Les six jurés de la Cour d'assises de Bastia ont reconnu Maria Alice Moreira de Azevedo coupable d'assassinat, mais non pas retenu la préméditation. Ils n’ont pas suivi les réquisitions du ministère public qui demandait, en raison de sa « dangerosité criminologique » et de son refus d’assumer son acte, un quantum de 18 ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté de 10 ans. Histoire d’assurer à l’accusée, qui a déjà fait 5 ans de prison, une peine effective d'au moins cinq années supplémentaires. Pour toutes les parties, ce verdict s’inscrit dans le droit fil des débats.
Un quantum abaissé
« Cette décision a abaissé le quantum des réquisitions et considéré que la sûreté ne peut pas être mise à la charge de Mme Moreira. Il est certain que la Cour en écartant la préméditation, en considérant qu’elle avait des circonstances atténuantes a, sans doute, considéré aussi que ce dossier comportait une part d’ombre, qu’il y avait des interrogations qui insinuaient le doute sur les circonstances dont le meurtre a été commis. La préméditation, ne résistant pas à l’analyse, ne pouvait pas être retenue. Aucun élément accusatoire n’avait été apporté par l’avocat général dans sa pseudo-démonstration. Les jurés et la Cour ont considéré que Mme Moreira avait obéi à une impulsion, qu’elle n’avait pas préparé son forfait criminel. Cette lecture est conforme à la réalité du dossier. Nous allons attendre la motivation de la Cour, en discuter avec notre cliente et nous verrons s’il convient de l’accepter », commente Me Jean-Sebastien de Casalta, avocat de la défense
Une peine juste
« La peine, qui a été prononcée, est la conséquence des débats qui ont eu lieu. C’est une peine conforme au débat, normale pour ce type de fait. Je ne pensais pas qu’il y avait une préméditation réelle de Mme Moreira. Rien, dans le dossier, ne le démontrait. L’honnêteté me pousse à dire que c’est une juste peine », admet Me Gilles Antomarchi, avocat de la partie civile.
Néanmoins, la préméditation a été, en corollaire de celle de la responsabilité pénale, au cœur, à la fois, des débats, du réquisitoire et des plaidoiries. Ces deux questions ont obligé l'une des parties civiles à longuement plaider en défense, le ministère public à moduler ses réquisitions et la défense à monter à charge contre l'amant qui a bénéficié d'un non-lieu.
Une scène effroyable
La responsabilité de l'accusée est totale pour Me Florence Battesti qui, entamant les plaidoiries de la partie civile, s'attache, avec beaucoup d'émotion, de justesse et d'humanité, à exprimer la souffrance et l’incompréhension de la mère et du frère de Chantal Dezulier. Avec une douceur de ton qui rend encore plus saisissante l’horreur qu’elle décrit, elle restitue la scène du drame : « Chantal git sur la chaussée. Son visage a été brisé. Elle était méconnaissable. Elle vivait encore. Alice Moreira va l'écraser de nouveau, la secouer, la dévêtir. C'est effroyable ! Le médecin légiste va expliquer le fracas majeur de la cage thoracique. Chantal est morte par asphyxie. Elle cherchait l'oxygène. Elle a probablement compris qu'elle basculait à jamais dans les ténèbres ». Pour elle, l'amour de la victime et de son compagnon est indiscutable : « Chantal et Patrick étaient indissociables. Toute sa vie, elle a protégé Patrick de ses démons, réels et imaginaires, comme la drogue ».
Un profil noir et obscur
En contrepoint, elle dresse, sans aucune concession, un « profil extrêmement noir et obscur » de l'accusée. « Le mensonge est partout dans ses propos. Elle n'est pas perdue. Elle a livré, pour cette journée du 1er février, un parcours qui a été sciemment dessiné ». Elle estime que le trouble narcissique, diagnostiqué par les psychiatres, ne saurait amoindrir l'intention homicide. « Ce n'est pas une victime de la petite enfance ou de l'amour. C’était une amoureuse maléfique, éconduite qui a arraché à Patrick ce qu'il aimait le plus : sa femme ». Elle fustige l’attitude « effroyable » de l’accusée pendant le procès et son manque de prise de conscience. « Elle a, tour à tour, contredit toutes les réalités, elle a été opiniâtre, menteuse, tragédienne ». Et s’offusque que, dès sa première prise de parole, l'accusée parle de liberté. Pour elle, cette « gentille femme » n'a fait que du mal dans sa vie : « Elle a détruit la vie de Chantal. Elle a détruit la vie de ses fils ». Les propos de la jeune avocate qui, fait sa première plaidoirie en Cour d’Assises, font mouche.
