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Bastia : Des marins en procès contre la SNCM


Nicole Mari le Lundi 8 Octobre 2012 à 01:58

Quatre marins de la SNCM ont saisi le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale (TASS) de Bastia pour demander la reconnaissance de l'origine professionnelle de leur maladie qui aurait été contractée au contact de produits toxiques. Ils accusent leur employeur de "faute inexcusable". L'armateur leur oppose le droit et le statut des marins. Le jugement a été mis en délibéré au 12 novembre.



Bastia : Des marins en procès contre la SNCM
C'est un procès peu ordinaire qui s'est tenu, lundi après midi, au TASS de Bastia et qui fait suite à un autre procès qui a eu lieu le 17 septembre dernier à Marseille. Quatre marins en Corse et trois sur le port phocéen saisissent la justice pour faire reconnaître le caractère professionnelle de leur maladie. Ces sept marins, au total, avaient déposé plainte de manière séparée, c'est le syndicat marins FO région Corse-PACA qui a regroupé les doléances dans l'espoir que ces cas fassent jurisprudence et que le droit change pour les générations futures.
 
Un statut inchangé
Le vrai problème, qui est en cause, est celui du statut du marin, inchangé depuis 1938, qui ne prévoit ni la maladie professionnelle, ni la faute inexcusable de l'employeur. Me Victor Gioia, l'avocat des marins, dénonce "une rupture d'égalité entre les travailleurs sédentaires qui bénéficient du droit du travail et les travailleurs embarqués qui en sont exclus. Même le Conseil constitutionnel dit qu'il est temps qu'un travail en mer soit reconnu comme un travail sur la terre". Il s'appuie sur une décision de la Cour de cassation du 22 septembre 2011 qui a reconnu le caractère de maladie professionnelle pour les marins.
 
Un lien de causalité
De ce fait, il est extrêmement difficile pour un marin de faire établir, par son employeur et par l'Etablissement national des Invalides de la marine (ENIM) qui est la sécurité sociale des marins, un lien entre sa maladie et ses conditions de travail. Des conditions que Me Gioia n'hésite pas à qualifier de "dramatiques" notamment en cale où les marins sont exposés "au bruit, à la fureur, à la chaleur infernale et aux produits toxiques sans aucun équipement de protection". Pour les autres, l'avocat dénonce un "état d'alerte et de stress permanent". Etablir le lien de causalité entre l'activité professionnelle et une maladie neurologique qui, parfois, se déclenche 20 ans après est l'enjeu du procès.
 
Y a-t-il faute ?
L'autre question soulevée par la défense est : l'employeur a-t-il une connaissance exacte de ce qui se passe dans les cales ? Connait-il les conditions de travail des marins ? Si oui, il serait coupable de "faute inexcusable", celle d'avoir mis en danger la vie de ses salariés, ce qu'entend démontrer Me Gioia pour qui la SNCM ne peut pas ne pas savoir. "Un tuyau d'échappement est aussi nuisible dans les garages à terre de la SNCM que dans les cales de ses bateaux. Pourquoi le même employeur prend-il en compte les risques sur la terre et pas en mer ?".
 
lai prescrit
Pour l'avocate de l'ENIM, il ne peut y avoir, dans chacun des quatre cas examinés, de maladie professionnelle soit parce qu'il y a prescription, soit parce que le délai entre le dernier mois d'exposition aux produits toxiques et le dépôt de plainte est trop long, soit parce que les plaignants bénéficient dé de pension d'invalidité pour accident de travail. Elle demande que les marins soient déboutés.
 
