Gilles Simeoni, président de l’Exécutif territorial et Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée de Corse, entourés de Chantal Lhoir, co-présidente de l’Association française des malades de la thyroïde, de Denis Fauconnier, médecin en Balagne en 1986, de Roland Desbordes, porte-parole de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) et de Fabienne Giovannini, conseillère exécutive, ancienne présidente de l’Observatoire régional de la santé (2010-2015), membre de la Commission Tchernobyl (2011-2015).
- Une commémoration de la catastrophe de Tchernobyl, 30 ans après, est-ce vraiment utile ?
- Oui ! On se rend compte, devant les témoignages, qu’il y a encore des souffrances importantes et des malades. Des gens continuent de subir les conséquences de cette catastrophe, d’abord sur le plan de santé, mais aussi dans leur vie quotidienne, dans leur famille… Ils ont vu leur vie bouleversée, on leur a menti, il faut pouvoir leur répondre en termes de reconnaissance. Nous aurions pu éviter ces conséquences si la France avait pris, un tant soit peu, comme l’ont fait les pays voisins, des mesures de prévention, en disant, par exemple, aux populations de ne pas manger les légumes à feuilles, de ne pas laisser les enfants jouer dans les bacs à sable, de ne pas sortir en temps de pluie… Peut-être y aurait-il eu moins de malades aujourd’hui !
- Quel bilan a-t-on établi en Corse ?
- Difficile d’obtenir un bilan global. Il y a 15 ans, au moment où elle déposait son dossier judiciaire, l’association française des malades de la thyroïde (AFMT) avait en main 200 dossiers de malades corses. C’est énorme ! Ce chiffre ne comptabilisait, alors, que les maladies déjà déclarées. Le taux de pathologies thyroïdiennes a explosé en Corse, certaines ont augmenté de 103 %. Les thyroïdites ont fait un bond de plus de 55 % chez les femmes et plus de 78 % chez les hommes. Plus de 30 % également pour les cancers de la thyroïde chez les hommes. Des sur-risques constatés chez les enfants et une incidence probable sur les leucémies aigues... Les conséquences sont incontestables.
- Ce n’est pas ce que dit l’Etat ?
- C’est ce que prouve l’enquête épidémiologique commandée par l’Assemblée de Corse. L’Etat prétexte une amélioration des pronostics pour expliquer la flambée des pathologies, mais les méthodes d’élaboration de l’étude ont écarté tout facteur de confusion et mené un travail exhaustif et très fin. Cette enquête ne s’est pas appuyée sur des statistiques ou des témoignages, mais sur des dossiers précis de malade puisque elle disposait de tous les dossiers du Docteur Vellutini, seul endocrinologue de Haute-Corse aux moments des faits. Pour la Corse-du-Sud, nous avons lancé un appel à témoins, ce qui nous a permis de recueillir de nombreux dossiers et témoignages de malades.
- Cette étude divulguée en juillet 2013, qu’est-elle devenue ?
- Sur le plan scientifique, elle suit son chemin. Les publications dans les revues scientifiques internationales spécialisées demandent beaucoup de temps. L’étude devrait être publiée sous peu et susciter des débats scientifiques de confrontation au niveau mondial qui permettront de valider la méthode et les résultats. Sur le plan politique, c’est à nous de prendre le relais.
- Les Nationalistes ont mené un long combat de recherche de la vérité. Où en est-on aujourd’hui ?
- Les Nationalistes ont, il est vrai, été à la pointe de ce combat, comme de beaucoup d’autres. De nombreuses autres personnes, notamment sur le plan associatif, se sont, également, battues. Je rends aussi hommage aux journalistes indépendants qui ont fait un travail très important à ce niveau-là. Aujourd’hui, nous avons en main les résultats de l’enquête épidémiologique et, désormais, un registre des cancers de la Corse qui nous permettra de travailler pour l’avenir.
- Ce registre des cancers a, aussi, exigé un long combat. Existe-t-il enfin ?
- Oui ! C’est un combat de 30 ans que nous avons gagné. Ce registre est prêt depuis un an. Il était bloqué par la CNIL, la Commission nationale Informatique et Liberté qui donne l’autorisation d’utiliser et d’exploiter des données nominatives. Nous attendions cet accord. J’ai sollicité le président du Conseil exécutif qui a fait une relance énergique par courrier et par téléphone. J’ai la joie de vous apprendre que nous avons, enfin, cet accord et que le registre peut, désormais, être opérationnel.
- A quoi sert-il exactement ?
- C’est un registre qui recueille et note les données des patients, en lien avec tous les réseaux insulaires d’oncologie et d'anatomo-pathologie et tous les centres du continent où sont soignés les Corses. Ces données sont vérifiées et permettent, ensuite, d’établir des courbes d’évolution que nous surveillerons avec une grande vigilance. Dès qu’une courbe croît anormalement, nous serons en capacité de réagir assez vite pour en rechercher les causes, déclencher une enquête épidémiologique, et prendre, ensuite, les dispositions qui s’imposent.
