Le Golo au niveau de Ponte-Leccia, en Haute-Corse.
- Quel est le niveau des réserves d’eau en Corse après un mois de juin qui a battu des records de sécheresse ?
- Le niveau actuel de stockage d’eau est sensiblement inférieur à celui de l’an dernier à la même date. La capacité totale de stockage des barrages corses est de 107 millions de m3, dont 45 millions de m3 pour les barrages de l’Office hydraulique. Il reste, dans nos barrages, environ 29 millions de m3 d’eau, soit un taux de remplissage d’environ 65%. En 2016, à la même date, le niveau était de 71%. En 2003, année de référence sécheresse, il était de 52%. En 2007, également année de sécheresse, il était de 62%. Les barrages sont remplis à 70% dans le Sud, mais seulement à 60% en Plaine Orientale. La gestion est tendue et nous appelle à rester très vigilants sur toutes les régions, mais avec une vigilance accrue en Plaine Orientale en matière d’eau agricole.
- Est-ce la région la plus impactée ?
- Oui ! Vu l’état de stress hydrique de l’ensemble du territoire insulaire, la consommation a augmenté aussi bien au niveau de l’eau brute que de l’eau potable, notamment dans au moins deux régions. En Plaine Orientale, entre Furiani et Ventiseri, la consommation d’eau brute agricole a flambé de 40% par rapport à 2016 et totalise, sur la saison, 45 millions de m3. Elle atteint, en juillet, 2,5 à 3 millions de m3 par semaine. Cette surconsommation est due à une hausse des températures et à l’état de sécheresse des sols et de la floraison. Dans la région du Sud-Est où l’agriculture n’utilise que 15% de l’eau des retenues de l’Ospedale et de Figari, c’est la consommation d’eau potable des particuliers et des collectivités qui a augmenté de 15% à 20%. C’est certainement du à un accroissement de la population touristique, mais également à un manque de rigueur dans les comportements. Les collectivités n’ont pas pris, cette année, toutes les dispositions qu’elles avaient, par exemple, prises l’an dernier.
- La Corse peut-elle manquer d’eau pour finir la saison ?
- Il y a plusieurs scénarii possibles. Même si à l’heure actuelle, on a peu de marges de sécurité, on devrait, néanmoins dans la plupart des régions, réussir à passer la saison. Pour l’instant, seule, la Plaine Orientale pose problème. Selon le scénario le plus pessimiste, à savoir pas de pluie et le même niveau de consommation, on peut craindre, dans cette région, une rupture d’alimentation en eau brute à la mi-septembre, en tous cas un rationnement très sévère, ce qui hypothéquerait les récoltes d’agrumiculture et serait préjudiciable aux fourragers.
- Globalement, quel est l’état de la ressource en eau ?
- En termes d’hydrologie, on constate, année par année, l’allongement de l’étiage estival des fleuves, c’est-à-dire que les fleuves restent secs plus longtemps. En même temps, paradoxalement, les inondations se multiplient en hiver. On dérive peu à peu vers un phénomène climatique qui fait presque penser à la mousson ! La baisse des débits moyens des cours d’eau est avérée. Elle atteint, sur une dizaine d’année, pour les cours majeurs, près de 18%. Alors que la Corse reçoit environ 8 milliards de m3 par an de précipitations, on assiste à un tarissement de la ressource. La diminution des précipitations et la hausse des températures entrainent des besoins de plus en plus précoces, notamment pour l’agriculture. En avançant le début de la période d’irrigation, on déstocke les barrages plus tôt, c’est là le problème ! La diminution de la ressource, l’allongement de la période d’irrigation et le fort développement touristique compliquent la reconstitution du stock et augmentent les risques de pénurie.
- Que faire pour y remédier ?
