En 2008, il a écrit "L'islam sans soumission", pari audacieux qui donne une autre lecture de l'islam et qui définit un véritable existentialisme musulman. Il est aussi l'auteur de "Plaidoyer pour la fraternité", "Lettre ouverte au monde musulman", "Histoire de l'humanisme en Occident"...
"Entre l'Occident et l'Islam, entre la société française et ses musulmans, se sont installés trop d'incompréhension, de défiance, de peurs et de rejets. La responsabilité est sans doute des deux côtés, et appelle maintenant à réfléchir ensemble à ce qui peut être partagé de meilleur dans les deux civilisations. L'humanisme, c'est-à-dire le sens et le respect de la dignité de l'être humain, est au centre de la grande culture de l'Islam comme de celle de l'Occident. Mais des deux côtés cet humanisme est profondément en crise, pour des raisons différentes et avec des symptômes différents. N'est-il pas temps, par conséquent, que les deux civilisations affrontent cette crise ensemble? Et que l'Islam comme l'Occident retrouvent notamment le sens de la fraternité, inscrit au coeur de tout humanisme qu'il soit d'ici ou d'ailleurs? A ceux qui suspecte la fraternité de naïveté ou d'idéalisme impropres à un monde de violences, Abdennour Bidar rappelle qu'elle engage l'idée d'universalité humaine et que son horizon est l'envers positif des combats contre la haine, le racisme, les discriminations."
Abdennour Bidar dit que lorsqu'on parle de l'islam on parle de deux choses, la religion (avec un i minuscule) et la civilisation (avec un I majuscule). Le thème de cette conférence concerne deux civilisations, l'Islam et l'Occident, à l'intérieur desquelles la religion a joué un rôle.
L'humanisme est rattaché à une période historique: la Renaissance pour l'Occident. Effectivement à cette période on s'émancipe de la tutelle du religieux et l'être humain compte plus sur ses lumières naturelles. Il y a une émancipation de l'esprit humain avec la découverte de tout le matériau culturel de l'Antiquité par les intellectuels de la Renaissance.
L'humanisme répond à une notion de dignité de l'homme. L'homme a une valeur et ce qu'il a de plus respectable c'est cet effort qu'il fait pour s'humaniser.
On retrouve des caractéristiques communes aux deux civilisations, l'Islam et l'Occident.
Erasme dans son traité d'éducation "De pueris instituendis" écrit : "On ne naît pas homme, on le devient". Ce qui signifie que l'humanité de l'homme est à construire.
Pascal écrira "Il y a en l'homme quelque chose qui passe infiniment l'homme."
Il existe un désir d'immortalité et une semence d'infini, et la nécessité de chercher une grandeur particulière, chez les humanistes d'un côté comme de l'autre.
Au début des Confessions, Saint-Augustin écrit : "Notre coeur est sans repos tant qu'il ne repose pas en toi!" C'est dans le coeur de l'homme que le Christ venu ici-bas, se donne à rencontrer. Dieu n'est pas à chercher à l'extérieur de soi mais à l'intérieur. Il ne se trouve pas à l'extérieur mais à l'intérieur de l'homme (domaine d'un Dieu de lumière intérieure).
On retrouve les mêmes pensées chez les mystiques musulmans (soufistes).
Au 5 ème siècle avant Jésus Christ, dans "La Vérité ou Discours destructifs", Protagoras écrit "L'homme est la mesure de toute chose." Ce qui donne la mesure c'est la confrontation à l'idée de Dieu.
Je suis Dieu, je suis créature...
Je suis le Trône et la natte qu'on piétine; je suis l'enfer et je suis l'éternité bienheureuse
Je suis l'eau, je suis le feu; je suis l'air et la terre
Je suis le "combien" et le "comment"; je suis la présence et l'absence
Je suis l'essence et l'attribut; je suis la proximité et l'éloignement
Tout être est mon être; je suis le Seul, je suis l'Unique.
L'être humain va chercher l'expérience de soit du côté d'une divination.
Ce sont deux civilisations, Islam et Occident, dans lesquelles certains esprits font l'expérience de Dieu, non pas comme le transcendant mais comme le coeur de notre coeur.