Un exercice singulier
Si sa nouveauté rend l’exercice difficile pour Me Battesti, il sera singulier pour son confrère Me Gilles Antomarchi. Le conseil de Patrick Dutto se voit contraint de plaider en défense par anticipation pour « laver » son client, toujours accusé par Alice Moreira d’être l’instigateur du crime. « Elle rebondit de seconde en seconde, a des mauvaises réponses à tout, s’adapte à toutes les situations… C’est toujours la faute de l’autre. La première fois, c’était certainement la faute de son père. Après, ça été la faute de tous les hommes de sa vie… Elle pense qu’en salissant Dutto, elle se blanchit. C’est une stratégie ». Il tente de limiter l’impact du témoignage de la mère de la victime en concédant : « Elle a raison. Ils sont tous deux responsables. Pénalement, c’est elle. Moralement, c’est lui. C’est le provocateur de la violence. C’est vrai ! ».
Le chaud et le froid
Il justifie la longueur de la relation adultérine par le « choc de personnalité », par un rapport dominant-dominé où l’amant a peur et subit le joug de sa maîtresse qui joue sur tous les registres « le chaud, le froid, la douceur, la violence » pour le retenir. « Avec Alice Moreira, quand on dit quelque chose, on n’a pas le droit de changer d’avis. On est lié à la vie. On est lié à la mort. Elle le veut. Il est à elle. C’est sa chose ». Tout en insistant sur son amour pour Chantal Dezulier et sa peur de la perdre dès qu’il apprend son cancer, sa douleur et son désespoir quand elle est assassinée. Enfin, il échafaude une hypothèse pour le soir du drame en reprenant le timing de l’accusée et le minutage de son itinéraire qui, selon lui, n’a pas résisté à la reconstitution. Ce qui explique, conclut-il, le non-lieu de de Patrick Dutto et « démontre qu’il n’a rien à voir avec les faits ».
Une tyrannie amoureuse
Refaire le procès de Dutto est, de toute façon, « hors sujet » pour l’avocat général, le vice-procureur Yves Paillard, une tentative de « délayer les faits pour leur enlever leur consistance ». Il prévient, d’emblée : « La cour d'assises n'est pas la cour d'appel de la chambre de l'instruction. Dutto n’est pas coupable. S’il a une responsabilité morale, ce n’est pas l’objet du procès ». L’objet, c’est « le projet déçu d’une tyrannie amoureuse ». A l'inverse de la partie civile, il brosse, très finement, avec rouerie dira la défense, un portrait plus nuancé, plus subtil de l'accusée, en demi-teinte, concédant d’une main pour mieux incriminer de l’autre. Il reconnaît son amour, son besoin insatiable d'être aimé, sa névrose de l'abandon, sa souffrance. Tout en demandant aux jurés de ne pas « sombrer dans le piège d'une structure particulière de personnalité ».