- Nous pouvons engager, à travers le PEI (Programme exceptionnel d’investissements), des actions dans plusieurs domaines pour un montant d’environ 25 millions € sur 5 ans. Nous avons besoin de faire des investissements structurels, de construire de nouveaux stockages, d’autres barrages, d’améliorer les rendements et les transferts d’eau d’une région à une autre, de lancer des campagnes de sensibilisation et d’information, y compris vers le monde agricole… Et, puis de réformer le geste culturel, de privilégier le développement de l’agriculture raisonnée… Mais ce ne sera pas suffisant. Nous avons besoin d’un plan au moins 10 à 15 fois plus ambitieux. Le Conseil exécutif va se tourner, à la fois, vers l’Etat et l’Europe pour impulser une programmation pluriannuelle d’investissements et un vrai Plan Eau à 30 ans que j’ai baptisé « Acqua nostra 2050 ».
- C’est-à-dire ?
- Nous devons absolument bâtir, aujourd’hui, une indépendance hydraulique, couplée à une réflexion sur l’énergie hydraulique afin que les rendements soient pluriels. Il faut engager une concertation avec l’Etat et constituer avec les Sardes une force euro-méditerranéenne insulaire pour peser sur les décisions de Paris et de Bruxelles. Cette action ne peut pas être réduite à un office hydraulique, mais est transversale et implique l’ensemble des agences, des offices et des partenaires.
- Quel est l’objet du rapport que vous présentez, la semaine prochaine, à l’Assemblée de Corse ?
- C’est un rapport concernant un plan de bassin d’adaptation au changement climatique sous l’égide du Comité de bassin de Corse. Ce plan est le code d’accès à un changement de braquet en termes d’aménagement du territoire et en termes de vision. La collectivité unique est l’occasion d’optimiser la gestion, la production et la recherche de solutions, de passer d’un Office hydraulique à un Office de l’eau, d’élargir le champ d’action et les objectifs et d’avoir un autre regard sur la maîtrise de ce bien commun par l’unicité de sa gestion. Nous demandons au monde agricole d’adhérer à cette stratégie d’aménagement du territoire. L’écho est très favorable.
- Les agriculteurs réclament des mesures d’urgence contre les restrictions d’eau et sont prêts à passer à l’action. Que leur répondez-vous ?
- Entre l’arrêté très formel de restrictions d’eau décidées par le Préfet et la réalité agricole, il y a, quelquefois, un décalage. Pour certains producteurs ou certaines cultures, les horaires de restriction peuvent s’avérer problématiques, il faudrait, donc, faire quelques modifications à la marge, tout en gardant à l’esprit le risque de surconsommation. Nous avons déjà transféré quelques 2 millions de m3 entre le Golu et le Nord de la Plaine Orientale pour soulager les réserves du Sud, notamment celle d’Alisgiani. Mais, il ne faut pas laisser croire à l’opinion publique que le problème est juste agricole. Le problème est sociétal ! Le
- Pensez-vous que les Corses ont pris la mesure de l’enjeu ?
- Non ! Aujourd’hui, les collectivités locales n’ont pas pris la mesure du défi environnemental et sociétal que nous engageons. En mars, j’ai réuni la ComCom du Grand Sud pour leur demander de faire un effort particulier parce que leur surconsommation d’eau d’agrément était inadmissible. Les agriculteurs, comme bon nombre d’observateurs, continuent de comparer 2017 aux années de référence de la sécheresse : 2003 ou 2007. Mais en 2003, ils ont cru que la sécheresse était exceptionnelle... Du coup, ils ont oublié 2003 ! Or aujourd'hui, la Corse est frappée de plein fouet par le changement climatique, l'exceptionnel devient la normalité. L'erreur serait, donc, d'oublier 2017 ! Il y aura une répétition quasiment systématique de ce scénario. La référence, désormais, doit nous permettre d'appréhender l'avenir et non de nous comparer au passé. La situation actuelle doit amener la Corse à s'adapter aux effets du changement climatique. Cela commande de nous mobiliser, au nom du développement de l'aménagement hydraulique territorial, pour changer notre rapport à la gestion de l'eau. Il s'agit d'opérer une indispensable révolution culturelle et culturale. C’est un enjeu de développement fondamental pour la nation corse !
Propos recueillis par Nicole MARI.