La preuve et la faute
me requête de la SNCM. Si à Marseille, l'armateur fut absent à l'audience, à Bastia, il a été représenté par son conseil qui a plaidé le droit. "Il ne s'agit pas pour la SNCM de nier les maladies des salariés, ni leur souffrance ou leur douleur. Mais il faut revenir aux éléments de droit du statut du marin et sur la procédure de reconnaissance d'une maladie professionnelle. Rien n'est prouvé". L'avocat va s'attacher à démontrer que, dans chaque cas, il n'y a "pas d'éléments justificatifs médicaux factuels qui permettent d'établir un lien médical entre l'exposition au risque et la pathologie. Il ne suffit pas d'invoquer des conditions déplorables de travail et la conscience du risque pour ester en justice. Il y a manque d'éléments de preuve". Pour lui, sans preuve, il n'y a pas de maladie professionnelle et "sans maladie professionnelle, il ne peut y avoir aucune faute inexcusable".
Ce procès, comme celui de Marseille, est crucial au niveau du droit des marins. Il pourrait déboucher sur une décision novatrice en matière de droit social qui ferait jurisprudence, comme le souhaitent les plaignants et le syndicat FO. Le jugement a é mis en délibé le 12 novembre.

Me Victor Gioia : "Les droits des marins sont ignorés"

Bastia : Des marins en procès contre la SNCM
L'avocat des marins stigmatise les différences de traitement et de statut entre les salariés à quai et les salariés embarqués et réclame une égalité de droits.
 
- Quelle est la raison de ce procès ?
- De rétablir une égalité entre les travailleurs. Les salariés à terre sont les principaux salariés en droit du travail. Les salariés embarqués sont une catégorie particulière avec un statut à part, proche de l'esclavage. Les marins ne peuvent pas aujourd'hui, par leur statut, revendiquer les même droits que les salariésdentaires. Pourtant, les salariésdentaires sont potentiellement exposés à des risques pendant 8 ou 12 heures. Les marins, pendant un mois, 24h/24h sans interruption. Ce qui veut dire que le risque de contracter une maladie pour le sédentaire devient une certitude pour le marin.
 
- Quel type de maladie ?
- Le marin vit dans des conditions effroyables de bruit, de chaleur, d'inhalation de produits, tous plus toxiques les uns que les autres, dans des conditions de stress inouïes. Or, il n'a ni la possibilité de voir reconnaître sa maladie comme d'origine professionnelle, ni celle de mettre en cause son employeur pour une faute inexcusable. Cette faute est d'autant plus inexcusable que l'employeur a conscience du danger auquel il expose ses marins. Il fait en sorte de ne pas y exposer les salariésdentaires, organise des séminaires sur les risques à quai et ignore complètement les salariés embarqués.
 
- Comment expliquez-vous cette différence de traitement entre la terre et la mer?
- Je pense qu'on ne s'est jamais préoccupé du marin. Le marin n'est pas quelqu'un qui revendique et tape du poing sur la table. Il vit dans des conditions difficiles. Il est habitué à obéir, à exécuter car il a une culture de l'obéissance. A bord, dire Non est un crime. Donc, les marins ne disent rien, font et meurent.
 
- Ces marins ont-ils effectué d'autres actions avant de saisir la justice ?
- Oui. Ils ont fait tout un parcours de tentative de reconnaissance de leur maladie professionnelle. Mais ils ont été ignorés, on ne leur a pas répondu. Ils ont étéboutés d'un point de vue administratif au motif qu'ils ont un statut. Aujourd'hui, ils forcent la porte du tribunal.
 
- Pourquoi les syndicats de marins dont l'activisme est virulent ne se sont-ils pas emparés de la question ?
- Les syndicats de marins sont virulents sur les conditions de travail à bord. Mais quand les marins ne travaillent plus, ils n'ont plus de liens. A bord, les syndicats se battent pour la sécurité et les conditions de travail, mais les malades sont souvent oubliés.
 
- Qu'est-ce cette action en justice peut changer pour eux ?
- D'abord, leur indemnisation et leur couverture sociale. On en sait pas aujourd'hui combien de gens sont morts à cause de maladies neurologiques développées à partir de l'exposition aux produits toxiques. Il faut aussi prendre en compte les veuves et les familles endeuillées.
 
- Pensez-vous jouer sur la jurisprudence de 2011 pour obtenir satisfaction ?
- Je compte d'abord sur la clairvoyance des magistrats qui ne peuvent pas considérer aujourd'hui qu'il y a deux catégories de citoyens, ceux qui ont des droits et sont préservés parce qu'ils sont à terre et ceux qui sont ignorés et crèvent dans des cales.