Un guet apens
Pour lui, la préméditation est avérée. La seule explication plausible, c'est « un guet-apens. Elle a commis ce crime, seule. Elle a reçu la visite de Patrick dans sa tête ». Le mobile premier n'est pas de récupérer un amant, mais d'abréger une souffrance, d'assouvir la haine. « Ce n’est pas un crime passionnel. Ce n’est pas Chantal qu’il fallait tuer. Il n’y a pas de trio mortifère, pas de triangle amoureux, pas de conjugopathie. Elle voulait régler un problème avec tous les hommes qui, depuis son père, ne voulaient pas d’elle. Elle va jusqu’au bout. Elle ne se cache pas ». Sa théorie est qu’elle n’est pas influencée par un homme, mais par les circonstances qui font que « cette femme amoureuse est devenue hargneuse, méchante, criminelle ». Il n'y a pas d'altération du discernement qui pourrait limiter sa responsabilité. « Elle a pleine conscience de ce qu'elle fait, le problème, c'est qu'elle ne le reconnaît pas ». C’est pourquoi il estime qu’elle présente toujours « une dangerosité criminologique »
Un non-lieu en question
Le non-lieu de Patrick Dutto, la défense va le pourfendre dans un réquisitoire à charge. Me Marie-Josée Bellagamba explique qu’il résulte d'une insuffisance de preuves. « Beaucoup d'interrogations demeurent qui laissent la place au doute. Seul, Mr Dutto a droit au doute. Que l'on tourne et retourne ce dossier dans tous les sens, non-lieu ou pas, Mr Dutto, sa personnalité et ses mensonges sont au centre du problème ». Tout en dénonçant « l’objective complaisance des enquêteurs » envers le mari de la victime, elle liste tous les éléments troublants qui nourrissent le doute et incriminent l'amant. Sa douleur ? « Le 7 février, Chantal n'est pas encore autopsiée, ni enterrée, il contacte le notaire pour l'héritage. Le 12 février, deux ou trois jours après que Chantal soit enterrée, il ouvre sa succession ».
Un mobile financier
Elle fait siens les soupçons de la mère de la victime sur le mobile financier avec, à la clé, des assurances vie juteuses. Sa sincérité ? « Il ment à tous, à ses amis, à la maman de Chantal, il n'a aucun alibi ». Pour preuve, les nombreux SMS passionnés de l’amant à sa maîtresse. Par contraste, ces mensonges confirment, selon elle, la version de l’accusée qui, une fois établie, ne varie plus. Elle oppose « le contrôle émotionnel » de Patrick Dutto à « la passion totale » d'Alice Moreira, ses tentatives pour la décrédibiliser, l’enfoncer. « On invente de toutes pièces des frasques. On monte des témoignages en épingle. On est dans le fantasme. Au nom de ce fantasme, parce qu’il faut brûler encore aujourd’hui, les sorcières, on a requis 18 ans avec 10 ans de sureté ».
Des zones grises
Avec sa minutie habituelle, Me de Casalta s’attache à « explorer les zones grises de cette affaire et les fausses évidences ». Qualifiant le réquisitoire de l’avocat général de « caricature », il fustige « une enquête qui n’a pas été bien faite » et « une pseudo-démonstration de la préméditation que n’étaye aucun élément ». La filature ? « Improuvable, invraisemblable, abracadabrantesque ! ». Le mobile ? « Elle ne peut envisager que le meurtre lui permette de vivre avec Dutto que si ce projet a été concocté avec lui ». Il revisite, ainsi, tous les éléments à charge pour l’accusée et à décharge pour son amant, les retourne, habilement, un par un, en s’appuyant sur les conclusions du magistrat instructeur « qui n’a pu départager les deux paroles ». Pour lui, Patrick Dutto « n’est pas un innocent définitif », des interrogations persistent et donnent un certain crédit aux propos de l’accusée. Ce faisant, il torpille les hypothèses de l’accusation qui sont, dit-il, « des constructions divinatoires qui consistent à invoquer le hasard, ne reposent sur rien, que du vent !, un scénario au rabais pour faire tenir les pièces de la procédure ».
Des circonstances atténuantes
Il joue brillamment sur les doutes, les questions en suspens, les mystères, les blancs, oppose les thèses. Les SMS de Dutto prouvent « sa lâcheté, sa duplicité, son ambivalence ». Il ironise sur « l’Evangile selon saint Dutto fait à l’aune de ses mensonges » et s’interroge « N’y-a-t-il pas un autre Dutto ? Menteur, sournois, falsificateur. Les cartes du jeu seraient simples et auraient 4 couleurs : l’hypocrisie contre la faiblesse, la manipulation contre l’amour ». Il casse l’image du couple légitime parfait et le réduit à « une apparence, une communauté d’intérêts ». Et plaide trois circonstances atténuantes : la souffrance et la fragilité de l’accusée, le crime passionnel commis par une femme instrumentalisée, le crime d’amour et de l’angoisse terrible de l’abandon. Il demande aux jurés de « dépasser le caractère horrible des faits pour redonner une parcelle de dignité humaine » à l’accusée. « Vous n’avez pas le moindre commencement de certitude sur les évènements qui ont précédé l’irréversible. Dites-le ! », conclut-il.