- Le niveau actuel de stockage d’eau est sensiblement inférieur à celui de l’an dernier à la même date. La capacité totale de stockage des barrages corses est de 107 millions de m3, dont 45 millions de m3 pour les barrages de l’Office hydraulique. Il reste, dans nos barrages, environ 29 millions de m3 d’eau, soit un taux de remplissage d’environ 65%. En 2016, à la même date, le niveau était de 71%. En 2003, année de référence sécheresse, il était de 52%. En 2007, également année de sécheresse, il était de 62%. Les barrages sont remplis à 70% dans le Sud, mais seulement à 60% en Plaine Orientale. La gestion est tendue et nous appelle à rester très vigilants sur toutes les régions, mais avec une vigilance accrue en Plaine Orientale en matière d’eau agricole.
- Est-ce la région la plus impactée ?
- Oui ! Vu l’état de stress hydrique de l’ensemble du territoire insulaire, la consommation a augmenté aussi bien au niveau de l’eau brute que de l’eau potable, notamment dans au moins deux régions. En Plaine Orientale, entre Furiani et Ventiseri, la consommation d’eau brute agricole a flambé de 40% par rapport à 2016 et totalise, sur la saison, 45 millions de m3. Elle atteint, en juillet, 2,5 à 3 millions de m3 par semaine. Cette surconsommation est due à une hausse des températures et à l’état de sécheresse des sols et de la floraison. Dans la région du Sud-Est où l’agriculture n’utilise que 15% de l’eau des retenues de l’Ospedale et de Figari, c’est la consommation d’eau potable des particuliers et des collectivités qui a augmenté de 15% à 20%. C’est certainement du à un accroissement de la population touristique, mais également à un manque de rigueur dans les comportements. Les collectivités n’ont pas pris, cette année, toutes les dispositions qu’elles avaient, par exemple, prises l’an dernier.
- La Corse peut-elle manquer d’eau pour finir la saison ?
- Il y a plusieurs scénarii possibles. Même si à l’heure actuelle, on a peu de marges de sécurité, on devrait, néanmoins dans la plupart des régions, réussir à passer la saison. Pour l’instant, seule, la Plaine Orientale pose problème. Selon le scénario le plus pessimiste, à savoir pas de pluie et le même niveau de consommation, on peut craindre, dans cette région, une rupture d’alimentation en eau brute à la mi-septembre, en tous cas un rationnement très sévère, ce qui hypothéquerait les récoltes d’agrumiculture et serait préjudiciable aux fourragers.
- Globalement, quel est l’état de la ressource en eau ?
- En termes d’hydrologie, on constate, année par année, l’allongement de l’étiage estival des fleuves, c’est-à-dire que les fleuves restent secs plus longtemps. En même temps, paradoxalement, les inondations se multiplient en hiver. On dérive peu à peu vers un phénomène climatique qui fait presque penser à la mousson ! La baisse des débits moyens des cours d’eau est avérée. Elle atteint, sur une dizaine d’année, pour les cours majeurs, près de 18%. Alors que la Corse reçoit environ 8 milliards de m3 par an de précipitations, on assiste à un tarissement de la ressource. La diminution des précipitations et la hausse des températures entrainent des besoins de plus en plus précoces, notamment pour l’agriculture. En avançant le début de la période d’irrigation, on déstocke les barrages plus tôt, c’est là le problème ! La diminution de la ressource, l’allongement de la période d’irrigation et le fort développement touristique compliquent la reconstitution du stock et augmentent les risques de pénurie.
- Que faire pour y remédier ?
