« La culture, c'est comme la confiture, moins on en a, plus on l'étale », disait Françoise Sagan. Nul besoin, ce vendredi à Corte, d’en faire des tartines dans le domaine. Cette grande journée consacrée à la culture insulaire, divisée en deux temps, débute par une séance plénière dans l’Amphithéâtre Landry de l’université de Corse. C’est d’ailleurs Alain di Meglio, vice-président du Conseil d’administration de l'institution qui prend la parole en premier pour accueillir les élus et les acteurs du monde culturel et leur rappeler qu’ils sont « les bienvenus dans leur université » avant d’insister : « La culture corse est un large sujet. »
Tour à tour, la présidente de l’Assemblée, Nanette Maupertuis, la conseillère Antonia Luciani puis le président de l'exécutif Gilles Simeoni, qui lui succèdent au pupitre, ne disent pas le contraire. Après les présentations et salutations de rigueur, chacun rappelle son attachement à la culture et à quel point elle est essentielle à la société, encore plus en ces temps obscurs et alors que de nombreux conflits secouent la planète. « Le doute fait partie de la vie, mais s’il y a bien deux domaines pour lesquels j’ai de grandes convictions : l’éducation et la culture. Deux piliers essentiels au développement de nos sociétés », insistent Nanette Maupertuis, soulignant au passage le déficit de culture que l’on constate trop souvent. Pour Antonia Luciani : « La culture renforce deux piliers de nos sociétés : la liberté de pensée et de s’exprimer. Tous ensemble, nous avons franchi l’obstacle du Covid. À l’aune de changements politiques, écologiques, médiatiques et stratégiques majeurs, cette culture tient une place particulière dans le développement de l’île. »
La présidente de l’Assemblée rappelle aussi que « la culture est au cœur des mécanismes de développement social, économique, politique, etc. Elle n’est pas une “poule de luxe” comme l’avait déclaré Romain Gary et notre volonté commune est de promouvoir la culture corse. Cette culture si singulière contribue à la diversité du monde et nous singularise autant qu’elle nous rapproche, elle va se construire avec vous et avec les acteurs de demain. »
La Conseillère exécutive en charge de la culture ajoute : « La Corse est un laboratoire culturel. Notre culture est insulaire, mais en lien avec les autres et surtout avec l’Europe. »
Pour tous, ces rencontres sont aussi le moyen de faire le bilan de la décentralisation. « On ne peut pas faire l’économie d’un bilan sur ces 20 dernières années » ajoute Gilles Simeoni avant de détailler les raisons qui rendent ce moment si important : « On arrive au terme d’un cycle avec les 40 ans de l’Assemblée de Corse. Par ailleurs, la loi de 2002 a permis le transfert des compétences à la Collectivité dans des domaines stratégiques. Enfin, ça fait 8 ans que nous avons accédé aux responsabilités. Je suis d’ailleurs ému, fier et heureux d’être ici à l’Université. » Pour Gilles Simeoni, chacun doit vivre de façon intime dans son engagement dans la culture. « Elle n’est pas un appendice de notre programme. On doit regarder ce qu’on a fait de bien et là où l'on a échoué. » Même s’il avoue bien connaître le monde de la culture, il ajoute : « Vous le connaissez mieux que moi, vous l’êtes ! Il y a eu Josepha Giacometti, aujourd’hui Antonia et je salue leurs actions. Mais j’assume aussi en tant que président, c’est pour ça que je voulais être devant vous aujourd'hui. » La Corse vit un moment politique décisif avec l’autonomie en ligne de mire : « Nous devons continuer à avoir des compétences élargies, notamment dans la culture. » Enfin, dernier point sur lequel insiste le président du conseil exécutif : « Nous devons améliorer la politique culturelle. Nous sommes convoqués à l’interroger aujourd’hui : quels sont les enjeux portés par la culture dans le monde et sur notre territoire ? détaille-t-il en rappelant les conflits en cours. La culture est un élément clef pour penser et construire ensemble un monde vivable. »
Pour autant, Gilles Simeoni n’élude pas ce qui ne va pas comme « une excessive bureaucratie dans le domaine ou le manque flagrant d’ingénierie culturelle », mais, surtout, le contexte budgétaire qui va forcer l’Assemblée à faire des choix. Sa métaphore est éloquente : « Nous avons un corps de trois mètres avec une couverture qui en mesure deux. Nous allons devoir faire le choix et laisser des parties de ce corps dénudé. C’est une réalité économique à laquelle nous ne pouvons échapper. »
L’étude
À l’issue de ces différentes prises de parole, Antonia Luciani invite Pierre Miglioretti, directeur de l’agence Émergence Sud à présenter l’Étude qu’il réalise actuellement sur la politique culturelle de la Collectivité de Corse. Ce dernier met en avant son savoir-faire et son analyse depuis 25 ans dans le domaine. Il déroule alors un PowerPoint qui rappelle les dates, les structures, les compétences, les enjeux, etc., jusqu’à l’actuelle perspective d’autonomie. Il détaille la méthode de l’étude en cours et annonce qu’un grand questionnaire va être prochainement délivré à tous les acteurs culturels de l’île. « Ce questionnaire comme les ateliers de cet après-midi font partie des remontées de données dont nous avons besoin » précise la Conseillère. L'étude est censée se dérouler jusqu’en juillet prochain.
