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Assises de Haute-Corse : Une plaidoirie violemment réquisitoire


Nicole Mari le Jeudi 24 Octobre 2013 à 20:54

Les auditions émouvantes, à la fois, de la victime et des proches de l’accusé, ont été les moments forts de ce deuxième jour du procès d'assises concernant la querelle de parking qui a mal tourné le 28 avril 2010 à Vescovato. La question centrale, qui a agité les débats, porte sur l’intentionnalité ou non de l’acte. Les experts parlent d’une situation de crise qui a favorisé le passage à l’acte. La défense demande la requalification des faits en blessures involontaires. La partie civile, qui a débuté les plaidoiries, s’est lancée dans un violent et surprenant réquisitoire à charge contre l’accusé. Le verdict est attendu vendredi après-midi.



Me Dominique Mattei, ex-bâtonnier de Marseille, avocat de la partie civile.
Me Dominique Mattei, ex-bâtonnier de Marseille, avocat de la partie civile.
La deuxième journée d'audience a été ponctuée de forts moments d’émotion tant du côté de la victime que des proches de l’accusé. Les débats, fort subtilement menés par le Président Macoin, ont renforcé l’impression de « gris » dans cette affaire où ce que l’on tait pèse autant que ce que l’on dit. Au final, la défense marque des points. La virulente plaidoirie, furieusement manichéenne, de Me Dominique Mattei, en partie civile, n’a servi qu’à renforcer le malaise ambiant.
 
Un piège délibéré
Emotion, d’abord, avec l’audition de la victime. Barthélemy Carli raconte le « calvaire » qu'il vit depuis le drame, son coma artificiel durant deux semaines, ses souffrances physiques, morales et psychologiques, ses greffes de peau, les cicatrices indélébiles… Le président Macoin fait circuler les photos impressionnantes de son corps brûlé.
La victime évoque, ensuite, sa peur et cette violence qu’il ne peut accepter et qu’il estime « sans commune mesure » avec l’objet de la dispute. Il affirme n’avoir « jamais fait que du bien » à Daniel Lamasa. Ce dernier a, selon lui, fait preuve d’un comportement qu’il qualifie « d’animal, de barbare, pas d’homme. Si c’était un homme, il aurait pris un fusil ! ». Il est convaincu d’avoir été « délibérément attiré dans un piège ». Avançant même l’idée de préméditation, il estime que si l’accusé avait juste voulu mettre le feu à la voiture, il s’y serait pris autrement, « plus discrètement, sans que personne ne le voit ». Quand le président Macoin lui demande : « Qu'est-ce que vous attendez de ce procès ? », il répond, larmoyant : « Une justice ! Une vraie justice ! Ça n'effacera pas ce que j'ai enduré. Toutes les nuits, j'ai son visage dans la tête ».
 
Une névrose traumatique 
Ce trop-plein émotionnel est relayé par une expertise psychologique qui diagnostique, chez la victime, « une névrose traumatique ». Celle-ci serait liée à deux événements qui ont pesé sur sa vie : la catastrophe de Furiani et ce drame de Vescovato. Après avoir été blessé dans la catastrophe de Furiani, Barthélemy Carli sombre dans la dépression et fait plusieurs séjours dans un hôpital psychiatrique. L'expert explique sa difficulté à accepter le second drame, son incompréhension. « Il a vécu cette agression comme une infraction interne qui s'est fixée au niveau psychique, un traumatisme psychique vis-à-vis d'un acte qui lui a fait penser qu'il allait mourir. Il est très vulnérable, plein de souffrance et somatise. Il a besoin de comprendre pourquoi. C'est fondamental ». Il décrit sa vie quotidienne emplie de « peur, de paranoïa, de confusion psychique, d'angoisse dévorante destructrice à long terme » qui lui fait perdre « la question du discernement entre son imaginaire, sa peur panique et la réalité ».
 