- Nous pouvons engager, à travers le PEI (Programme exceptionnel d’investissements), des actions dans plusieurs domaines pour un montant d’environ 25 millions € sur 5 ans. Nous avons besoin de faire des investissements structurels, de construire de nouveaux stockages, d’autres barrages, d’améliorer les rendements et les transferts d’eau d’une région à une autre, de lancer des campagnes de sensibilisation et d’information, y compris vers le monde agricole… Et, puis de réformer le geste culturel, de privilégier le développement de l’agriculture raisonnée… Mais ce ne sera pas suffisant. Nous avons besoin d’un plan au moins 10 à 15 fois plus ambitieux. Le Conseil exécutif va se tourner, à la fois, vers l’Etat et l’Europe pour impulser une programmation pluriannuelle d’investissements et un vrai Plan Eau à 30 ans que j’ai baptisé « Acqua nostra 2050 ».
- C’est-à-dire ?
- Nous devons absolument bâtir, aujourd’hui, une indépendance hydraulique, couplée à une réflexion sur l’énergie hydraulique afin que les rendements soient pluriels. Il faut engager une concertation avec l’Etat et constituer avec les Sardes une force euro-méditerranéenne insulaire pour peser sur les décisions de Paris et de Bruxelles. Cette action ne peut pas être réduite à un office hydraulique, mais est transversale et implique l’ensemble des agences, des offices et des partenaires.
- Quel est l’objet du rapport que vous présentez, la semaine prochaine, à l’Assemblée de Corse ?
- C’est un rapport concernant un plan de bassin d’adaptation au changement climatique sous l’égide du Comité de bassin de Corse. Ce plan est le code d’accès à un changement de braquet en termes d’aménagement du territoire et en termes de vision. La collectivité unique est l’occasion d’optimiser la gestion, la production et la recherche de solutions, de passer d’un Office hydraulique à un Office de l’eau, d’élargir le champ d’action et les objectifs et d’avoir un autre regard sur la maîtrise de ce bien commun par l’unicité de sa gestion. Nous demandons au monde agricole d’adhérer à cette stratégie d’aménagement du territoire. L’écho est très favorable.
- Les agriculteurs réclament des mesures d’urgence contre les restrictions d’eau et sont prêts à passer à l’action. Que leur répondez-vous ?
- Entre l’arrêté très formel de restrictions d’eau décidées par le Préfet et la réalité agricole, il y a, quelquefois, un décalage. Pour certains producteurs ou certaines cultures, les horaires de restriction peuvent s’avérer problématiques, il faudrait, donc, faire quelques modifications à la marge, tout en gardant à l’esprit le risque de surconsommation. Nous avons déjà transféré quelques 2 millions de m3 entre le Golu et le Nord de la Plaine Orientale pour soulager les réserves du Sud, notamment celle d’Alisgiani. Mais, il ne faut pas laisser croire à l’opinion publique que le problème est juste agricole. Le problème est sociétal ! Le
- Pensez-vous que les Corses ont pris la mesure de l’enjeu ?
- Non ! Aujourd’hui, les collectivités locales n’ont pas pris la mesure du défi environnemental et sociétal que nous engageons. En mars, j’ai réuni la ComCom du Grand Sud pour leur demander de faire un effort particulier parce que leur surconsommation d’eau d’agrément était inadmissible. Les agriculteurs, comme bon nombre d’observateurs, continuent de comparer 2017 aux années de référence de la sécheresse : 2003 ou 2007. Mais en 2003, ils ont cru que la sécheresse était exceptionnelle... Du coup, ils ont oublié 2003 ! Or aujourd'hui, la Corse est frappée de plein fouet par le changement climatique, l'exceptionnel devient la normalité. L'erreur serait, donc, d'oublier 2017 ! Il y aura une répétition quasiment systématique de ce scénario. La référence, désormais, doit nous permettre d'appréhender l'avenir et non de nous comparer au passé. La situation actuelle doit amener la Corse à s'adapter aux effets du changement climatique. Cela commande de nous mobiliser, au nom du développement de l'aménagement hydraulique territorial, pour changer notre rapport à la gestion de l'eau. Il s'agit d'opérer une indispensable révolution culturelle et culturale. C’est un enjeu de développement fondamental pour la nation corse !
Propos recueillis par Nicole MARI.
Saveriu Luciani, conseiller exécutif et président de l’Office d’équipement hydraulique de la Corse (OEHC), lors du Conseil d'administration.