Au coin d’une ruelle de Bocognano, Julie Galea reçoit volontiers dans cette maison qu’elle n’a plus quitté depuis plus de 50 ans. Assise sur son fauteuil, les joues rosies par la chaleur du petit chauffage installée près d’elle, elle ne quitte toutefois la télévision que d’un œil en ce milieu d’après-midi. Branchée sur la chaîne KTO, elle suit l’un des deux rendez-vous marquants de ses journées. « Je regarde la messe jusqu’à 11 heures. Ensuite, j’attends 15H30 pour le Chapelet », explique-t-elle. Comme l’a été l’ensemble de sa vie, le quotidien de Julie Galea continue d’être en grande partie rythmé par la religion. C’est peut-être cette foi inébranlable qui l’a conduit à fêter ses 108 ans en décembre dernier.
Une fois la prière terminée, elle accepte volontiers de retracer le fil de sa longue vie. « Je suis issue d’une des plus vieilles familles ajacciennes : les Grossetti, qui étaient les serviteurs des Bonaparte », raconte-t-elle avec patience. Couturière de métier, elle grandira dans cette Cité impériale qu’elle aime tant. « Puis, je suis montée vivre à Bocognano à 50 ans, quand mon mari a pris sa retraite. Cela a été dur pour moi de m’installer ici, mais comme cela lui faisait plaisir de venir habiter dans son village, je ne disais rien », avoue-t-elle, « C’était un village que j’aimais beaucoup, où je montais volontiers, mais pas pour y vivre ».
Un peu dépaysée les premiers temps, elle y trouvera toutefois rapidement de nombreuses occupations. « Je me suis occupée beaucoup de l’église. Un an après que je sois arrivée, le prêtre m’a demandé si je voulais bien faire le catéchisme. J’ai dit oui et j’ai donné l’éducation religieuse aux enfants jusqu’à 86 ans », sourit-elle en ajoutant humblement avoir aussi fait partie de la chorale de l’église durant de longues années. « Et puis avant, nous faisions beaucoup de kermesses et nous préparions cela un an à l’avance », reprend-elle en se remémorant les objets qu’elle confectionnait volontiers au profit de l’église. Une vie entière dévouée à la religion. « J’ai été élevée comme cela », souffle-t-elle. C’est là-aussi qu’elle a trouvera un certain réconfort durant de grosses épreuves de sa vie. « J’ai perdu ma maman à 5 ans et j’en ai beaucoup souffert. Elle m’a manqué toute ma vie », livre-t-elle, « Mon père s’est remarié car nous étions petits. J’étais l’aînée, mais il y en avait deux après ». Par la suite, Julie Galea perdra également son frère et sa sœur, tous deux très jeunes.
Je me suis fait du mal pour faire du bien aux autres
Malgré tout, tout au long de sa vie, elle fera en sorte de porter le bien autour d’elle. « Je me suis fait du mal pour faire du bien aux autres », lâche-t-elle. Mais difficile d’en savoir plus tant Julie Galea est pudique et modeste. Même si elle confie tout de même avoir aidé la Résistance pendant la dernière guerre. « Nous avions hébergé une personne qui venait de Londres. Il était avec le Général de Gaulle. Il passait les messages », se souvient-elle avec les yeux qui pétillent. Âgée alors d’une vingtaine d’années, Julie Galea s’engagera aux côtés de sa famille afin de contribuer à libérer la Corse en passant messages et documents secrets. Y compris au péril de sa sécurité. Comme cette fois où, venue à l’improviste dans l’appartement familial, la police italienne menacera de l’amener à la prison de la citadelle. « Je n’ai jamais eu peur », assure-t-elle.
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Ce dévouement et cette générosité hors normes, Julie Galea a continué à les distiller au fil des années. Elle a notamment aidé de très nombreuses personnes en leur signant l’ochju et le feu.
Signadora hors pair, elle a en effet souvent été sollicitée par des gens du village mais aussi de nombreux inconnus vivant aux quatre coins de l’île. Aujourd’hui encore, elle continue en outre, chaque soir de Noël, d’enseigner sa prière et à transmettre cet héritage. « Mais je ne peux pas guérir tous les malades, après les docteurs m’en voudraient », glisse-t-elle malicieusement.
Dans son petit salon, autour d’elle, de multiples photos en noir et blanc accrochées aux murs témoignent de cette existence à faire le bien. Un quotidien chargé qui ne lui laissera jamais le temps de s’ennuyer. Au point que c’est bien dans le village de la Gravona - qu’elle a adopté au fil des années - qu’elle choisira de demeurer après la mort de son mari il y a 45 ans. « Je ne regrette rien », acquiesce-t-elle. À 108 ans, la doyenne de Bocognano a choisi de rester vivre chez elle, dans cette maison où elle a tant de bons souvenirs et qu’elle ne quitterait pour rien au monde. Elle continue chaque jour d’étonner Dominique, son infirmière, avec qui elle a tissé un lien de complicité. « Elle m’épate. Et puis elle est pleine de sagesse. On peut parler de tout avec elle, elle est au courant de tout », se ravit cette dernière. Pour autant, pas de quoi s’extasier pour Julie Galea. « Je suis contente d’avoir toute ma tête », lance-t-elle seulement en haussant les épaules.