Un remords sincère
Emotion, ensuite, de l'accusé devant les souffrances de la victime : « Lorsque j'ai vu la photo et que j'ai entendu la souffrance de Barthélémy, j’ai mesuré l'énormité de ce que j'ai provoqué. Je veux demander pardon à Barthélémy et à sa famille. Même s'il ne me croit pas, je veux qu'il entende que je n'ai jamais voulu ça ! ». Les expertises psychiatriques et psychologiques le montrent, d’ailleurs, « parfaitement conscient de la gravité des faits qu’il a commis » et plein d’un « remords qui semble sincère ».
C’est encore par une violente émotion non maîtrisée que les experts expliquent le passage à l’acte de Daniel Lamasa. Le psychiatre, qui ne relève aucune anomalie mentale ou psychique, dépeint une personnalité dont les « traits psychorigides se sont révélés de façon dramatique en réaction à une situation conflictuelle et à des frustrations vécues comme insupportables ».
 
Un vécu persécutoire
Le psychologue va plus loin et parle d’une « labilité émotionnelle, très réactive » qui, jointe à « une macération névrotique et à un vécu persécutoire aggravant la tension intra-psychique de l’intéressé », explique le passage à l’acte. « On était face à quelqu’un en situation de crise, victime de persécutions, qui n’arrive pas à prendre de la distance par rapport aux faits. Il y avait un décalage entre la réalité objective des évènements et la façon dont il les a interprétés. Il suffisait d’une étincelle. Le prévenu a été dépassé sur le mode émotionnel. Il n’a manifestement pas de dangerosité sur le plan social. C’est dans un contexte précis qu’il a présenté un passage à l’acte agressif vis-à-vis de quelqu’un ».
Cette analyse, en repoussant implicitement toute idée de préméditation ou d’intentionnalité, valide l’hypothèse du coup de folie plaidée par la défense. 
 
La question-clé
Cela n’empêche pas le président Macoin de revenir, encore et toujours, sur la question-clé de la mise à feu. Pressé, à la fois, par le Président, par l'avocat de la partie civile qui tente, de manière insidieuse, de lui faire dire qu'il a eu « un geste malheureux, mais volontaire » et par son propre conseil, Daniel Lamasa n'en démord pas et reste ferme sur ses déclarations. « Votre colère initiale ne s'est-elle pas déplacée de la voiture à son propriétaire ? », interroge fermement Me Simeoni, qui, pour expurger le doute une fois pour toutes, se fait l’avocat du diable, prenant de cours son client. « Non ! Non ! Je n'ai jamais pensé une seconde à tuer quelqu'un. Je sais que ça semble complètement fou. Je vous assure que je n'ai pensé qu'à mettre le feu à la voiture. Je n'ai jamais pensé que quelqu'un puisse intervenir et m'en empêcher. Je sais que je ne suis pas crédible en disant ça. J'ai du mal à le croire moi-même », rétorque le prévenu avec force.
 
Pas dupe !
Le témoignage d'un adjoint au maire de Vescovato vient, également, apporter de l'eau au moulin de la défense en partageant les responsabilités. « Chacun disait que l'autre le provoquait. Tout était prétexte à une altercation, les provocations fusaient de part et d'autre, ça montait en puissance. Je suis persuadé que les frères Carli n'ont rien à voir avec la crevaison, ce n'est pas leur genre. Je ne crois pas que Daniel Lamasa ait voulu attenter à la vie de quelqu'un. Il voulait mettre le feu à la voiture car toute l'histoire tourne autour des voitures. C'est un mauvais concours de circonstance ».
Un autre villageois, de manière tout aussi neutre, déplore « le manque de dialogue alors qu’une explication aurait permis d’éviter tout ça ! ». Le président Macoin, lui, aussi, tente de faire la part des choses dans les responsabilités des deux parties en taclant, au passage, les témoins directs du drame qu’il suspecte d’être orientés. « Il suffit de regarder dans la salle pour voir comment se positionnent les témoins en deux côtés distincts. On n’est pas dupe », commente-t-il.
 
Un homme bien
L’émotion, enfin, atteint un point culminant avec les témoignages émanant de la famille de l'accusé, de ses amis et de ses collègues instituteurs. Tous dressent, unanimement, le même portrait sans équivoque d'un « homme bien, gentil, serviable, calme, droit, honnête, équilibré, toujours entouré d'amis, fidèle », mais aussi « discret, pudique, réservé, qui ne s'est jamais battu ». Ses collègues vantent ses qualités d'instituteur, proche des enfants. Sur les bancs du public, de nombreux enseignants amis sont venus lui apporter leur soutien, comme ils le font depuis le drame. Tous parlent de leur stupéfaction et leur incompréhension. Son frère résume l'opinion générale : « La tentation d'homicide, ce n'est pas possible, ce n'est pas mon frère. Non ! Il n'a pas fait ça ». Sa première femme le dit avec une émotion contagieuse qui étreint jusqu’aux jurés : « Le père de mes enfants n'est pas un assassin. L'homme, avec qui j'ai vécu, n'est pas un assassin. C'est quelqu'un d'entier et de généreux ». Un de ses collègues exprime l’avis de tous ses proches : « Pour faire ça, il s'est passé quelque chose qui l'a poussé à bout ».
 
