C’est un bel acquittement, serait-on tenté de dire ! Les deux pompiers de Ghisonaccia le doivent, non seulement à leurs extraordinaires qualités humaines, mais aussi et surtout à la remarquable prestation de leurs deux avocats, Me Gilles Simeoni et Me Cynthia Sigrist-Costa, qui ont balayé tous les éléments à charge et magistralement utilisé le doute à leur profit. Les six jurés de la Cour d'assises de Bastia n'ont pu ainsi retenir, ni le crime principal de « violence volontaire ayant entraîné la mort sans intention de la donner », ni les deux délits connexes de « violence volontaire en réunion n'ayant pas entraîné d'incapacité supérieure à 10 jours » et de « non-assistance à personne en danger ». Ils n’ont condamné les deux frères que pour le seul délit mineur que la défense avait concédé.
Il faut dire que l’exercice était, à la fois, difficile et délicat pour les parties civiles et le ministère public, confrontés à un cas de figure exceptionnel. Difficile, d’abord, de retourner une audience qui ne leur était pas particulièrement favorable. Délicat, ensuite, de trouver la juste mesure dans cette affaire hors normes qui bouscule les frontières habituelles entre accusés et victime.
Une victime oubliée
Me Victor Gioia, avocat du père et des frères de la victime, va s’y atteler et tenter, dans une très courte plaidoirie, de remettre les pendules à l'heure : « On a le sentiment d'assister au procès de Mickaël. Ce que vous devez, dans cette affaire, c'est juger les héros de toujours, les déserteurs d'un soir, ceux qui ont tourné le dos à la vérité ». Tenter également d'exorciser l'indéniable sentiment de sympathie que les frères Pini suscitent. « Les experts ont tant ferraillé pour leur tendre la main. Mais en dépit de toute cette sympathie qu’ils peuvent vous inspirer, vous devez juger en toute loyauté et sans complaisance, sans oublier la victime. Vous devez les juger en tant qu’hommes et non pas sur leur carrière exemplaire. Vous ne pouvez pas les accabler, mais vous ne pouvez pas les exonérer de tout ». Tenter enfin de restaurer, en la resituant dans son handicap, l’image peu reluisante d’une victime, en si parfait contrepoint de celle des accusés. « Il y en a un qui s’est battu pour vivre. Au 1er jour, il est condamné et il va se battre. Il est différent aussi, celui dont on a tenté de souiller la mémoire ».
Une collusion généralisée
Mais, l’avocat marseillais effleure le fond, sans s’y attarder, balayant, d’un revers de manche, les doutes, les contradictions et les incohérences, rejetant les propos des experts : « La bombe à retardement, la belle histoire ! La gâchette ! Mais le doigt dessus, c’est le leur, qui, sans le vouloir, a donné, la mort ». Brossant le tableau d’une collusion généralisée : « Les gendarmes sont embarrassés. Les témoins ont des troubles de la mémoire. On se moque de nous. Même pour eux, c’est compliqué d’admettre la culpabilité des frères Pini. Même pour vous, dit-il aux jurés, il va falloir faire un effort ». Estimant le lien de causalité entre l’intervention des prévenus et le décès de la victime « direct et incontestable », il attend une reconnaissance des faits : « On a très envie de leur tendre la main, de leur trouver des circonstances atténuantes. Oui, mais après qu’ils aient reconnu leur responsabilité ! ».
Une justice privée
A sa suite, Me Sébastien Sebastiani, conseil de l’épouse et du beau-fils de la victime, enchaîne sur cette idée de collusion : « Ça interpelle de voir pourquoi des professionnels viennent nier des évidences ? La question est : qu’est ce qu’on fait là ? Les accusés sont présentés sous les meilleurs auspices. De l’autre côté, il y a les victimes qui crachent, frappent, font des rapines et sont violents ». Il essaye, subtilement, de renverser la vapeur : « Ce sont des hommes de bien qui ont failli, mais ils n’acceptent pas de faire face à la réalité. Ils ont du mal à formaliser le fait qu’ils ont commis une agression ». L’avocat bastiais fustige « la justice privée à laquelle les frères Pini se sont livrés. C’est un véritable fléau en Corse. On ne peut pas tolérer ce genre de comportement qui conduit parfois à des drames ». Il oppose, enfin, la démesure entre le vol commis par sa cliente, qui se traduit par une amende avec sursis de 100 €, et la mort d’un homme.
