Un enfant sur quatre est en situation de précarité
Un enfant sur quatre en Corse est en situation de précarité, soit 15 000 enfants en Corse. C'est ce qu'indique le rapport publié parle collectif Ghjuventù di Manca, qui met en avant des statistiques préoccupantes concernant la pauvreté des enfants sur l'île. Elia Francisci, l'une des porte-paroles de Ghjuventù di Manca, rappelle qu'il y a "trois fois moins de places à l'ASE (Aide Sociale à L'Enfance) en Corse que sur le continent. 60 000 insulaires sont en situation de précarité énergétique, et 28 000 demeurent dans des logements sur-occupés."
Pour le collectif, la pauvreté infantile en Corse est d'autant plus difficile à surmonter en raison du sentiment de "honte" et de la "peur du jugement de l'autre" qui existe sur l'île. En effet, Elia Francisci souligne que "le fait d'être sur une île, dans un milieu rural, où les personnes en situation de précarité sont souvent isolées et craignent de parler ou de se montrer, perpétue ce cycle de pauvreté. Il est plus difficile de s'en sortir quand on est isolé, stigmatisé et mis à l'écart, sans pouvoir exprimer sa situation".
La situation est d'autant plus inquiétante que la Corse présente des disparités flagrantes entre les deux départements. Elia Francisci évoque des manquements importants dans la protection maternelle et infantile, soulignant que "par exemple, il n'y avait aucun psychologue en Haute-Corse pour les PMI en 2022. La Haute-Corse souffre d'un manque de services essentiels pour les enfants et les familles en difficulté." Malgré l'existence d'un Schéma directeur territorial adopté en 2022 qui prévoyait des mesures telles que le recrutement de professionnels pour renforcer la protection de l'enfance, le collectif déplore qu'il n'ait "pas trouvé de données sur l'avancement de ces dispositifs".
Des solutions proposées
Face à la précarité croissante des enfants en Corse, le mouvement politique Ghjuventù di Manca appelle à une série de mesures pour sortir de cette situation alarmante et améliorer les conditions de vie des familles insulaires. Parmi les principales revendications, l’organisation demande la création de 2 000 places supplémentaires en crèches, afin de se rapprocher de la moyenne nationale. Selon eux, le manque de places de garde est un facteur clé qui perpétue le cycle de la pauvreté. En effet, de nombreuses mères corses sont contraintes d'interrompre leur carrière pour s'occuper de leurs enfants, ce qui entraîne un faible taux d'activité des femmes en Corse, bien inférieur à celui des autres régions françaises. "Nous pensons qu’ouvrir 2 000 places en crèche pourrait significativement améliorer la situation, en permettant aux mères de reprendre leur activité professionnelle et de mieux concilier travail et vie familiale", explique Elia Francisci.
Sont également proposées des mesures financières pour alléger les charges des familles : la gratuité des cantines scolaires, des transports et des fournitures scolaires, ou, à défaut, l’instauration d’un tarif dégressif selon les revenus. L’objectif est de faire en sorte que les familles les plus modestes ne paient pas, tandis que celles disposant de plus de ressources contribuent davantage.
Par ailleurs, Ghjuventù di Manca plaide pour la création d’un statut de "parent isolé", qui permettrait d’ouvrir des droits spécifiques pour les familles bénéficiant de ce statut, qui pourrait également servir de critère pour l’attribution de places en crèche, et inciter les bailleurs sociaux à collaborer davantage avec les institutions locales pour offrir des avantages aux parents en situation de précarité, tels que des réductions sur l'accès à Internet, ou des cartes de réduction pour des activités culturelles.
Enfin, le collectif évoque l’ouverture d’une maison d’enfants à caractère social à Ajaccio, soulignant qu'il "est crucial de mettre en place ces mesures de manière discrète, afin de préserver la dignité des familles concernées."
Le collectif déplore l'invisibilité de la précarité infantile dans les débats politiques et publics
Une critique récurrente émise par Ghjuventù di Manca concerne l'invisibilité des questions sociales et de la pauvreté dans les débats publics et politiques en Corse. Elia Francisci souligne que ces problèmes sont "souvent ignorés ou minimisés", ce qui empêche l'émergence de solutions efficaces. Selon elle, "c'est pour lutter contre cette invisibilité que nous avons pris la parole à ce sujet. C'est insupportable de voir autant de misère, de voir une telle disparité. Mais la problématique de la précarité infantile semble absente des débats politiques et publics à l'échelle insulaire. Je pense que c'est quelque chose qu'on veut enfouir. Pourtant, ce n'est pas parce qu'on l'enfouit que le problème disparaît."
Cependant, le collectif se réjouit de certaines avancées, bien qu'elles peinent à voir le jour. "Il y a quand même des choses qui ont été faites. Par exemple, la collectivité a gelé le tarif pour les cantines en collège et en lycée. Désormais, le tarif pour tout le monde est de 3,50 euros par enfant. Certes, nous souhaitons instaurer la gratuité ou le tarif dégressif, ce qui n'est pas encore le cas, mais nous nous réjouissons que certaines mesures soient tout de même mises en place. Il y a des initiatives, des partenariats qui sont instaurés, que ce soit avec la Collectivité de Corse mais aussi avec certaines communes. Après, nous, ce qu'on dit, c'est que c'est toujours trop peu. Chacun, à son échelle, que ce soit en tant que citoyen, mais surtout en tant qu'institution politique, pourrait faire quelque chose."
Des réunions et des projets à venir
Des initiatives sont en cours au sein de Ghjuventù di Manca, notamment des collectes de solidarité et des rencontres avec des responsables politiques pour faire avancer la cause. En effet, une collecte de solidarité avant Noël est en cours de réflexion. Prévue à Bastia et Ajaccio, la collecte souhaite récolter des jouets, vêtements, produits de première nécessité et nourriture pour les familles les plus démunies. Elia Francisci explique : "Nous sommes en train de voir pour mettre en place à Bastia et à Ajaccio, avant Noël, une collecte de jouets, de vêtements, de produits de première nécessité, de nourriture. Cela serait sous forme de colis alimentaires, mais ce n'est pas encore fait. Nous devons encore nous organiser."
Parallèlement à cette action, des réunions sont à venir avec divers partis politiques afin de discuter des propositions du collectif et des actions à mettre en place. "Nous allons nous entretenir très prochainement avec Core in Fronte, le Parti communiste et l'exécutif, pour discuter un petit peu de nos revendications et de ce qu'on voudrait mettre en place" conclut Elia Francisci.