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Assises de Bastia : L'issue fatale d'une soirée étudiante


Nicole Mari le Lundi 14 Octobre 2013 à 23:42

Trois affaires criminelles sont au menu de la session d'automne d'assises de Haute Corse qui a débuté, lundi matin, par le meurtre d'Antoine Casanova. Ce jeune étudiant de 22 ans a trouvé la mort le 5 février 2010 à Corte. Il succombe à un coup mortel tiré au cours d'une rixe entre deux groupes d'étudiants au terme d'une soirée arrosée. Six jeunes gens, dont l’auteur présumé des faits, se retrouvent dans le box des accusés pour différents motifs. Le procès devrait durer 4 ou 5 jours. Le verdict est attendu au plus tard vendredi.



Assises de Bastia : L'issue fatale d'une soirée étudiante
Cela aurait dû être une banale soirée étudiante, comme il y en a souvent à Corte, mais l'alcool, les armes et l'obscurité ont transformé un moment festif en un drame brutal qui a causé la mort d'Antoine Casanova, un jeune homme sans histoire, brisé la vie de six autres et plongé des familles dans la douleur et le désespoir.
 
Une tradition insulaire
Le procès qui s’est ouvert, lundi matin, à la Cour d’Assises de Bastia, est celui d’un fléau insulaire : les armes à feu et le reflet d’une société, en particulier d’une jeunesse pour qui porter une arme est d’abord une tradition, un fait culturel, un geste banal dont on ne mesure pas bien les conséquences. Porter une arme, « c’est malheureusement une habitude », avoue l’un des prévenus qui en possédait une. « C’est un fait de groupe. Je ne suis pas attiré par les armes. Je l’avais parce que ça se faisait », ajoute son camarade. « J'ai pris une arme pour tirer en l'air à la sortie des Scontri », raconte le principal inculpé. Tous expliquent qu'aux Scontri internaziunale, à ces rencontres étudiantes, « être calibré est habituel ». Le drame, malgré la marche blanche de protestation qui l’a suivi, n’a rien changé.
 
Six accusés
Dans le box des accusés, un jeune homme de 25 ans, Ghjambattista Villanova, accusé, notamment d'homicide volontaire, de détention d'armes et de violences volontaires aggravées, risque 30 ans de réclusion criminelle. Deux de ses amis comparaissent à ses côtés, libres mais sous contrôle judiciaire. Son meilleur ami, Marc-François Gianetti, est inculpé de détention et transport d'armes et, en tant que pompier volontaire, de non-assistance à personne en danger. Son autre ami, Jacques Laurent Moretti, est poursuivi pour violences volontaires aggravées, détention et transport d'armes. Également, libres mais sous contrôle judiciaire, les trois amis de la victime, Vincent Caroff, les frères Julien et Jérôme Melgrani, se sont constitués partie civile, mais, en cours d'instruction, ont été inculpés de violences volontaires aggravées pour avoir participé à la rixe. Tous ces délits connexes sont passibles de peines allant jusqu'à 10 ans de prison.
 
Retour sur les faits
Le 5 février 2010, à Corte, à 2h30 du matin, deux groupes d'étudiants, passablement éméchés, ayant bu nombre de bières et de whisky coca, se croisent, sur un chemin étroit menant au bar La Taverne. Ils ne se connaissent pas. L'un d'eux, à priori, Marc-François Gianetti, bousculerait Julien Melgrani d'un coup d'épaule. Des invectives fusent. Les deux groupes en viennent aux mains sans que l'enquête arrive à démêler qui déclenche réellement la bagarre. Dans la mêlée, un coup de feu est tiré. Antoine Casanova, 24 ans, originaire d'Ajaccio étudiant en langues étrangères à l'Université Pascal Paoli, le seul à priori à être sobre, tombe, mortellement atteint d'une balle à la nuque. Malgré une tentative de réanimation, il décède quelques minutes plus tard d'une importante hémorragie de la bouche. L'autopsie montre que la balle, calibre 9 mm, entrée par la nuque, est ressortie par la bouche. La victime présente, également, 3 lésions cutanées pré-mortelles, consécutives à des coups portés par un objet contendant.
Pendant que ses amis en état de choc donnent l’alerte, le groupe de Ghjambattista Villanova s'enfuit. L'après-midi des faits, ce dernier se constitue prisonnier en expliquant être l'auteur du coup mortel, remet son arme et indique le nom de ses acolytes. 
 
