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Assises de Haute-Corse : Une audience sous tension


Nicole Mari le Mercredi 13 Février 2013 à 01:40

Au deuxième jour du procès d'assises de Maria Alice Moreira de Azevedo, inculpée de l'assassinat de la compagne de son amant, Chantal Dezulier, le 1er février 2008, sur la route de la Canonica, les nombreux experts, qui se sont succédés à la barre, n'ont pu trancher, de manière certaine, la question de la seule responsabilité de l'accusée. Si l'audition des fils de la prévenue offre un moment de forte émotion, celle de l'amant, Patrick Dutto, très virulent contre son ex-maîtresse, met l'audience sous haute tension. Ce procès très passionnel devrait déborder jusqu'à jeudi.



Assises de Haute-Corse : Une audience sous tension
Alice Moreira a-t-elle agi de sa propre initiative ou sous l'influence de son amant ? Effleurée la veille, la question cruciale de la responsabilité pénale a été au cœur des débats de cette deuxième journée d'audience. L'atténuation légère ou modérée de cette responsabilité peut, au final, permettre de moduler la peine. La défense entend impliquer, comme l’instigateur de l’assassinat, l'amant, qui est passé, après un non-lieu, du statut de complice à celui de plaignant, le ministère public et la partie civile s'opposant violemment à cette thèse. La tension s'alourdit au fil des débats, d’autant que de nombreux points reste mystérieux.
 
Ecrasement ou choc frontal
A commencer par les circonstances de l'accident que le médecin légiste ne peut déterminer avec certitude. L’autopsie révèle que la victime, qui a perdu beaucoup de sang, entre 1/2 et 3/4 de litre, est décédée de lésions mortelles du thorax et des côtes. Celles-ci l'ont empêchée, en très peu de temps, de respirer, rendant toute tentative de secours quasi-inefficace. Cependant, « en l'absence d'empreintes de pneus sur le corps et de fracture ouverte, à l'exception du nez », le médecin ne peut conclure sur le mode opératoire, mal expliqué par l’accusée, qui se contredit, répond à côté, défoule ses remords. « Aucun élément ne permet d'affirmer qu'il y a eu un enfoncement du corps. Quand il y a écrasement, il y a généralement certaines fractures. Je ne peux pas vous affirmer qu'il n'y a pas eu écrasement, mais on ne peut pas l'exclure », dit-il. Il privilégie « un choc frontal direct par retournement, un fauchage qui heurte le corps et un atterrissage du visage au niveau du pare-brise ».
 
Une personnalité histrionique
Ensuite, les trois expertises psychiatriques, qui se succèdent et se rejoignent, laissent des portes entrouvertes où la défense, assurée par Me Marie-Josée Bellagamba et Me Jean-Sébastien de Casalta, va tenter de s’engouffrer. La prévenue est dépeinte comme « très anxieuse, impressionnable, dans un état dépressif récurrent, insatisfaite de ses échecs sentimentaux successifs, intolérante à la rupture… ». Si sa relation avec Patrick Dutto est perturbée, de type conjugopathie, elle n’en est pas moins « réelle, authentique, reconnue ». Ne souffrant pas « de troubles majeurs dans la structure de sa personnalité », elle jouit de toute sa faculté de discernement et du contrôle de ses actes. Ainsi son acte criminel a pu être favorisé par sa personnalité, mais pas en lien direct. Les experts lui reconnaissent une personnalité « histrionique », c'est-à-dire « très théâtrale, faite de réponses émotionnelles et de quête d'attention permanente, facilement suggestible et influençable par autrui et les circonstances… ».
 
Un partage des responsabilités
La défense bondit sur ces derniers symptômes. Me De Casalta talonne l’expert qui concède que la prévenue a pu avoir un discernement altéré au moments des faits, « sa capacité de contrôle a failli, l'envahissement de l'émotion a favorisé le passage à l'acte ».
Un autre expert, chargé d’analyser la perception du rapport amoureux chez les anciens amants, apporte également de l’eau au moulin de la défense en posant la question de la responsabilité criminelle, unique ou partagée. Notant que cette perception est totalement différente, il indique que le « souci principal » de Patrick Dutto est de « charger Alice pour la décrédibiliser et pour montrer qu'il n'a rien à voir dans cette affaire ». Or, estime l’expert, Patrick Dutto a « suscité un espoir de vie commune » et fait « le lit d'une emprise au sens psychologique du terme en ne prenant pas de position entre les deux femmes ».
 
Un non-lieu en question
Il formule trois hypothèses. Il écarte, comme fort improbable, la première, celle où Alice Moreira aurait imaginé, seule, sa stratégie. Il s’interroge sur une « élaboration de stratégie commune par interaction mutuelle de l'un et de l'autre pour se débarrasser d'un obstacle : la compagne légitime ». Pour lui, un « fantasme de mort peut avoir germé dans l'esprit des deux amants ». Enfin, il n’exclut pas « le conditionnement insidieux » de la prévenue par son amant dans une stratégie élaborée pour se débarrasser des deux femmes.
La défense, à l’affut, s’empresse, par la voix de Me de Casalta, d’avertir les jurés que le non-lieu de Patrick Dutto n'est pas définitif et que des charges nouvelles peuvent encore surgir contre lui.
 