Un réquisitoire très mesuré
C’est avec beaucoup de mesure et de circonspection que l’avocat général, Alain Octuvon Basile débute un réquisitoire centré sur le droit. Il définit, d’abord, le contexte : « un vol de portefeuille qui tourne au tragique avec, au bout de la route, la mort d’un homme » et « un contexte émotionnel où deux individus vont tenter de faire justice au lieu de laisser la justice se faire ». Puis, répond clairement aux questions de culpabilité posées aux jurés. Pour lui, la violation de domicile est établie, les faits de violence en réunion constitués, rappelant qu’en jurisprudence, la violence n’implique pas forcément un contact physique, mais aussi une atteinte psychique. Le lien de causalité ne fait aucun doute : « On a créé une situation qui a été à l’origine de la crise. Si Mickaël Tchepitchian était resté tranquillement boire sa bière à son domicile, serait-il mort ? Non ». Avec une loyauté, soulignée par la défense, il récuse la non-assistance à personne en danger, « difficile à déterminer ». Tenant compte du « contexte particulier, du vécu et de la réactivité émotionnels, d’une certaine altération du discernement et de l’absence de casier judiciaire », il requiert « une peine significative, comprise et entendue afin de rétablir une certaine paix à la fois pour les accusés et pour les victimes ».
Une version compatible
Autant les plaidoiries de la partie civile et le réquisitoire sont brefs et peu démonstratifs, autant la défense s’emploie, longuement et brillamment, à justifier le délit mineur avéré de violation de domicile tout en vidant, de leur contenu, le crime de violences et le délit, insupportable pour les deux pompiers, de non assistance à personne en danger.
Me Cynthia Sigrist-Costa confronte les nombreuses versions et déclarations des témoins directs, insistant sur les mensonges et les contradictions, pour mettre en doute leur crédibilité et redessiner le scénario le plus probable. A chaque allégation de violence, elle oppose les faits, « la version des frères Pini parfaitement compatible avec les éléments objectifs des enquêteurs et du médecin légiste à la version de la partie civile qui n’est pas compatible ». Elle rejette le lien de causalité en s’appuyant sur la jurisprudence qui exige une relation directe de cause à effet. « Le lien doit être direct et certain. La mort doit incontestablement être liée aux violences. Or, les experts ne donnent aucune certitude sur l’origine de la crise cardiaque. La réponse est : on ne sait pas ».
L’hypothèse et le doute
Elle rappelle que ce doute avait motivé, dans un premier temps, la correctionnalisation de l’affaire et l’abandon par le Parquet de l’accusation de coups mortels. « On vous demande de condamner ces hommes dans le cadre d’une hypothèse. A l’évidence, vous ne pouvez pas le faire. Vous ne pouvez pas condamner par rapport à une seule souffrance. Une condamnation est due à des faits et à une culpabilité ». Répondant indirectement au père de l’accusé qui avait demandé une décision exemplaire, elle rétorque : « La justice ne doit pas être exemplaire. Si vous avez le moindre doute, vous ne pouvez pas prononcer une culpabilité. Le doute doit toujours profiter à l’accusé ».
La vérité des Assises
Le doute, Me Gilles Simeoni en joue admirablement pour qu’effectivement, il profite pleinement aux deux pompiers. S’il s’apitoie, en préambule, « Quelle tragédie et quelle absurdité ! Un homme est mort pour rien ! », c’est pour mieux, ensuite, replacer, habilement et sans concession, la victime « dans la vérité de sa vie, la vérité de la Cour d’assises », accablante et violente, et lui opposer « la vie de droiture, d’honnêteté et de sacrifices » des deux prévenus. « Vous jugez des hommes et leur vie éclaire ce que vous avez à connaître des actes qui leur sont reprochés. Ça compte pour essayer de comprendre ce qui s’est passé ce jour-là », dit-il aux jurés. Il leur propose une méthode d’analyse et de confrontation scientifique des faits qui s’avère un dynamitage en règle de l’accusation de violences et des allégations des parties civiles.
Un serment à ne pas trahir
Il va s’attacher à briser le lien de causalité en tentant de limiter le fameux stress mortel. Il démontre que la brièveté de la scène du crime n’a pu le générer, l’irruption des frères Pini ayant provoqué la surprise, pas la peur. « Le doute est minime, mais il existe. Vous ne pourrez pas répondre Oui à la question. Vous trahiriez votre serment de jurés. Les experts donnent trois hypothèses, deux permettent de condamner, une vous impose d’acquitter. Vous pouvez le faire sous le double sceau de la médecine et de la justice. Les médecins vous ont dit que le doute existe et le procureur de la République, représentant l’accusation, vous le dit dans la première ordonnance de mise en accusation ».