La requalification des faits
Le débat se clôt avec la demande de Me Simeoni de requalifier les faits. La défense avait déjà sollicité, en cours d’instruction, la requalification de « tentative de meurtre » en « blessures involontaires ayant entrainé une incapacité supérieure à 3 mois ». Son objectif est de déconnecter le fait principal touchant la victime du fait subsidiaire concernant la mise à feu de la voiture. Pour cela,  elle s’appuie sur les dires de l’accusé qui affirme n’avoir jamais eu l’intention, ni de porter atteinte à l’intégrité physique de la victime, ni de le tuer. De ce fait, les blessures occasionnées sont involontaires. La Chambre de l’instruction avait, alors, refusé. Mais, la Cour d’assises étant souveraine, la défense repose la question aux jurés qui devront y répondre dans leur délibéré. L’enjeu est, bien sûr, le quantum de la peine.
 
Condamné à vie
Les plaidoiries débutent par la partie civile qui, avec beaucoup de lyrisme et d'emphase, mais sans aucune nuance, ni concession, se lance dans un violent réquisitoire à charge contre l’accusé. Me Dominique Mattei, brosse, d'abord, très habilement, dans une rhétorique parfaite, tant dans le verbe que dans le ton, le portrait d'une victime condamnée à vie face à un prévenu libre et dangereux. « C'est un dossier triste, violent, affligeant, tragique et dérisoire dans sa genèse. C'est une affaire aux couleurs agressives en rouge et noir, rouge comme le sang qui a perlé des blessures de Barthélemy Carli, noire comme la couleur de sa peau après que les flammes l'ait brûlée, déchirant comme les cris qu'il pousse après les faits. C'est une affaire définitive car Barthélémy Carli est enfermé dans une infirmité dans laquelle il est condamné à vieillir dans une sorte de condamnation à perpétuité médicale. Pourquoi ? Pour rien ! Pour pas grand chose ! Pour des raisons ridicules, déraisonnables, minables, petites, pour des vexations de seconde zone ».
 
Un portrait au vitriol
Puis, l'ex-bâtonnier marseillais verse étrangement dans la sophistique. Dans sa volonté de taper fort, il recompose un portrait au vitriol, complètement noir de Daniel Lamasa, qui ne correspond pas à la réalité des débats. Dans le but visible de brouiller la figure d’honnête homme que dessinent la quasi-totalité des témoignages, il peint un autre individu « détestable, arrogant, insupportable, lunatique, sans hauteur, sans panache, instable, contrarié par son image, qui veut dicter ses ordres, avec des problèmes relationnels, qui a été accueilli et a profité, qui joue avec la vérité et la manipule ». Il insiste sur le fait que les conséquences de la mise à feu étaient prévisibles et inévitables. Pour lui, le prévenu « voulait tuer » dans « l’état d'esprit vengeur d'un homme vexé, dominé, qui n'a pas trouvé sa place » et « manifeste une intention criminelle » par un « geste d’aspersion d’essence volontaire puisqu’il a été réitéré ». Il conclut en insinuant que « le caractère de dangerosité », que présenterait l’accusé, pourrait, un jour, « se réveiller » et en faire « définitivement un meurtrier ».
Si l’on est indéniablement admiratif devant l’art consommé de l’éloquence et la richesse du verbe de l’un des ténors du barreau de Marseille et même de l’implacabilité de son argumentation, on ne peut que s’étonner du choix de cette stratégie d’outrance dans le propos. Tant d’excès aura-t-il l’effet escompté sur les six jurés qui délibèreront, demain, en fin de matinée après le réquisitoire et les plaidoiries des deux avocats de la défense ? Réponse dans la journée.
N. M.