- 30 ans après Tchernobyl, l’Etat refuse toujours d’assumer sa responsabilité et continue de minimiser l’impact du nuage. Ce combat de vérité, ne l’avez-vous pas, en fin de compte, perdu ?
- Non ! L’Etat a du, quand même, reconnaître un certain nombre de choses. Dans les premiers jours qui ont suivi la catastrophe, il a dit que le nuage s’était arrêté aux frontières de la France. Il a du, par la suite, reconnaître que le nuage avait recouvert massivement la France. Il a nié la contamination au sol. Longtemps après, 13 ans plus tard, il a du la reconnaître. Il a nié les effets du nuage sur la Corse et l’impact de cette contamination sur la santé. A force de revendication et de démonstrations scientifiques que nous avons faites avec l’AFMT et la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), il a du reconnaître les effets du nuage sur la santé.
- Pas dans les proportions réelles ?
- L’Etat refuse, en effet, de reconnaître le niveau d’impact sur la santé des Corses. Il sera amené à le faire. Comme l’a dit le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, nous continuerons à suivre ce dossier. Nous essaierons de diffuser le plus possible les résultats de l’enquête. C’est déjà fait en partie. Nous continuerons à agir pour que tous les enseignements de la catastrophe de Tchernobyl soient tirés, notamment en ce qui concerne le traitement de l’information aux populations.
- C’est-à-dire ?
- Le traitement de l’information, tel qu’il a été fait lors de la catastrophe, est un échec total. Il faut, donc, amener les autorités à, par exemple, rabaisser les seuils de tolérance de la population et à mieux établir les protocoles d’information. Nous pouvons les forcer à le faire. La CTC n’a pas de compétence santé, mais je prône souvent l’interventionnisme en la matière parce que notre peuple est concerné au premier chef. Il faut tout faire pour assurer son bien-être et le protéger de ce type d’agression. Je reconnais qu’il faut faire un travail, qui n’est pas facile, auprès des autorités. Ça fait 30 ans qu’on se bat, on va continuer à se battre.
- Une des questions soulevées lors du débat concerne l’indemnisation. La CTC va-t-elle aider les Corses qui s’engagent dans cette voie ?
- D’abord, le travail scientifique doit se poursuivre. Il est très difficile en matière de santé, surtout en matière de radioactivité, d’établir un lien de causalité. En France, c’est même pratiquement impossible. Il faut, donc, faire évoluer le droit en s’appuyant sur les tests scientifiques et sur l’enquête pour établir que la corrélation est forte et mettre, ainsi, en lumière le lien de causalité. Il faut, ensuite, obtenir encore plus d’éléments pour construire une argumentation juridique. Il faut, enfin, poursuive le travail militant de revendication que nous avons toujours mené auprès des malades. Nous serons à leurs côtés comme nous l’avons toujours été.
Propos recueillis par Nicole MARI.
- Oui ! On se rend compte, devant les témoignages, qu’il y a encore des souffrances importantes et des malades. Des gens continuent de subir les conséquences de cette catastrophe, d’abord sur le plan de santé, mais aussi dans leur vie quotidienne, dans leur famille… Ils ont vu leur vie bouleversée, on leur a menti, il faut pouvoir leur répondre en termes de reconnaissance. Nous aurions pu éviter ces conséquences si la France avait pris, un tant soit peu, comme l’ont fait les pays voisins, des mesures de prévention, en disant, par exemple, aux populations de ne pas manger les légumes à feuilles, de ne pas laisser les enfants jouer dans les bacs à sable, de ne pas sortir en temps de pluie… Peut-être y aurait-il eu moins de malades aujourd’hui !
- Quel bilan a-t-on établi en Corse ?
- Difficile d’obtenir un bilan global. Il y a 15 ans, au moment où elle déposait son dossier judiciaire, l’association française des malades de la thyroïde (AFMT) avait en main 200 dossiers de malades corses. C’est énorme ! Ce chiffre ne comptabilisait, alors, que les maladies déjà déclarées. Le taux de pathologies thyroïdiennes a explosé en Corse, certaines ont augmenté de 103 %. Les thyroïdites ont fait un bond de plus de 55 % chez les femmes et plus de 78 % chez les hommes. Plus de 30 % également pour les cancers de la thyroïde chez les hommes. Des sur-risques constatés chez les enfants et une incidence probable sur les leucémies aigues... Les conséquences sont incontestables.
- Ce n’est pas ce que dit l’Etat ?
- C’est ce que prouve l’enquête épidémiologique commandée par l’Assemblée de Corse. L’Etat prétexte une amélioration des pronostics pour expliquer la flambée des pathologies, mais les méthodes d’élaboration de l’étude ont écarté tout facteur de confusion et mené un travail exhaustif et très fin. Cette enquête ne s’est pas appuyée sur des statistiques ou des témoignages, mais sur des dossiers précis de malade puisque elle disposait de tous les dossiers du Docteur Vellutini, seul endocrinologue de Haute-Corse aux moments des faits. Pour la Corse-du-Sud, nous avons lancé un appel à témoins, ce qui nous a permis de recueillir de nombreux dossiers et témoignages de malades.
