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Malgré les dissensions, l’Assemblée de Corse s’unit pour demander une rallonge de la dotation de continuité territoriale


le Jeudi 25 Avril 2024 à 21:57

À l'occasion de la session de ce jeudi, l'hémicycle s'est longuement intéressé à la demande de revalorisation de la dotation de continuité territoriale que Gilles Simeoni entend porter auprès du Gouvernement. Alors qu'il manque aujourd'hui près de 40 millions d'euros par an pour pour assurer l'exécution des contrats de délégation de service public dans les secteurs aérien et maritime, l'opposition a reproché à l'Exécutif le timing de cette demande et insisté sur la nécessité de réfléchir à l'avenir du service public. Le rapport a toutefois été voté à l'unanimité.



L'hémicycle de l'Assemble de Corse s'est longuement intéressé à la demande de revalorisation de la dotation de continuité territoriale à l'occasion de la session d'avril (Photos : Paule Santoni)
L'hémicycle de l'Assemble de Corse s'est longuement intéressé à la demande de revalorisation de la dotation de continuité territoriale à l'occasion de la session d'avril (Photos : Paule Santoni)
C’est une enveloppe que l’État verse chaque année à la Collectivité de Corse (CdC) afin de compenser les handicaps liés à son insularité. Mais, figée à 187 millions d’euros par an depuis 2009, la Dotation de Continuité Territoriale (DCT) ne suffit plus désormais à supporter le coût des Délégations de Service Public (DSP) en cours pour les dessertes aérienne et maritime de l’île. De quoi faire peser un risque certain sur l’avenir du service public. Cette question cruciale était au cœur de la session de l’Assemblée de Corse de ce jeudi. Le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, a en effet longuement présenté un rapport visant à demander à l’État une revalorisation de la DCT. Une requête qui selon lui intervient à un « moment charnière ». 
 
« Tout d’abord parce qu’il y a un enjeu d’application et d’exécution des DSP en cours. Il manque aujourd’hui structurellement 40 millions d’euros par an à la DCT », explique-t-il en déroulant : « Le périmètre de ces contrats correspond à une définition stricte du besoin de service public pour la Corse et les Corses, qui a été validé aussi bien par les instances étatiques qu’européennes. Il est donc normal, logique et légitime que l’on donne à la CdC les moyens budgétaires de garantir la bonne exécution de ces contrats ». Par ailleurs, le président de l’Exécutif met également en exergue la temporalité de cette demande. « Nous sommes en train de discuter un statut d’autonomie. Parmi les axes structurants de cette discussion, il y a la nécessité de définir un nouveau pacte budgétaire, fiscal et financier entre la Corse et l’État. Nous savons que nous sommes structurellement dans une équation budgétaire qui ne nous permet pas de répondre aux besoins de la Corse et des Corses. Dans le cadre de cette redéfinition, il est nécessaire que nous corrigions les injustices qui pénalisent à ce jour la Corse », pose-t-il en rappelant que depuis plusieurs années, dans un contexte inflationniste, les élus de la Corse ont demandé une réévaluation de la DCT auprès des gouvernements successifs. Justement, Gilles Simeoni entend aussi s’appuyer sur l’expérience de ces deux dernières années – où une rallonge exceptionnelle de la DCT a pu être obtenue à titre exceptionnel et de dérogatoire – pour muscler son argumentaire. « Ces deux rallonges successives nous ont permis de maintenir l’application du contrat jusqu’à aujourd’hui mais elles n’ont aucun caractère pérenne ». 
 

Gilles Simeoni a averti : "Si on n’obtient pas cette ré indexation qui est de droit on ne peut pas continuer à exercer le service public " (Photo : Paule Santoni)
Gilles Simeoni a averti : "Si on n’obtient pas cette ré indexation qui est de droit on ne peut pas continuer à exercer le service public " (Photo : Paule Santoni)
« Si on n’obtient pas cette ré indexation, on ne peut pas continuer à exercer le service public »
 
Tout en convenant que le contexte global d’économies et d’austérité risque d’accroitre les difficultés de succès, il débute sa plaidoirie pour une revalorisation de l’enveloppe en retraçant rapidement l’historique de la DCT que la loi avait installée comme l’une des composantes de la Dotation Générale de Décentralisation (DGD). « Au départ la DGD était indexée sur un indice à la consommation, et la DCT a elle-même crû en application de cet indice. Ce n’est qu’à partir de 2009, dans un contexte budgétaire et financier global de crise économique, que la DCT a été désindexée et figée en son montant. Cette désindexation conçue d’abord comme transitoire est ensuite devenue définitive à compter de la loi de finances de 2012 », explique-t-il en regrettant : « Si on avait continué ce qui était l’esprit et la lettre des textes régissant la matière, c’est-à-dire indexer la DCT sur l’indice des prix à la consommation, le montant de la DCT serait aujourd’hui majoré de 53 millions d’euros. C’est exactement la somme dont nous avons besoin pour assurer l’exécution des contrats de DSP ». 
 