Une demande, en partie, entendue.
N.M.
Un quantum abaissé
« Cette décision a abaissé le quantum des réquisitions et considéré que la sûreté ne peut pas être mise à la charge de Mme Moreira. Il est certain que la Cour en écartant la préméditation, en considérant qu’elle avait des circonstances atténuantes a, sans doute, considéré aussi que ce dossier comportait une part d’ombre, qu’il y avait des interrogations qui insinuaient le doute sur les circonstances dont le meurtre a été commis. La préméditation, ne résistant pas à l’analyse, ne pouvait pas être retenue. Aucun élément accusatoire n’avait été apporté par l’avocat général dans sa pseudo-démonstration. Les jurés et la Cour ont considéré que Mme Moreira avait obéi à une impulsion, qu’elle n’avait pas préparé son forfait criminel. Cette lecture est conforme à la réalité du dossier. Nous allons attendre la motivation de la Cour, en discuter avec notre cliente et nous verrons s’il convient de l’accepter », commente Me Jean-Sebastien de Casalta, avocat de la défense
Une peine juste
« La peine, qui a été prononcée, est la conséquence des débats qui ont eu lieu. C’est une peine conforme au débat, normale pour ce type de fait. Je ne pensais pas qu’il y avait une préméditation réelle de Mme Moreira. Rien, dans le dossier, ne le démontrait. L’honnêteté me pousse à dire que c’est une juste peine », admet Me Gilles Antomarchi, avocat de la partie civile.
Néanmoins, la préméditation a été, en corollaire de celle de la responsabilité pénale, au cœur, à la fois, des débats, du réquisitoire et des plaidoiries. Ces deux questions ont obligé l'une des parties civiles à longuement plaider en défense, le ministère public à moduler ses réquisitions et la défense à monter à charge contre l'amant qui a bénéficié d'un non-lieu.
Une scène effroyable
La responsabilité de l'accusée est totale pour Me Florence Battesti qui, entamant les plaidoiries de la partie civile, s'attache, avec beaucoup d'émotion, de justesse et d'humanité, à exprimer la souffrance et l’incompréhension de la mère et du frère de Chantal Dezulier. Avec une douceur de ton qui rend encore plus saisissante l’horreur qu’elle décrit, elle restitue la scène du drame : « Chantal git sur la chaussée. Son visage a été brisé. Elle était méconnaissable. Elle vivait encore. Alice Moreira va l'écraser de nouveau, la secouer, la dévêtir. C'est effroyable ! Le médecin légiste va expliquer le fracas majeur de la cage thoracique. Chantal est morte par asphyxie. Elle cherchait l'oxygène. Elle a probablement compris qu'elle basculait à jamais dans les ténèbres ». Pour elle, l'amour de la victime et de son compagnon est indiscutable : « Chantal et Patrick étaient indissociables. Toute sa vie, elle a protégé Patrick de ses démons, réels et imaginaires, comme la drogue ».
Un profil noir et obscur
En contrepoint, elle dresse, sans aucune concession, un « profil extrêmement noir et obscur » de l'accusée. « Le mensonge est partout dans ses propos. Elle n'est pas perdue. Elle a livré, pour cette journée du 1er février, un parcours qui a été sciemment dessiné ». Elle estime que le trouble narcissique, diagnostiqué par les psychiatres, ne saurait amoindrir l'intention homicide. « Ce n'est pas une victime de la petite enfance ou de l'amour. C’était une amoureuse maléfique, éconduite qui a arraché à Patrick ce qu'il aimait le plus : sa femme ». Elle fustige l’attitude « effroyable » de l’accusée pendant le procès et son manque de prise de conscience. « Elle a, tour à tour, contredit toutes les réalités, elle a été opiniâtre, menteuse, tragédienne ». Et s’offusque que, dès sa première prise de parole, l'accusée parle de liberté. Pour elle, cette « gentille femme » n'a fait que du mal dans sa vie : « Elle a détruit la vie de Chantal. Elle a détruit la vie de ses fils ». Les propos de la jeune avocate qui, fait sa première plaidoirie en Cour d’Assises, font mouche.