- Cette étude divulguée en juillet 2013, qu’est-elle devenue ?
- Sur le plan scientifique, elle suit son chemin. Les publications dans les revues scientifiques internationales spécialisées demandent beaucoup de temps. L’étude devrait être publiée sous peu et susciter des débats scientifiques de confrontation au niveau mondial qui permettront de valider la méthode et les résultats. Sur le plan politique, c’est à nous de prendre le relais.
- Les Nationalistes ont mené un long combat de recherche de la vérité. Où en est-on aujourd’hui ?
- Les Nationalistes ont, il est vrai, été à la pointe de ce combat, comme de beaucoup d’autres. De nombreuses autres personnes, notamment sur le plan associatif, se sont, également, battues. Je rends aussi hommage aux journalistes indépendants qui ont fait un travail très important à ce niveau-là. Aujourd’hui, nous avons en main les résultats de l’enquête épidémiologique et, désormais, un registre des cancers de la Corse qui nous permettra de travailler pour l’avenir.
- Ce registre des cancers a, aussi, exigé un long combat. Existe-t-il enfin ?
- Oui ! C’est un combat de 30 ans que nous avons gagné. Ce registre est prêt depuis un an. Il était bloqué par la CNIL, la Commission nationale Informatique et Liberté qui donne l’autorisation d’utiliser et d’exploiter des données nominatives. Nous attendions cet accord. J’ai sollicité le président du Conseil exécutif qui a fait une relance énergique par courrier et par téléphone. J’ai la joie de vous apprendre que nous avons, enfin, cet accord et que le registre peut, désormais, être opérationnel.
- A quoi sert-il exactement ?
- C’est un registre qui recueille et note les données des patients, en lien avec tous les réseaux insulaires d’oncologie et d'anatomo-pathologie et tous les centres du continent où sont soignés les Corses. Ces données sont vérifiées et permettent, ensuite, d’établir des courbes d’évolution que nous surveillerons avec une grande vigilance. Dès qu’une courbe croît anormalement, nous serons en capacité de réagir assez vite pour en rechercher les causes, déclencher une enquête épidémiologique, et prendre, ensuite, les dispositions qui s’imposent.
- 30 ans après Tchernobyl, l’Etat refuse toujours d’assumer sa responsabilité et continue de minimiser l’impact du nuage. Ce combat de vérité, ne l’avez-vous pas, en fin de compte, perdu ?
- Non ! L’Etat a du, quand même, reconnaître un certain nombre de choses. Dans les premiers jours qui ont suivi la catastrophe, il a dit que le nuage s’était arrêté aux frontières de la France. Il a du, par la suite, reconnaître que le nuage avait recouvert massivement la France. Il a nié la contamination au sol. Longtemps après, 13 ans plus tard, il a du la reconnaître. Il a nié les effets du nuage sur la Corse et l’impact de cette contamination sur la santé. A force de revendication et de démonstrations scientifiques que nous avons faites avec l’AFMT et la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), il a du reconnaître les effets du nuage sur la santé.
- Pas dans les proportions réelles ?
- L’Etat refuse, en effet, de reconnaître le niveau d’impact sur la santé des Corses. Il sera amené à le faire. Comme l’a dit le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, nous continuerons à suivre ce dossier. Nous essaierons de diffuser le plus possible les résultats de l’enquête. C’est déjà fait en partie. Nous continuerons à agir pour que tous les enseignements de la catastrophe de Tchernobyl soient tirés, notamment en ce qui concerne le traitement de l’information aux populations.
- C’est-à-dire ?
- Le traitement de l’information, tel qu’il a été fait lors de la catastrophe, est un échec total. Il faut, donc, amener les autorités à, par exemple, rabaisser les seuils de tolérance de la population et à mieux établir les protocoles d’information. Nous pouvons les forcer à le faire. La CTC n’a pas de compétence santé, mais je prône souvent l’interventionnisme en la matière parce que notre peuple est concerné au premier chef. Il faut tout faire pour assurer son bien-être et le protéger de ce type d’agression. Je reconnais qu’il faut faire un travail, qui n’est pas facile, auprès des autorités. Ça fait 30 ans qu’on se bat, on va continuer à se battre.
- Une des questions soulevées lors du débat concerne l’indemnisation. La CTC va-t-elle aider les Corses qui s’engagent dans cette voie ?
- D’abord, le travail scientifique doit se poursuivre. Il est très difficile en matière de santé, surtout en matière de radioactivité, d’établir un lien de causalité. En France, c’est même pratiquement impossible. Il faut, donc, faire évoluer le droit en s’appuyant sur les tests scientifiques et sur l’enquête pour établir que la corrélation est forte et mettre, ainsi, en lumière le lien de causalité. Il faut, ensuite, obtenir encore plus d’éléments pour construire une argumentation juridique. Il faut, enfin, poursuive le travail militant de revendication que nous avons toujours mené auprès des malades. Nous serons à leurs côtés comme nous l’avons toujours été.
Propos recueillis par Nicole MARI.