En outre, le président de l’Exécutif soulève le fait qu’alors que la DGD a été alignée sur la TVA à compter de 2018, par dérogation au principe général appliqué à l’ensemble des régions, le législateur a, à travers la loi de finances de 2018, fait voter un amendement excluant la DCT de l’assiette des dotations transformées. « Nous avons été une deuxième fois privés d’une transformation qui a été la règle partout en France », fustige-t-il, « Si elle nous avait été appliquée, nous aurions aujourd’hui une recette extrêmement dynamique et une enveloppe de DCT qui aurait augmenté dans les proportions que nous sommes en droit d’attendre ». Enfin, Gilles Simeoni s’arrête également longuement sur la seconde partie technique et très fournie du rapport qui objective l’augmentation des coûts observés dans les comptes des délégataires aussi bien maritimes qu’aériens. « Dans le cadre des nouveaux contrats, nous avons affiné nos instruments d’analyse, ce qui nous permet d’avoir un suivi extrêmement précis des comptes des délégataires et notamment dans le périmètre de la DSP », indique-t-il.  Au regard de l’ensemble de ces éléments, le président de l’Exécutif assure donc : « Cet argumentaire nous semble imparable ». Et de poursuivre : « Si on n’obtient pas cette ré indexation qui est de droit on ne peut pas continuer à exercer le service public. C’est inenvisageable ».
 

L'ancienne présidente de l'OTC et élue d'Avanzemu, Vanina Borromei a souligné l’urgence à trouver des solutions et des fonds pour l’avenir du service public (Photo : Paule Santoni)
L'ancienne présidente de l'OTC et élue d'Avanzemu, Vanina Borromei a souligné l’urgence à trouver des solutions et des fonds pour l’avenir du service public (Photo : Paule Santoni)
« La fin d’un système »
 
Ouvrant les débats, Vanina Borromei d’Avanzemu tâcle avant tout le timing dans lequel ce rapport est présenté. « Le budget est passé, les DSP ont été votées. Ce rapport arrive un peu tard. Et puis nous avons à plusieurs reprises tiré la sonnette d’alarme sur le montant de la DCT qui trouvait ses limites. Nous avons voté ces DSP en sachant qu’on n’aurait pas les moyens de les financer en l’état », souffle l’ancienne présidente de l’Office des Transports de la Corse. « Aujourd’hui je pense que nous arrivons à la fin d’un système. Cela nous impose d’avoir une réelle réflexion sur les schémas que nous voulons pour la continuité territoriale », pose-t-elle d’autre part en relevant l’urgence à trouver des solutions et des fonds pour l’avenir du service public.  Du côté d’Un Soffiu Novu, Jean-Michel Savelli déplore « l’impasse budgétaire » dans laquelle se trouve aujourd’hui la CdC. « La question qui se pose est de savoir si la CdC doit compenser à elle seule tous les aléas industriels et commerciaux des délégataires ? », argue-t-il en pointant des « contrats de DSP trop protecteurs et parfois insuffisamment négociés ». « La mauvaise conjoncture budgétaire de l’État fait que nos demandes de rallonge pourraient bien être retoquées ou rabotées voire éventuellement déduites du futur PTIC au détriment des investissements », s’inquiète-t-il encore en annonçant ne pas être opposé à une revalorisation de la DCT, « à condition qu’elle soit associée à une étude sur un mode alternatif plus vertueux pour les dessertes maritime et aérienne de la Corse ». Un amendement est d’ailleurs déposé par la droite en ce sens. 
 