Un exercice singulier
Si sa nouveauté rend l’exercice difficile pour Me Battesti, il sera singulier pour son confrère Me Gilles Antomarchi. Le conseil de Patrick Dutto se voit contraint de plaider en défense par anticipation pour « laver » son client, toujours accusé par Alice Moreira d’être l’instigateur du crime. « Elle rebondit de seconde en seconde, a des mauvaises réponses à tout, s’adapte à toutes les situations… C’est toujours la faute de l’autre. La première fois, c’était certainement la faute de son père. Après, ça été la faute de tous les hommes de sa vie… Elle pense qu’en salissant Dutto, elle se blanchit. C’est une stratégie ». Il tente de limiter l’impact du témoignage de la mère de la victime en concédant : « Elle a raison. Ils sont tous deux responsables. Pénalement, c’est elle. Moralement, c’est lui. C’est le provocateur de la violence. C’est vrai ! ».
Le chaud et le froid
Il justifie la longueur de la relation adultérine par le « choc de personnalité », par un rapport dominant-dominé où l’amant a peur et subit le joug de sa maîtresse qui joue sur tous les registres « le chaud, le froid, la douceur, la violence » pour le retenir. « Avec Alice Moreira, quand on dit quelque chose, on n’a pas le droit de changer d’avis. On est lié à la vie. On est lié à la mort. Elle le veut. Il est à elle. C’est sa chose ». Tout en insistant sur son amour pour Chantal Dezulier et sa peur de la perdre dès qu’il apprend son cancer, sa douleur et son désespoir quand elle est assassinée. Enfin, il échafaude une hypothèse pour le soir du drame en reprenant le timing de l’accusée et le minutage de son itinéraire qui, selon lui, n’a pas résisté à la reconstitution. Ce qui explique, conclut-il, le non-lieu de de Patrick Dutto et « démontre qu’il n’a rien à voir avec les faits ».
Une tyrannie amoureuse
Refaire le procès de Dutto est, de toute façon, « hors sujet » pour l’avocat général, le vice-procureur Yves Paillard, une tentative de « délayer les faits pour leur enlever leur consistance ». Il prévient, d’emblée : « La cour d'assises n'est pas la cour d'appel de la chambre de l'instruction. Dutto n’est pas coupable. S’il a une responsabilité morale, ce n’est pas l’objet du procès ». L’objet, c’est « le projet déçu d’une tyrannie amoureuse ». A l'inverse de la partie civile, il brosse, très finement, avec rouerie dira la défense, un portrait plus nuancé, plus subtil de l'accusée, en demi-teinte, concédant d’une main pour mieux incriminer de l’autre. Il reconnaît son amour, son besoin insatiable d'être aimé, sa névrose de l'abandon, sa souffrance. Tout en demandant aux jurés de ne pas « sombrer dans le piège d'une structure particulière de personnalité ».
Un guet apens
Pour lui, la préméditation est avérée. La seule explication plausible, c'est « un guet-apens. Elle a commis ce crime, seule. Elle a reçu la visite de Patrick dans sa tête ». Le mobile premier n'est pas de récupérer un amant, mais d'abréger une souffrance, d'assouvir la haine. « Ce n’est pas un crime passionnel. Ce n’est pas Chantal qu’il fallait tuer. Il n’y a pas de trio mortifère, pas de triangle amoureux, pas de conjugopathie. Elle voulait régler un problème avec tous les hommes qui, depuis son père, ne voulaient pas d’elle. Elle va jusqu’au bout. Elle ne se cache pas ». Sa théorie est qu’elle n’est pas influencée par un homme, mais par les circonstances qui font que « cette femme amoureuse est devenue hargneuse, méchante, criminelle ». Il n'y a pas d'altération du discernement qui pourrait limiter sa responsabilité. « Elle a pleine conscience de ce qu'elle fait, le problème, c'est qu'elle ne le reconnaît pas ». C’est pourquoi il estime qu’elle présente toujours « une dangerosité criminologique »
Un non-lieu en question
Le non-lieu de Patrick Dutto, la défense va le pourfendre dans un réquisitoire à charge. Me Marie-Josée Bellagamba explique qu’il résulte d'une insuffisance de preuves. « Beaucoup d'interrogations demeurent qui laissent la place au doute. Seul, Mr Dutto a droit au doute. Que l'on tourne et retourne ce dossier dans tous les sens, non-lieu ou pas, Mr Dutto, sa personnalité et ses mensonges sont au centre du problème ». Tout en dénonçant « l’objective complaisance des enquêteurs » envers le mari de la victime, elle liste tous les éléments troublants qui nourrissent le doute et incriminent l'amant. Sa douleur ? « Le 7 février, Chantal n'est pas encore autopsiée, ni enterrée, il contacte le notaire pour l'héritage. Le 12 février, deux ou trois jours après que Chantal soit enterrée, il ouvre sa succession ».
