu’aucun député corse n’a voté la loi.
- Qu’est-ce que la LDH reproche à cette loi ?
- Dans toute loi d’exception, - et celle-ci est particulièrement grave puisqu’elle consiste à banaliser l’état d’urgence dans le droit commun -, deux dimensions jouent. D’un côté, on accorde systématiquement un pouvoir exorbitant à l’administration et à l’Exécutif au détriment de l’autorité judiciaire qui est tenue à distance. On marginalise le juge, garant des libertés. De l’autre côté, cette loi est construite sur des concepts complètement flous qui sont la porte ouverte à l’arbitraire. On met en place un dispositif législatif qui est basé sur l’insécurité judiciaire de par les concepts qu’il utilise.
- Quels concepts ?
- Des concepts qui consistent à dire qu’à partir simplement de comportements qui seraient suspects, on pourra, par exemple, tenir en résidence des personnes ou leur interdire l’accès à certains lieux. Or, dans un Etat de droit, la justice cherche les responsabilités sur des faits commis et juge sur des éléments précis et probants. Là, on dit : cette personne a un comportement et des relations qui nous semblent suspects, elle est, donc, forcément dangereuse. Nous avons une mémoire de cela en Corse !
- Dans un Etat de droit, le droit prime sur l’Etat. Avec cette loi, est-ce l’Etat qui prime sur le droit ?
- Exactement ! On est dans la construction d’un Etat de police et, donc, on tourne le dos à l’Etat de droit. Quand on donne des pouvoirs exorbitants au ministre de l’intérieur et aux préfets, qu’on confond police administrative et police judiciaire, on confond une police qui doit maintenir l’ordre avec une police qui, sous l’autorité d’un juge, récolte des éléments d’élucidation d’un crime, et cherche la vérité et les responsabilités. On confond les deux polices au détriment de celle placée sous le contrôle d’un juge. C’est inacceptable ! Il faut que les gens le comprennent ! Un gouvernement par la peur a toujours été dangereux pour les libertés et la démocratie ! Il ne faut pas perdre le cap de l’Etat de droit ! Le juge doit être prédominant sur tout autre chose. Les concepts flous, c’est extrêmement grave ! On en a l’habitude en Corse !
- Pouvez-vous préciser ?
- Oui ! On rentre dans une société du soupçon, voire même dans un Etat du soupçon. Il ne faut pas oublier ce que la Corse a vécu, au lendemain de l’assassinat du préfet Claude Erignac. Si une personne en côtoyait une autre plus ou moins suspectée de quelque chose, de fait tout son réseau d’amis et de famille était suspecté. Des familles entières ont été complètement prises dans la mécanisme de l’anti-terrorisme, certaines d’entre-elles ont même été détruites. Qu’est-ce cela signifie : « des comportements qui poseraient problème » ? Un soupçon juste étayé par les notes blanches des services de renseignement dont il est très difficile de valider les informations ! Ce travail de police de renseignement sert à mettre en place des procédures particulièrement attentatoires au droit. Par exemple : la rétention administrative, les atteintes à la liberté d’aller et venir, l’accès à certaines zones géographiques, la zone géographique elle-même, tout cela est très mal défini dans le temps. Ces concepts flous amènent une logique de soupçon sur quasiment tout le monde !
- Que vous a répondu le procureur ?
- Il a été très à l’écoute. Il a partagé notre inquiétude vis-à-vis de certaines choses qui se passent dans la société corse. Il a admis que le climat était lourd. Ce qui est certain, c’est qu’alors que notre lettre initiale était très critique, il nous a rencontré, il a dialogué avec nous, il a envie de mieux comprendre et de ne pas rentrer dans un processus qui enchaînerait plus de tensions. Il considère que lorsque la LDH demande à le voir, elle est dans son mandat. Sans confondre les responsabilités, nous avons rencontré, il y a quelques semaines, le Préfet de Corse sur les mêmes problématiques. Nous interpellons les représentants de l’Etat, en espérant qu’ils fassent remonter comme il se doit la position de la LDH, qui est, en général, une interlocutrice entendue par les pouvoirs publics. Il faut espérer qu’aujourd’hui, elle le sera !
Propos recueillis par Nicole MARI.
500 € d'amende requis
Le procureur de la République de Bastia a requis 500 euros d'amende. La défense de Jean-Marc Dominici a plaidé la relaxe. Le jugement a été mis en délibéré au 21 novembre.