La démonstration est forte, implacable, les phrases chocs font mouche. Après 2h30 de délibéré, les jurés l’ont suivi sur toute la ligne.
N.M.
Il faut dire que l’exercice était, à la fois, difficile et délicat pour les parties civiles et le ministère public, confrontés à un cas de figure exceptionnel. Difficile, d’abord, de retourner une audience qui ne leur était pas particulièrement favorable. Délicat, ensuite, de trouver la juste mesure dans cette affaire hors normes qui bouscule les frontières habituelles entre accusés et victime.
Une victime oubliée
Me Victor Gioia, avocat du père et des frères de la victime, va s’y atteler et tenter, dans une très courte plaidoirie, de remettre les pendules à l'heure : « On a le sentiment d'assister au procès de Mickaël. Ce que vous devez, dans cette affaire, c'est juger les héros de toujours, les déserteurs d'un soir, ceux qui ont tourné le dos à la vérité ». Tenter également d'exorciser l'indéniable sentiment de sympathie que les frères Pini suscitent. « Les experts ont tant ferraillé pour leur tendre la main. Mais en dépit de toute cette sympathie qu’ils peuvent vous inspirer, vous devez juger en toute loyauté et sans complaisance, sans oublier la victime. Vous devez les juger en tant qu’hommes et non pas sur leur carrière exemplaire. Vous ne pouvez pas les accabler, mais vous ne pouvez pas les exonérer de tout ». Tenter enfin de restaurer, en la resituant dans son handicap, l’image peu reluisante d’une victime, en si parfait contrepoint de celle des accusés. « Il y en a un qui s’est battu pour vivre. Au 1er jour, il est condamné et il va se battre. Il est différent aussi, celui dont on a tenté de souiller la mémoire ».
Une collusion généralisée
Mais, l’avocat marseillais effleure le fond, sans s’y attarder, balayant, d’un revers de manche, les doutes, les contradictions et les incohérences, rejetant les propos des experts : « La bombe à retardement, la belle histoire ! La gâchette ! Mais le doigt dessus, c’est le leur, qui, sans le vouloir, a donné, la mort ». Brossant le tableau d’une collusion généralisée : « Les gendarmes sont embarrassés. Les témoins ont des troubles de la mémoire. On se moque de nous. Même pour eux, c’est compliqué d’admettre la culpabilité des frères Pini. Même pour vous, dit-il aux jurés, il va falloir faire un effort ». Estimant le lien de causalité entre l’intervention des prévenus et le décès de la victime « direct et incontestable », il attend une reconnaissance des faits : « On a très envie de leur tendre la main, de leur trouver des circonstances atténuantes. Oui, mais après qu’ils aient reconnu leur responsabilité ! ».
Une justice privée
A sa suite, Me Sébastien Sebastiani, conseil de l’épouse et du beau-fils de la victime, enchaîne sur cette idée de collusion : « Ça interpelle de voir pourquoi des professionnels viennent nier des évidences ? La question est : qu’est ce qu’on fait là ? Les accusés sont présentés sous les meilleurs auspices. De l’autre côté, il y a les victimes qui crachent, frappent, font des rapines et sont violents ». Il essaye, subtilement, de renverser la vapeur : « Ce sont des hommes de bien qui ont failli, mais ils n’acceptent pas de faire face à la réalité. Ils ont du mal à formaliser le fait qu’ils ont commis une agression ». L’avocat bastiais fustige « la justice privée à laquelle les frères Pini se sont livrés. C’est un véritable fléau en Corse. On ne peut pas tolérer ce genre de comportement qui conduit parfois à des drames ». Il oppose, enfin, la démesure entre le vol commis par sa cliente, qui se traduit par une amende avec sursis de 100 €, et la mort d’un homme.