Un mobile financier
Elle fait siens les soupçons de la mère de la victime sur le mobile financier avec, à la clé, des assurances vie juteuses. Sa sincérité ? « Il ment à tous, à ses amis, à la maman de Chantal, il n'a aucun alibi ». Pour preuve, les nombreux SMS passionnés de l’amant à sa maîtresse. Par contraste, ces mensonges confirment, selon elle, la version de l’accusée qui, une fois établie, ne varie plus. Elle oppose « le contrôle émotionnel » de Patrick Dutto à « la passion totale » d'Alice Moreira, ses tentatives pour la décrédibiliser, l’enfoncer. « On invente de toutes pièces des frasques. On monte des témoignages en épingle. On est dans le fantasme. Au nom de ce fantasme, parce qu’il faut brûler encore aujourd’hui, les sorcières, on a requis 18 ans avec 10 ans de sureté ».
Des zones grises
Avec sa minutie habituelle, Me de Casalta s’attache à « explorer les zones grises de cette affaire et les fausses évidences ». Qualifiant le réquisitoire de l’avocat général de « caricature », il fustige « une enquête qui n’a pas été bien faite » et « une pseudo-démonstration de la préméditation que n’étaye aucun élément ». La filature ? « Improuvable, invraisemblable, abracadabrantesque ! ». Le mobile ? « Elle ne peut envisager que le meurtre lui permette de vivre avec Dutto que si ce projet a été concocté avec lui ». Il revisite, ainsi, tous les éléments à charge pour l’accusée et à décharge pour son amant, les retourne, habilement, un par un, en s’appuyant sur les conclusions du magistrat instructeur « qui n’a pu départager les deux paroles ». Pour lui, Patrick Dutto « n’est pas un innocent définitif », des interrogations persistent et donnent un certain crédit aux propos de l’accusée. Ce faisant, il torpille les hypothèses de l’accusation qui sont, dit-il, « des constructions divinatoires qui consistent à invoquer le hasard, ne reposent sur rien, que du vent !, un scénario au rabais pour faire tenir les pièces de la procédure ».
Des circonstances atténuantes
Il joue brillamment sur les doutes, les questions en suspens, les mystères, les blancs, oppose les thèses. Les SMS de Dutto prouvent « sa lâcheté, sa duplicité, son ambivalence ». Il ironise sur « l’Evangile selon saint Dutto fait à l’aune de ses mensonges » et s’interroge « N’y-a-t-il pas un autre Dutto ? Menteur, sournois, falsificateur. Les cartes du jeu seraient simples et auraient 4 couleurs : l’hypocrisie contre la faiblesse, la manipulation contre l’amour ». Il casse l’image du couple légitime parfait et le réduit à « une apparence, une communauté d’intérêts ». Et plaide trois circonstances atténuantes : la souffrance et la fragilité de l’accusée, le crime passionnel commis par une femme instrumentalisée, le crime d’amour et de l’angoisse terrible de l’abandon. Il demande aux jurés de « dépasser le caractère horrible des faits pour redonner une parcelle de dignité humaine » à l’accusée. « Vous n’avez pas le moindre commencement de certitude sur les évènements qui ont précédé l’irréversible. Dites-le ! », conclut-il.
Une demande, en partie, entendue.
N.M.