L'amant à charge
Une perspective qui fait rugir l’intéressé. « Depuis 2 jours, je n'ai jamais entendu autant de mensonges en aussi peu de temps. J'ai beaucoup à dire », entame celui qui, désormais, ne désigne plus son ex-amante que par le terme : "l'accusée". Comme le soulignait l’expert, son seul souci est de la charger de tout et de la décrédibiliser. Son hostilité est manifeste. Ses propos très durs, violemment dénigrants, voire injurieux. Prétendant ne jamais avoir trompé sa compagne avec laquelle il a passé 22 ans, maximisant son couple officiel, il minimise complètement ses sentiments pour son ex-amante et rabaisse leur relation à quelques rapports sexuels. « Je n'ai jamais dit que j'allais quitter ma femme pour l'accusée. C'est faux ! ça n'existe pas ! ». Il l’accuse de harcèlement, d'avoir tué ses chats et son chien, volé son courrier, les numéros de téléphone de ses proches...
 
Une culpabilité morale
Il se dédouane de tout, retourne tout à son avantage, s'énerve à la moindre contradiction, s’emporte d’avoir pu être suspecté. Il n'accepte pas que le Président Philippe Herald lui rétorque : « Admettez que votre comportement n'est pas si clair que ça. Votre attitude est ambivalente ». Dans sa colère à s'exonérer, il se contredit souvent, ne se démonte jamais.  
Oui, il a bien orienté l'enquête de gendarmerie sur la prévenue. « C'était elle. J'en étais sûr ». Oui, il a touché une assurance-vie souscrite et l'héritage du père de la victime qu'il a flambé dans la cocaïne. Il reconnaît sa « responsabilité morale, c'est ma faute bien sûr. Pénalement, je n'ai rien fait. Moralement, je suis responsable à 300%. Ça me tue la vie ! Depuis 5 ans, je suis mort ». Lorsque Me de Casalta demande au Président d'acter ces propos, Patrick Dutto s’enflamme contre l’avocat et se pose en victime.
 
De violents incidents daudience
Au fil de son audition, les incidents d'audience se multiplient entre la partie civile, le ministère public et la défense. Ils atteignent une rare violence quand l'avocat général tanne Alice Moreira qui, jusque-là, la tête et les yeux résolument baissés vers le sol, n’avait dit mot. Sa réponse, qui se perd dans une logorrhée accusatoire, fait hurler son ex-amant qui veut l'empêcher de parler. La défense intervient, la partie civile renchérit. Les échanges s'enveniment. Le Président a toutes les peines du monde à ramener le calme. Patrick Dutto quitte la salle en claquant la porte et revient, plus calme. Mais la tension ne faiblit pas. Dans le box, la prévenue s’effondre en pleurs. L’audience risque de tourner court, le président Herald est prêt à sauter sur l’occasion pour zapper l’interrogatoire de la défense qui n’entend pas laisser échapper celui qu’elle considère comme la pièce maitresse du jeu.
 
Un mystère irrésolu
Finalement, malgré les interruptions incessantes de l’avocat général qui n’arrête pas de pinailler et d’ironiser, Me De Casalta tente de reconstituer les circonstances le soir du drame, soulève le mystère irrésolu de la présence de la victime à un endroit où elle n’aurait jamais du se trouver. Il s’étonne du comportement de Patrick Dutto, après la mort de sa compagne et de ses tentatives pour voir et parler à l’accusée, ainsi que de son empressement à la charger, « à nourrir le soupçon ». A sa suite, Me Bellagamba pointe les contradictions, les mensonges et les fluctuations des déclarations de l’ex-amant sur sa maîtresse, tacle sa tentative de minimiser la durée et l’intensité de sa relation adultérine, lit des SMS qui contredisent les propos qu’il vient de prononcer et qui confirment une partie des dires de l’accusée. A chaque fois, Patrick Dutto, se contente de répondre avec aplomb : « J’ai dit ça ! Voilà ! ». L’audience s’achève dans un malaise certain.
 
L'émotion des fils
Cette audition âpre et passionnelle contraste avec la courte séquence d'émotion qui l’a précédée lors de l'audition des deux fils de la victime, dont le Président salue la pondération et l'objectivité. « Elle se privait de manger pour nous. Aujourd'hui, je suis là pour elle. Je ne pourrais jamais lui rendre tout l'amour qu'elle a pu me donner. Si je dois renaître, je choisirais la même mère. Je suis anéanti. Rendez-moi ma maman ». Le témoignage du fils ainé est bref et poignant. « Maman, je t'aime », lui dit-il en quittant la salle. Le fils cadet insiste sur le caractère « exemplaire » de sa mère : « Elle a toujours été là pour nous, là où il fallait. Si aujourd'hui, j'ai un travail et des projets, c'est grâce à elle ». Et sur sa souffrance : « Elle a eu des passages difficiles. Elle avait un manque d'amour. Il lui manquait toujours quelque chose. Elle a essayé de se reconstruire, elle n'a pas réussi. Ce qu'elle a fait, ce n'est pas d'elle ! ». Les deux fils avoueront ne pas aimer Patrick Dutto, « qui se droguait ». « Je ne l'ai jamais senti », diront-ils en chœur, l'évitant quand il venait à la maison, le tolérant parce que leur mère était heureuse.
La journée de mercredi devrait être marquée par le témoignage de l’autre partie civile, la mère de la victime, silencieuse jusqu’à présent, qui suspecte Patrick Dutto de n’être pas étranger à la mort de sa fille, et par les rapports des enquêteurs.
 
N.M.