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Assises de Haute-Corse : L'énigme du pot de Nutella


Nicole Mari le Mercredi 13 Février 2013 à 22:28

C’est autour d'un pot de pâte à tartiner Nutella que se sont cristallisés les débats au troisième jour du procès d'assises de Maria Alice Moreira de Azevedo, inculpée de l'assassinat, le 1er février 2008, sur la route de la Canonica, de Chantal Dezulier, la compagne de son amant, Patrick Dutto. L'examen des faits et leur chronologie n’ont pas permis de trancher la question-clé de la responsabilité pénale, ni de l'emploi du temps de la prévenue avant le drame. Le mystère de la présence insolite de la victime sur le lieu de son trépas reste entier. Même si sa mère a son idée sur la question. Le procès s'achève, ce jeudi, avec les réquisitions et les plaidoiries. Le verdict est attendu en début de soirée.



Assises de Haute-Corse : L'énigme du pot de Nutella
Avant que l’incessante équation du pot de Nutella ne vienne, en fin de journée, lui faire, de nouveau, perdre patience, le président Herald, excédé par les débats houleux de la veille, a, dès le début de l'audience, adressé une sévère mise au point aux avocats des parties, leur demandant de « bien se tenir devant les jurés ». La semonce semble porter, le procès se poursuivant, au moins dans la matinée, dans un calme qui lui a fait défaut jusque-là. La tension resurgit, néanmoins, dans l'après-midi avec l'audition du gendarme enquêteur et l’examen des faits proprement dits.
 
Des versions évolutives
L’enquêteur confirme que Patrick Dutto, « effondré, en larmes », oriente, d'emblée, dès sa première audition par la police, les soupçons sur Alice Moreira, alors que l'enquête se concentre plutôt sur un accident mortel de circulation avec délit de fuite. Pour lui, « la première version d'Alice Moreira montre qu'elle ment », elle construit, d'abord, « un scénario » pour expliquer le pare-brise cassé. Elle apparait « calme, détendue et plausible » et n'a aucune hésitation dans ses déclarations. Elle se serait même endormie sur sa chaise au début de sa garde à vue. « A cause des tranquillisants », réplique-t-elle.
Ce n'est que devant les indices matériels, qu'elle donne une seconde version où elle prétend avoir « percuté une ombre » alors qu'elle roulait tranquillement en voiture. Plus tard, elle finit par avouer qu'elle a renversé volontairement la victime. « Sa dernière révélation est fracassante, elle nous dit qu'elle a agi sur l'ordre de Dutto ».
 
Un vampire amoureux
Ce n’est pas l’avis de l'enquêteur qui, même s’il n’exclut pas une rencontre entre les deux amants avant les faits, déclare au Président Herald qui lui demande son sentiment sur les deux protagonistes : « La conséquence de cet adultère fait que ça se termine mal pour la compagne de Mr Dutto. Mais, il n' y a rien dans la procédure et dans les éléments du dossier qui permet de soupçonner Mr Dutto d'être l'instigateur des faits. Mme Moreira apparait comme une personne jusqu'au-boutiste et qui pète facilement un plomb quand elle n'a pas ce qu'elle veut. Cela peut expliquer qu'un jour, elle décide de passer à l'acte ».
Il évoque le témoignage d'un ex-amant de la prévenue qui assène : « Elle vampirise les gens quand elle est amoureuse. Elle ne supporte pas la rupture quand ce n'est pas elle qui la provoque ». Ses collègues de travail ne sont pas plus tendres : « elle est très directive et veut jouer au petit chef alors qu'elle n'en est pas un ». Elles décrivent Patrick Dutto « ténébreux, relativement taciturne, qui communique peu ». Une autre collègue et amie affirme qu’Alice Moreira voulait se débarrasser de sa rivale.
 