Un réquisitoire très mesuré
C’est avec beaucoup de mesure et de circonspection que l’avocat général, Alain Octuvon Basile débute un réquisitoire centré sur le droit. Il définit, d’abord, le contexte : « un vol de portefeuille qui tourne au tragique avec, au bout de la route, la mort d’un homme » et « un contexte émotionnel où deux individus vont tenter de faire justice au lieu de laisser la justice se faire ». Puis, répond clairement aux questions de culpabilité posées aux jurés. Pour lui, la violation de domicile est établie, les faits de violence en réunion constitués, rappelant qu’en jurisprudence, la violence n’implique pas forcément un contact physique, mais aussi une atteinte psychique. Le lien de causalité ne fait aucun doute : « On a créé une situation qui a été à l’origine de la crise. Si Mickaël Tchepitchian était resté tranquillement boire sa bière à son domicile, serait-il mort ? Non ». Avec une loyauté, soulignée par la défense, il récuse la non-assistance à personne en danger, « difficile à déterminer ». Tenant compte du « contexte particulier, du vécu et de la réactivité émotionnels, d’une certaine altération du discernement et de l’absence de casier judiciaire », il requiert « une peine significative, comprise et entendue afin de rétablir une certaine paix à la fois pour les accusés et pour les victimes ».
Une version compatible
Autant les plaidoiries de la partie civile et le réquisitoire sont brefs et peu démonstratifs, autant la défense s’emploie, longuement et brillamment, à justifier le délit mineur avéré de violation de domicile tout en vidant, de leur contenu, le crime de violences et le délit, insupportable pour les deux pompiers, de non assistance à personne en danger.
Me Cynthia Sigrist-Costa confronte les nombreuses versions et déclarations des témoins directs, insistant sur les mensonges et les contradictions, pour mettre en doute leur crédibilité et redessiner le scénario le plus probable. A chaque allégation de violence, elle oppose les faits, « la version des frères Pini parfaitement compatible avec les éléments objectifs des enquêteurs et du médecin légiste à la version de la partie civile qui n’est pas compatible ». Elle rejette le lien de causalité en s’appuyant sur la jurisprudence qui exige une relation directe de cause à effet. « Le lien doit être direct et certain. La mort doit incontestablement être liée aux violences. Or, les experts ne donnent aucune certitude sur l’origine de la crise cardiaque. La réponse est : on ne sait pas ».
L’hypothèse et le doute
Elle rappelle que ce doute avait motivé, dans un premier temps, la correctionnalisation de l’affaire et l’abandon par le Parquet de l’accusation de coups mortels. « On vous demande de condamner ces hommes dans le cadre d’une hypothèse. A l’évidence, vous ne pouvez pas le faire. Vous ne pouvez pas condamner par rapport à une seule souffrance. Une condamnation est due à des faits et à une culpabilité ». Répondant indirectement au père de l’accusé qui avait demandé une décision exemplaire, elle rétorque : « La justice ne doit pas être exemplaire. Si vous avez le moindre doute, vous ne pouvez pas prononcer une culpabilité. Le doute doit toujours profiter à l’accusé ».
La vérité des Assises
Le doute, Me Gilles Simeoni en joue admirablement pour qu’effectivement, il profite pleinement aux deux pompiers. S’il s’apitoie, en préambule, « Quelle tragédie et quelle absurdité ! Un homme est mort pour rien ! », c’est pour mieux, ensuite, replacer, habilement et sans concession, la victime « dans la vérité de sa vie, la vérité de la Cour d’assises », accablante et violente, et lui opposer « la vie de droiture, d’honnêteté et de sacrifices » des deux prévenus. « Vous jugez des hommes et leur vie éclaire ce que vous avez à connaître des actes qui leur sont reprochés. Ça compte pour essayer de comprendre ce qui s’est passé ce jour-là », dit-il aux jurés. Il leur propose une méthode d’analyse et de confrontation scientifique des faits qui s’avère un dynamitage en règle de l’accusation de violences et des allégations des parties civiles.
Un serment à ne pas trahir
Il va s’attacher à briser le lien de causalité en tentant de limiter le fameux stress mortel. Il démontre que la brièveté de la scène du crime n’a pu le générer, l’irruption des frères Pini ayant provoqué la surprise, pas la peur. « Le doute est minime, mais il existe. Vous ne pourrez pas répondre Oui à la question. Vous trahiriez votre serment de jurés. Les experts donnent trois hypothèses, deux permettent de condamner, une vous impose d’acquitter. Vous pouvez le faire sous le double sceau de la médecine et de la justice. Les médecins vous ont dit que le doute existe et le procureur de la République, représentant l’accusation, vous le dit dans la première ordonnance de mise en accusation ».
La démonstration est forte, implacable, les phrases chocs font mouche. Après 2h30 de délibéré, les jurés l’ont suivi sur toute la ligne.
N.M.