Un fort sentiment de culpabilité
« Il est difficile pour moi de me défendre aujourd'hui de la catastrophe que j'ai causée. Ma responsabilité est totale. Je rejette plus que tout ce qui s'est passé. Je n'ai jamais voulu que ça finisse ainsi ! Je vais essayer de dire la vérité. C'est le moins que je puisse faire pour soulager un peu la douleur de la famille Casanova. » Si Ghjambattista Villanova, la voix nouée, assume pleinement la responsabilité du drame, il parle d’un tir accidentel.
A l’époque, ce stagiaire du lycée agricole de Sartène est en possession d’un pistolet automatique de marque Jericho que lui a offert son grand-père paternel. Il explique qu'en infériorité numérique pendant la bagarre, il sort son arme pour intimider et frapper ses assaillants avec la crosse, en plaçant son doigt derrière la détente, contre le pontet. La sûreté manuelle n'est pas mise, une balle se trouve dans le canon, suite aux coups tirés en l'air lors des Scontri. Le prévenu se dit « étonné » par le départ d'un tir vers sa droite alors qu'il se bat. Il ajoute ne remarquer la victime que lorsqu'elle tombe à terre. « Je ne savais pas si quelqu'un avait été touché. Je n'en avais aucune idée. J’ai essayé de comprendre ce qu’il s’est passé ».
 
Intentionnel ou pas ?
L'enjeu du procès est de déterminer si le coup mortel a été tiré volontairement ou non, s'il y a eu intentionnalité de l'acte ou si, dans la confusion de la bagarre, le coup est parti tout seul ? La défense a demandé que tous les acteurs du drame se retrouvent ensemble devant les Assises, refusant la disjonction des procédures. « Cela a été un débat devant la Chambre de l’instruction parce que le parquet voulait disjoindre et renvoyer les autres prévenus en correctionnelle. Nous nous sommes battus pour que le procès soit maintenu en l’état afin que l’action de Ghjambattista Villanova soit inscrite dans son contexte », explique Me Bellagamba, l’un des conseils du prévenu avec Me Dupont-Moretti.
La défense veut démontrer que c’est le contexte particulier qui a créé le drame. Au cours de l’instruction, un expert a résumé : « S’il manque un seul des trois facteurs : l'alcool, l'obscurité et surtout les armes, il n'y a plus d'affaire ! ».
 
Pas de preuves
En l'absence d'éléments extérieurs probants, l'imprécision des souvenirs, la rapidité des faits et la confusion des témoignages, le président de la Cour d'Assises, Philippe Herald, remarque qu'il sera difficile de faire la totale lumière sur les faits. Et reconnaît, s’adressant au principal accusé : « Dès le début, vous avez assumé vos responsabilités. Si vous aviez jeté l’arme, on serait dans une situation inextricable ! ».
Néanmoins, pour le ministère public représenté par le substitut général Nicolas Hennebelle, et la partie civile, représentée, notamment, par Me Vinier Orsetti, conseil de la famille de la victime, et Me Mariaggi, conseil des amis de la victime, l'intention homicide ne fait aucun doute. Ils tentent de démontrer qu’il y a deux clans : le clan des armes et le clan des sans armes, estimant que les premiers étaient là pour en découdre.
Mais, l’audition des prévenus, notamment les proches de la victime, fait jaillir des contradictions et ne permet pas de trancher entre « ceux qui étaient meneurs, ceux qui étaient frappeurs, ceux qui étaient bagarreurs ».
 