Une présence insolite
L'enquêteur revient sur le mystère non résolu, déjà soulevé par la défense, de la présence illogique de la victime sur le lieu qui deviendra celui de son trépas. « Il n'y a aucune raison qu'elle se soit trouvée là, sauf si on l'y a invitée », estime-t-il. L’endroit désert et peu éclairé, était, à la fois, mal choisi pour promener un chien, sans laisse, la nuit tombée, et inhabituel pour la victime.
Cette interrogation en induit une autre : comment l’accusée a-t-elle su que la victime s’y trouvait ?
Si toutes les parties s’accordent sur le mystère, elles tentent, chacune, de combler par des hypothèses ce que l’enquête n’a pu déterminer. L’accusation veut démontrer qu’Alice Moreira a suivi Chantal Dezulier, mais n’explique pas le choix du lieu. L’un des avocats de la partie civile, Mr Gilles Antomarchi, tente de reconstituer la chronologie des faits et l’emploi du temps de l’accusée entre 18h30 et 20h30 afin de l’établir. La prévenue s'explique d'abondance et résiste fortement aux attaques de l'avocat général qui la tanne et essaye de la faire trébucher sur ses allégations.
 
Le pot de pâte à tartiner
La défense, elle, entend prouver que Patrick Dutto a envoyé les deux femmes sur le cordon lagunaire pour s’en débarrasser. Elle introduit, dans les débats, le mot « préméditation ».
La discussion se noue autour d’un pot de pâte à tartiner que la prévenue prétend avoir acheté à l’heure où l’accusation la suspecte d’avoir suivi la victime. Puis, elle s’enlise sur la marque du produit acheté : Nutella ou pas ! Un ticket de caisse, les relevés de bornes téléphoniques et le chronométrage de l’itinéraire semblent conforter la version de l’accusée. Mais, les parties s’acharnent, multiplient les questions, s’accusent mutuellement de « transformer les questions en plaidoirie ». Le ton s’envenime, l’audition de l’enquêteur s’éternise, elle durera plus de 4 heures !
Malgré sa bonne volonté, le président Herald finit par se lasser de cette interminable polémique autour d’un pot de Nutella. « Tout reste posé », conclut-il, en refusant, agacé, d’en entendre davantage.
 
La vision d’une mère
Les trous de l’enquête, Nicole Pouilly, la mère de Chantal Dezulier, a son « idée » pour les combler, notamment la disparition du chien, qui a été retrouvé, sans collier, par Patrick Dutto à 3 heures du matin près de la voiture de la victime, soit plus de 5 heures après les faits. « Chantal devait promener le chien dans le champ à côté. Le chien a du être appelé par une personne quil connaissait. Le collier est resté dans les mains de la personne qui a appelé le chien. Tout ça pour attirer Chantal sur la route ». Lorsque Patrick Dutto lui apprend par téléphone la mort de sa fille, le lendemain des faits, elle croit d’abord à un accident : « La fatalité, quoi ! ».

Pas de pardon
Puis, l’attitude de ce dernier qui « en lespace dune semaine, ne voulait plus me parler » et le testament de Chantal qui fait de lui l’héritier universel font naître des soupçons. « Quest-ce que vous penserez à ma place ? Ma fille vient d’être assassinée et cest lui qui hérite ! Au moins largent de son père aurait du aller à son frère qui est sous curatelle ! Largent de Chantal dilapidé dans la drogue ! Il dit quil ny en avait pas tant, mais c’était suffisant pour acheter de la drogue. Cest lui avec sa conduite qui ma obligée à laccuser ».
Et l’accusation, Nicole Pouilly, malgré son émotion, va la formuler clairement : « Alice Moreira et Patrick Dutto sont à mettre dans le même sac. Ils sont complices tous les deux. Aucun pardon pour Moreira ! Aucun pardon pour Dutto ! », s’exclame-t-elle.
Dans le public, la famille et les amis d’Alice Moreira applaudissent.
 
Un bonheur perdu
« Jai perdu Chantal. Jai perdu ma fille. Jai tout perdu ». Sa fille, Nicole Pouilly en brosse un portrait lumineux : « elle était très belle, très souriante, elle riait, elle prenait des fous rires, elle aimait la vie ». Elle narre son bonheur, sa complicité avec son frère Serge, son amour pour Patrick Dutto, son métier de mannequin.
« Chantal a été assassinée d'une façon barbare. Vous êtes une criminelle », lance-t-elle à l’accusée qui lui répond en sanglotant, dans un flot de paroles : « Je vous donne entièrement raison. Jaccepte votre mot, mais je ne suis pas une criminelle ».
A la fin des débats, Alice Moreira lui demande pardon.
La journée de jeudi débute par les plaidoiries de la partie civile, suivi des réquisitions du Ministère public, les plaidoiries de la défense sont prévues l’après-midi. Le verdict est attendu en début de soirée. Alice Moreira risque la réclusion à perpétuité.
 
N.M.