"Faire de la Corse un territoire de culture"
Après cette présentation, Delphine Ramos (Directrice des affaires culturelles de Bastia) et Yolaine Lacolonge (Chef du service action pédagogique artistique et culturelle de la Collectivité) accompagnent Mattea Lacave sur scène pour proposer le bilan de la candidature Bastia-Corsica 2028. La déléguée à la culture de Bastia rappelle que « sans vous, les acteurs culturels, il n’y aurait pas eu de candidature. » L’échec comme les retours de la commission ont permis de mettre en évidence le manque d’ingénierie dans le secteur. « Cette candidature nous a permis de grandir. Nous allons stopper l’association créée pour l’occasion, mais remettre à la société civile tous les résultats de notre travail », précise Mattea Lacave. Une nouvelle association portée par Vanina Bernard Leoni et Tony Casalonga, dans le sillage de cette candidature, a même vu le jour : « On a fait un rêve puis on s’est réveillé. Mais on n’a pas oublié ce que nous a appris cette candidature. Une association s’est créée, composée notamment de ceux qui avaient porté le projet, mais aussi d’autres, plus éloignée. Avec l’idée de faire de la Corse un territoire de culture, détaille Tony Casalonga. Nous voulons faire en sorte qu’elle irrigue d’autres secteurs, des déchets à l’éducation en passant par la santé. Nous voulons retrouver l’esprit d’initiative qui animait cette candidature. »
Le retard d’ingénierie mis en évidence par la candidature comme le manque de subventions européennes font partie des interrogations du public. « L’Europe est une manne financière, reconnaît Nanette Maupertuis. OK, les dossiers sont compliqués à monter, mais pour nos voisins sardes ou italiens aussi. L’université est un bon exemple, elle a monté des dossiers européens avec succès. L’Europe est à la fois un réservoir d’idée, de pratique, de moyens, mais aussi de lien diplomatique. »
Si l’exécutif avoue avoir loupé une marche avec Bastia-Corsica 2028, « on va se rattraper sur les prochaines. Mais oui, il faut du temps. Pour être prêt quand une marche se présente, on doit travailler en amont, pas au dernier moment. Capitalisé sur le Riacquistu ou sur tout ce qui a été mis en œuvre. C’est pour ça qu’il faut que l’on se voie souvent » rebondit Antonia Luciani avant d’annoncer qu’un master d’ingénierie va être créé, à Corte, parce que « la formation fait partie intégrante de nos réflexions. »
Se pose enfin dans l’assistance le problème du transfert de compétence entre l’état et la Collectivité : « Nous aurions préféré un transfert de moyen, détaille un participant. Sur le continent, c’est différent. Ici, quand on transfère la compétence culture à la Corse, se pose la question de notre identité culturelle. Nous ne devons pas la négliger ni les spécificités du territoire comme celle de l’insularité. Il ne faut pas non plus négliger le rural. Donnons-leur de l’autonomie, parce qu’ils la méritent. » Une intervention de Francescu Marcantei particulièrement applaudie.
Après ces échanges et une pause repas bien méritée, l’après-midi a été consacré aux ateliers :
– coopération culturelle en Corse, en dehors de l’île et entre collectivités
– l’usage de la langue corse dans l’expression artistique et le renouvellement de la création : vers un nouveau Riacquistu ?
– transition sociétale, économique et écologique : quelles réponses face à ces défis ?
– le développement culturel en milieu rural à l'ère du numérique : enjeux et perspectives.
La restitution de ces ateliers, des échanges et réflexions collectives qui les ont traversés, s’est faite dans la foulée avant que chacun ne se quitte et ne retourne à ses activités… culturelles. Non sans avoir oublié de se donner rendez-vous très prochainement, avec, en tête, cette phrase de Gilles Simeoni : « Ma conviction est que la culture est un élément pour guérir, pour donner du sens et pour que les gens se rassemblent pour faire un peuple. » Alea jacta est.