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Ajaccio : À la librairie "La Marge", la liberté en héritage


Cécile Orsoni le Mercredi 14 Août 2024 à 08:19

Depuis 2005, Guy Firroloni et Ghislaine Caviglioli s’évertuent à faire vivre la librairie La Marge, en plein centre ville d’Ajaccio. Riche d’un fond de 50 000 livres, elle vient de voir se renouveler son label "Librairie indépendante de référence" par le Centre national du livre. Des années de passion et de travail couronnées.



Guy Firroloni et Ghislaine Caviglioli
Guy Firroloni et Ghislaine Caviglioli
Elle est la dernière librairie d’Ajaccio. Nichée au cœur de la vieille ville, La Marge est ce que l’on nomme dans le jargon une institution. Riche de 50 000 livres, elle vient de renouveler son label « Librairie indépendante de référence » décernée par le Centre national du livre. Pour Guy Firroloni, directeur de la librairie, cette distinction est très importante : « surtout pour le personnel, car elle est un signal de reconnaissance quant à la qualité du travail fourni. Nous défendons une certaine idée du livre, comme une affirmation démocratique. » Mais à l’ère du numérique, comment La Marge a-t-elle résisté aux différents tremblements de terre qui ont secoué, années après années, le monde du livre et de l’édition ? Tout commence en 1977. Jean-Jacques Colonna d’Istria, libraire et éditeur, fonde La Marge. C’est la période du Riacquistu : « On était dans un moment d’euphorie et de bouillonnement culturel considérable. » explique Guy Firroloni, qui fonde la maison d’édition Albiana quelques années plus tard, en 1984. La Marge voit alors passer des artistes de renom comme Milan Kundera, qui anime des conférences, mais aussi Yves Klein, qui vient exposer ses toiles. Dans les années 1990, la librairie finit par connaitre des difficultés financières jusqu’à faire faillite en 2004. Guy Firroloni, alors éditeur, rachète la librairie : « Je voulais créer un espace de savoir où la fiction pouvait s’exprimer de manière libre et indépendante. Une librairie peut être un simple magasin de cartes postales ou bien, à l’inverse, diffuser de la culture dans un espace démocratique de liberté et de partage. » Il démarche ainsi une librairie, Ghislaine Caviglioli, qui travaille chez « Album », Place des Palmiers. « C’était une période où les librairies étaient en difficulté. Je voulais assurer la pérennité de La Marge et qu’elle demeure une institution culturelle. » Progressivement, l’espace s’agrandit et le stock de livres augmente. Elle devient une vitrine pour les livres d’auteurs corses, « des auteurs éphémères et d’autres qui connaitront un succès grandissant. En vingt ans, nous avons mis en lumière 2000 bouquins insulaires. » Outre les auteurs corses, la Marge s’enrichit jusqu’à compter aujourd’hui 50 000 livres, de la littérature classique à l’économie, en passant par l’histoire des religions et la bande dessinée. Un exploit ? « C’est un mélange de professionnalisme, de prudence, de compétence mais aussi d’audace. » constate modestement Guy Firroloni.
 
Guy Firroloni est avant tout attaché à la liberté : « Quand des enfants entrent dans la librairie et qu’ils s’installent sur une chaise en ouvrant un livre, je les encourage. A une époque, un gamin de dix ans venait tous les jours lire un bouquin puis il s’en allait. Pour moi, c’est qu’on a tout gagné. On ne vend pas des cacahouètes mais de la nourriture intellectuelle. Un livre, c’est un symbole de liberté. La première chose que fait un gouvernement totalitaire, c’est de brûler les livres. La lecture est aussi un espace d’imagination où l’on vit des émotions par l’intermédiaire de la langue; il est, selon moi, le produit culturel le plus complet… » Si Guy Firroloni est attaché à la liberté, il l’est aussi aux valeurs de respect de l’autre. Parce qu’il connait la puissance de la littérature, il a par exemple refusé de recevoir certains auteurs, comme Eric Zemmour, lors de la signature de son livre au mois d’avril dernier. « Je respecte tout le monde, mais si vous êtes membres du FN, vous n’avez rien à faire chez moi. Le respect de l’autre, c’est élémentaire. On ne peut pas transmettre des instruments de la liberté et valoriser ceux qui la détruisent. »
 
Forts de ces valeurs, les libraires de La Marge ont su fidéliser les lecteurs. Chaque année, au moment de la rentrée littéraire, ils reçoivent des catalogues de maisons d’édition puis ils font leur choix. « On s’intéresse à des maisons d’édition dont on connait la mentalité et qui vont publier des textes intéressants, comme les Editions de Minuit, mais aussi des petites maisons d’édition qui parfois sortent des pépites. » En qualité d’éditeur, Guy Firroloni a par exemple fait émerger l’auteur Jerome Ferrari, avant que ce dernier n’obtienne le Prix Goncourt avec Le Sermont sur la chute de Rome publié chez Actes Sud. Alors que la rentrée littéraire approche, Ghislaine Caviglioli annonce « une rentrée moins noire et moins autocentrée, avec des romans d’amour, des auteurs qui vont surprendre en explorant d’autres thématiques. Jérome Ferrari revient par exemple avec Nord Sentinelle, une oeuvre plus humoristique. » Des bons livres en prédiction, mais qu’est ce qu’un bon livre ? Pour Ghislaine Caviglioli, « un auteur qui vous emmène dans un autre univers par la force de l’écrit et qui vous raconte une histoire, soit une joie, soit un drame… mais la force du mot est quelque chose d’importante en littérature et fait la différence ». Pour Guy Firroloni, « c’est une question d’utilisation de la langue, c’est une construction de phrase complexe. » Il fait une pause : « En même temps, tout le monde s’accorde à dire que la plus belle phrase de la littérature, c’est celle qui ouvre le livre L'Etranger, d’Albert Camus : Aujourd’hui, maman est morte. »