La passion des armes
Une confusion dont la défense, vent debout, va, habilement, jouer pour déminer les charges. « En Corse, c’est quotidien, un criminel qui vient le lendemain s’accuser d’un crime ! Cela explique le taux d’élucidation des crimes en Corse ! », ironise Me Dupont-Moretti.
Les débats vont se focaliser sur la passion des armes de Ghjambattista Villanova qui, à l’âge de 16 ans, avait déjà été condamné à 2 mois de prison avec sursis pour détention d’un 38 spécial, et se trouve, donc, en état de récidive. Le président Herald cherche à comprendre pourquoi cette condamnation n’a pas eu d’effet dissuasif. « Les armes n’ont jamais été étrangères à mon environnement. Mon grand-père maternel était chasseur et garde-forestier. Mon grand-père paternel était résistant. Mon père est licencié d’un club de tir. C’était l’arme de mon grand-père. Quand je la tenais, j’avais l’impression qu’il était à côté de moi », explique le prévenu. La défense parle de « besoin de réassurance ».
 
Un portrait favorable
L’audition des premiers témoins va être très favorable à l’accusé principal, renvoyant l’image « d’un garçon posé, non violent, qui aime la nature, très attaché à ses grands parents, très attentifs aux anciens, très respectueux des traditions culturelles et religieux », appartenant à la confrérie de Calenzana, le village paternel.
Le maire de Ghisoni, le village maternel, le décrit comme « quelqu’un de curieux, qui avait de l’humour, stable et mesuré, plein de vie, intéressant… Il n’a jamais posé de problème au village ». Il avoue sa stupéfaction et son incompréhension. « C’est un échec pour moi en tant qu’élu. Je me pose la question : qu’est-ce que j’aurais pu faire pour que ça n’arrive pas ! »
La question, le père de l’accusé, vigneron à Calenzana, se l’est également posée : « Qu’est-ce que je n’ai pas dit ? Qu’est-ce que je n’ai pas fait qui aurait pu empêcher cela ? ». Il dépeint la vie de son fils lisse, banale, dans une famille séparée, mais aimante et protectrice. Rien, pour lui, même pas le dérapage adolescent qu’il punit sévèrement, ne peut laisser prévoir le drame. Une famille qui continue de se serrer les coudes autour du fils qu’elle estime avoir bien éduqué : « En tant que parents, nous nous devons d’être au plus près de lui, de l’accompagner dans cette épreuve. Ce sera toujours mon fils ! ».
 
Un drame partagé
Le témoignage de la mère de l’accusé suit, bouleversant, empli d’amour : « Nous n’avons jamais cessé de penser à cette famille qui a perdu un fils, un frère. Rien, jamais, ne viendra réparer cet état de fait. Notre famille a, aussi, subi un grand malheur d’avoir, dans notre cœur, toute cette peine, cette souffrance qui nous a détruit. Nous avons reconstruit notre vie autour de ce drame pour l’organiser en fonction de notre fils et de la façon dont nous avons à nous occuper de lui journellement. Nous essayons d’avancer avec lui parce que c’est notre devoir. Nous savons qu’il sera condamné. Nous portons, avec lui, ce poids de responsabilité, cette condamnation et nous la garderons jusqu’à la fin de nos jours ».
Elle, non plus, ne comprend pas, mais est formelle : « Je connais mon fils, je sais qu’il est impossible qu’il ait tué quelqu’un volontairement. N’importe qui, qui le connaît, peut le dire ! Il s’est retrouvé dans cette bagarre. Il ne l’a pas provoquée. Il n’est ni violent, ni agressif. Il ne s’est jamais battu. S’il avait su se battre, peut-être qu’il n’aurait pas paniqué, il se serait défendu autrement ! ».
Mardi, ce sera, au tour, des parents de la victime de témoigner.

N. M.

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