Jean Pic de la Mirandole, dans son traité " De la dignité de l’Homme", en 1486 , écrit :
"Très vénérables Pères, j’ai lu dans les écrits des Arabes que le Sarrasin Abdallah, comme on lui demandait quel spectacle lui paraissait le plus digne d’admiration sur cette sorte de scène qu’est le monde, répondit qu’il n’y avait à ses yeux rien de plus admirable que l’homme." (...)
Il donne une vision de l'homme caractéristique de la Renaissance et l'explication il la trouve chez le sarrasin Abdallah (serviteur de Dieu).
Dieu s'adresse à Adam (l'être humain).
Il y a là un paradoxe d'un homme créé par Dieu, libre de se créer lui-même par son propre effort, par sa liberté créatrice... de se forger, d'exprimer son imagination créatrice qu'il doit exercer pour lui-même.
Nous trouvons un être créateur en Occident à la Renaissance et il y a aussi présence dans l'Islam de la liberté créatrice, dans le Coran, lorsque Dieu créé Adam avec de l'argile:
Sourate 2, versets 30 à 34
30. Lorsque Ton Seigneur confia aux Anges : "Je vais établir sur la terre un vicaire "Khalifa ". Ils dirent : "Vas-Tu y désigner un qui y mettra le désordre et répandra le sang, quand nous sommes là à Te sanctifier et à Te glorifier? " - Il dit : "En vérité, Je sais ce que vous ne savez pas! ".
31. Et Il apprit à Adam tous les noms (de toutes choses), puis Il les présenta aux Anges et dit : "Informez-Moi des noms de ceux-là, si vous êtes véridiques! " (dans votre prétention que vous êtes plus méritants qu'Adam).
32. - Ils dirent : "Gloire à Toi! Nous n'avons de savoir que ce que Tu nous a appris. Certes c'est Toi l'Omniscient, le Sage".
33. - Il dit : "Ô Adam, informe-les de ces noms; " Puis quand celui-ci les eut informés de ces noms, Allah dit : "Ne vous ai-Je pas dit que Je connais les mystères des cieux et de la terre, et que Je sais ce que vous divulguez et ce que vous cachez? "
34. Et lorsque Nous demandâmes aux Anges de se prosterner devant Adam, ils se prosternèrent à l'exception d'Iblis qui refusa, s'enfla d'orgueil et fut parmi les infidèles.
Jésus à la même pouvoir créateur.
Dans un poème de Mohamed Iqbal, c'est l'homme qui s'adresse à Dieu : "Tu as créé l'argile, j'ai créé le vase..."
Lorsque les hommes se sont tournés vers Dieu c'est avec l'intuition qu'en allant chercher au plus loin on allait chercher au plus près.
L'homme a besoin de se donner des horizons, de regarder le plus loin possible. Le génie de la religion c'est de nous avoir fait viser Dieu.
L'humaniste dans sa définition la plus simple est quelqu'un qui aime les autres.
Pour l'Occident on trouve les commandements évangéliques.
La parole du Christ : "Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres, comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres."
L'évangile selon Matthieu :
Le commandement 22.39
" Tu aimeras ton prochain comme toi-même."
Cette règle d'or humaniste on la retrouve dans une parole du prophète Mohammed : "Aucun de vous ne devient véritablement croyant s'il ne désire pas pour son frère ce qu'il désire pour lui-même."
Il faut que nous ayons ce même commandement de fraternité dans nos deux civilisations. Que nous puissions accueillir l'autre comme un frère, ou un alter-ego.
On doit être capable de s'élever à une fraternité sans frontière, posséder la capacité à ne pas sentir nos différences comme une menace, mais comme un enrichissement, une empathie.
Ce sont toutes ces réflexions qui ont conduit Abdennour Bidar à s'interroger dès le 11 janvier 2015, et à écrire "Plaidoyer pour la fraternité". Car malgré toutes les réactions des politiques et intellectuels, il manquait un discours sur la fraternité.
Dans le Coran, il y a des versets violents, mais aussi des trésors de sagesse et d'humanité, tel le verset 34, sourate 41 :
34. La bonne action et la mauvaise ne sont pas pareilles. Repousse (le mal) par ce qui est meilleur; et voilà que celui avec qui tu avais une animosité devient tel un ami chaleureux.
Ce qui nous dessert c'est que nous sommes des êtres sans mémoire, et que deux choses nous paraissent abstraites :
- la fraternité (qui se cultive)
- l'idée que nous sommes allés chercher le sens de notre vie du côté des dieux.