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Arnaud Benedetti : « Le RN est en mesure d’emporter les prochaines élections »


le Jeudi 13 Juin 2024 à 12:51

Politologue, professeur associé à la Sorbonne et à l'HEIP, et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire, Arnaud Benedetti vient de publier « Aux portes du pouvoir – RN, l’inévitable victoire ? » aux éditions Michel Lafon. Alors que le Rassemblement National sort considérablement renforcé du scrutin européen, et à l’aube de la campagne des élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet, il analyse pour CNI la dynamique que connait le parti, notamment en Corse.



Politologue, professeur associé à la Sorbonne et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire, Arnaud Benedetti vient de publier Aux portes du pouvoir - RN, l'inéluctable victoire ? aux éditions Michel Lafon (Crédit photo : Justine Delmotte)
Politologue, professeur associé à la Sorbonne et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire, Arnaud Benedetti vient de publier Aux portes du pouvoir - RN, l'inéluctable victoire ? aux éditions Michel Lafon (Crédit photo : Justine Delmotte)
Vous venez de publier « Aux portes du pouvoir », ouvrage dans lequel vous vous interrogez sur « l’inéluctable victoire » du Rassemblement National aux prochaines présidentielles. Le parti de Marine Le Pen sort considérablement renforcé des élections européennes. Selon vous, peut-il l’emporter lors de ces législatives anticipées et a fortiori aux prochaines présidentielles ? 
- Il faut toujours rester prudent. Certes, la progression du Rassemblement National est forte dans tous les segments sociaux de la population, territorialement, et même en termes de génération, mais une élection législative n'est pas une élection européenne. Une élection législative c’est 577 élections différentes les unes des autres, avec parfois des paramètres locaux, des questions de notoriété des candidats, des jeux d'alliance aussi qui, sur le plan local, peuvent perturber l'apparente logique du scrutin national. Donc, il faut rester prudent. Mais il est vrai qu'au vu des résultats des élections européennes, la dynamique, à l'heure où l'on parle, est incontestablement en faveur du Rassemblement National. Il est en mesure de l'emporter, mais à ce stade, ce n'est pas encore certain. La question sera aussi de savoir si le Rassemblement National disposera d'une majorité absolue ou d'une majorité relative ? S'il obtient une majorité relative, ce sera quand même un exercice extrêmement contraint du pouvoir, d'autant plus qu’on sera dans une cohabitation. S'il a une majorité absolue, il est évident que le Rassemblement National aura un peu plus les coudées franches.
 
- Qu’est ce qui explique dynamique du vote en faveur du RN ?
- Il y a beaucoup de facteurs. Le principal est indéniablement un vote sanction contre le Président de la République. Le bulletin Bardella a en partie servi de défouloir à ceux qui voulaient sanctionner Emmanuel Macron. Il y a aussi le fait que le Président de la République s'est peut-être surexposé dans cette campagne, que la tête de liste de la campagne n'a pas réussi à impacter dans l'opinion. Et puis après, il y a des raisons de fond, c'est-à-dire qu'on est aujourd'hui avec un parti politique qui est au pouvoir depuis sept ans et qui est inévitablement confronté à l'érosion de sa popularité et de la confiance. 
 
- Sur une échelle plus locale, on constate que le mouvement nationaliste est très majoritaire lors des élections locales en Corse depuis plusieurs années, mais que lors de scrutins nationaux ou ici européen, le Rassemblement National sort largement en tête. N’y a-t-il pas une sorte de schizophrénie des électeurs corses ?
- C'est vrai que vu de l'extérieur, pour ceux qui ne connaissent pas la Corse, cela peut apparaître schizophrénique, mais en l'occurrence ça ne l'est pas forcément. Il y a en effet une majorité de Corses aujourd'hui qui sont attachés à une évolution, notamment institutionnelle qui s'inscrive dans une logique autonomiste, mais qui peuvent se retrouver dans un certain nombre de thématiques portées par le Rassemblement National. D'abord vraisemblablement sur la question de l'immigration, je crois qu'il y a un sujet qui explique les raisons du vote en Corse mais aussi sur le continent. Et puis, il y a des thématiques liées à des questions propres au territoire corse où plus de 18% de la population vit sous le seuil de pauvreté, où il y a des problèmes d'infrastructures, des problèmes de services publics, des problèmes de pouvoir d'achat… Tous ces sujets dans une élection européenne ou présidentielle, peuvent permettre au RN d’agréger des votes qui vont habituellement aux nationalistes. En apparence ce qui apparaît schizophrénique est, me semble-t-il explicable, politiquement et sociologiquement.
 
- Vous en parliez, l'un des principaux thèmes de campagne du RN, c'est l'immigration. En Corse, on voit que le parti fait des scores très hauts dans les zones rurales où l'enjeu migratoire n'est pas forcément la première préoccupation. Comment expliquer ce vote ?
- Il n'y a pas qu'en Corse où la ruralité a voté pour le Rassemblement National. Dans cette ruralité où il n’y a pas présence d'immigration, il y a une peur, une inquiétude qui se manifeste : dans beaucoup de zones rurales, on considère que jusqu'à présent on a été protégé, mais que désormais on risque de l'être moins. En Corse, il y a aussi beaucoup de Corses qui vivent dans les villages et travaillent à Ajaccio ou à Bastia, qui se déplacent quotidiennement dans ces centres et qui peuvent considérer que la présence immigrée y constituerait un problème. Ensuite, il y a aussi vraisemblablement, autant en Corse qu'ailleurs, le sentiment que l’identité – aussi bien corse qu’occidentale - serait en danger. Cela peut aussi être un facteur explicatif du vote.
 
- La dissolution de l'Assemblée nationale suscite depuis dimanche soir de nombreuses craintes pour l’avenir de dossiers essentiels pour la Corse. On pense notamment au processus d'autonomie ou même à la demande de création d’un CHU sur l’île. Quel impact pourrait avoir l'arrivée du Rassemblement National au pouvoir sur ces sujets ?
- Il est très difficile de lire. À ce stade, nous ne sommes vraiment que dans des conjectures. Certes, le Rassemblement National, si c'était lui qui l'emportait, est plutôt sur une appréciation assez jacobine de l'organisation territoriale. Mais je note, par exemple, que Marine Le Pen a évolué sur la question calédonienne. Le Rassemblement National a aussi fait preuve ces dernières années d'une très grande plasticité sur un certain nombre de sujets. Les cadres du Rassemblement National savent très bien qu'aujourd'hui, les Corses votent majoritairement pour des formations nationalistes, notamment autonomistes. Donc le jeu n'est pas forcément fermé.