Paul-Félix Benedetti se veut pour sa part avant tout très critique sur la forme du rapport. « Je suis effaré par la litanie des chiffres. Ils m’affolent autant qu’ils m’exaspèrent. Toute cette addition de chiffres et de tableaux pourquoi faire ? », grince-t-il, « Le document qui doit servir de plaidoyer pour valider une demande de 40 ou 50 millions d’euros doit être politique ». Le président de Core in Fronte invite par ailleurs à « garder à l’esprit qu’on ne peut pas en permanence demander la compensation d’une logique économique qui peut nous dépasser ». « Si on avait eu une autonomie fiscale de 2009 à 2019, on aurait aujourd’hui une DCT de 374 millions d’euros », estime quant à lui le député Jean-Félix Acquaviva sur les bancs de Fà Populu Inseme. Une remarque qui lui vaut les foudres du co-président d’Un Soffiu Novu, Jean-Martin Mondoloni. 
 

Le co-président d'Un Soffiu Novu a regretté que la demande de revalorisation de la dotation de continuité territoriale soit formulée egrette par ailleurs que cette demande de revalorisation de la DCT soit formulée « au moment où l’État a cumulé 3000 milliards de dettes » (Photo : Paule Santoni)
Le co-président d'Un Soffiu Novu a regretté que la demande de revalorisation de la dotation de continuité territoriale soit formulée egrette par ailleurs que cette demande de revalorisation de la DCT soit formulée « au moment où l’État a cumulé 3000 milliards de dettes » (Photo : Paule Santoni)
« Vous ne pouvez pas continuer à dire que l’autonomie va être la solution à tout  »

« Vous faites des chemins raccourcis en disant que si on avait eu l’autonomie financières on arriverait aujourd’hui à 374 millions. C’est de la logique papier ! Ce que vous ne dites pas et qui est en temps masqué derrière ces logiques, c’est la part de risque qui existe », tonne-t-il en sifflant : « Vous ne pouvez pas continuer à chaque fois qu’il y a un problème à dire que l’autonomie et en particulier l’autonomie fiscale et financière va être la solution à tout ». Le leader de la droite regrette par ailleurs que cette demande de revalorisation de la DCT soit formulée « au moment où l’État auquel vous vous adressez a cumulé 3000 milliards de dettes ». « On dit que les collectivités vont devoir faire 10 milliards d’économies », rappelle-t-il, « Ce que l’État va demander c’est quelle part d’effort vous faites sur ce sujet. Le service public chacun y est attaché. Mais les modalités du service public que vous avez choisi il faut les payer ». Il avertit aussi sur ce qu’il qualifie de « risque boomerang » que pourrait avoir ce rapport. « On pourrait nous dire maintenant on vous a donné cela et on ne parle plus du reste », relève-t-il. L’autre co-présidente d’Un Soffiu Novu, Valérie Bozzi, se veut, elle, plus mesurée.  « La demande est légitime. Effectivement une revalorisation aurait dû être faite. Cette rallonge est nécessaire à la qualité du service public que nous voulons », admet-elle, « Mais j’ai peur que cette demande soit tardive car on le sait le contexte national et les finances de l’État font qu’il risque de rejeter cette demande. Si elle était intervenue plus tôt peut être qu’elle aurait eu plus de chances d’aboutir ». Enfin, la non-inscrite et seule représentante de Nazione dans l’hémicycle Josepha Giacometti Piredda constate : « Nous sommes arrivés à la fin d’un système de dépendance à l’aide et à la dotation et de dépendance à un système beaucoup plus global et donc à la nécessité de faire des choix. Mais on ne voit pas poindre l’amorce de la démonstration de la transition vers un autre système ».

Une réindexation indispensable mais pas acquise
 
Avant de passer au vote, Gilles Simeoni tiendra à éclaircir quelques points au terme de près de deux heures de débats. « Ce que nous proposons aujourd’hui c’est de demander la pérennisation des moyens nécessaires à l’exécution des contrats de service public que l’Assemblée de Corse a voté avec un périmètre de service public qui a été entériné par l’État et l’Union Européenne. À quel moment autre que maintenant aurions-nous pu le demander ? Nous le demandons au moment où nous avons besoin d’une somme qui doit être pérennisée au titre de l’exécution des contrats », instillera-t-il avant de conclure : « Mon objectif est d’obtenir cette réindexation qui est de droit, dont nous avons un besoin impératif et qui au moment où nous parlons n’est pas acquise ».
 
Devant l’importance de la demande, malgré les dissensions et le rejet de l’amendement de la droite, le rapport sera malgré tout voté à l’unanimité. Avant que l’hémicycle ne replonge dans un second rapport dans la même veine, portant cette fois sur les iniquités successives qui ont impacté les finances de la CdC à l’occasion de réformes nationales