Le Dr Edmond Simeoni, responsable opérationnel de l’ARC au moment des évènements d'Aleria.
- Comment les évènements d’Aleria ont-ils commencé ?
- Aleria n’est ni un événement fortuit, ni un coup de tête ! Dès le début des années 60, je me suis engagé contre les essais nucléaires dans le massif de l’Argentella en créant une association corse qui regroupe plus de 600 étudiants. Nous continuons à militer parce que la situation économique de l’île est très mauvaise. Pendant deux siècles, la France n’a jamais fait les travaux nécessaires. Le plan d’action de 1957 privilégie le tourisme et l’agriculture qui, de facto, échappent aux Corses. Quand, en 1962, se pose le problème des rapatriés, l’affaire, traitée de façon inéquitable, crée un contentieux agricole. Après la naissance de l’ARC en 1967, la contestation s’intensifie avec les manifestations pour la terre, notamment dans le Fiumorbu et dans la région de Porto… La fraude électorale sévit. Il n’y a pas un scrutin qui ne soit entaché de fraude ! L’inquiétude est maximale et le mécontentement profond.
- En 1973, l’affaire des boues rouges met-elle le feu aux poudres ?
- Elle est le premier exutoire à ce mécontentement. La mobilisation populaire finit par l’emporter sur le trust Montedison. En même temps, l’ARC se structure et poursuit son chemin militant fait de manifestations, de contestations, de réunions… et de voyages chez les Corses de la diaspora, en particulier les étudiants de Nice. Après cette affaire des boues rouges qui me vaut 17 jours de prison, la Corse s’enfonce dans une situation difficile et dans un mécontentement croissant. Mr Giscard d’Estaing nomme un porte-parole, Mr Libert Bou, avec qui nous travaillons. Ce berbère amazigh comprend le problème corse et dit clairement : « Même 250 000 Corses ne pourront pas faire changer la Constitution ! ».
- Un discours étrangement d’actualité !
- Oui ! Aujourd’hui, avec François Hollande, s’exprime le même refus total de dialogue qu’en 1975 quand on découvre l’énorme entreprise de malfaçon de vin. Des récoltes exceptionnelles, trois ou quatre par an, l’utilisation de milliers de tonnes de sucre… Alors que la consommation domestique insulaire du sucre est de 4000 tonnes par an, il en rentre près de 20000 tonnes au vu et au su de tout le monde, des services de police et de douane. Cette affaire détruit l’image de la Corse. Si on y ajoute la spoliation au niveau du tourisme et de l’agriculture, le schéma d’aménagement qui prévoit la création de 200 000 lits touristiques à l’horizon 1985…, on comprend pourquoi la situation est explosive.
- Comment se décide l’opération ?
- La déclaration de Libert Bou est le déclencheur d’Aleria. La décision de passer à l’action est prise, trois jours avant, par l’Exécutif de l’ARC après de longues discussions dans un véritable climat d’ébullition politique et de radicalisation. Quelques attentats ont déjà eu lieu dans l’île. Pour des raisons de sécurité, l’opération est circonscrite à une vingtaine de personnes, des militants éprouvés et des dirigeants d’organisation syndicale ou professionnelle. Comme nous ne voulons pas être expulsés par trois grenades lacrymogènes et deux gifles, nous prenons des fusils de chasse avec la conviction certaine et partagée que nous ne les utiliserons pas. Ils sont un élément de dissuasion vis-à-vis des forces de l’ordre. Nous prenons la décision d’occuper cette terre qui est, à la fois, le symbole fort du colonialisme agricole et le lieu où sévit la malfaçon du vin.
- Quel est le but recherché ?
- Le 1er objectif est clair : dénoncer une situation coloniale en matière d’agriculture, faire cesser la dépossession de la terre et la malfaçon viti-vinicole. Le 2ème est de dire notre refus d’accepter l’arbitraire. Le 3ème est d’expliquer aux Corses de l’île et de la diaspora qu’il faut changer de politique et sortir de cette situation coloniale hyper-centralisée. Il fallait donner le ton d’une opposition très déterminée. Aleria est le point de rencontre entre deux volontés inébranlables : d’un côté, la volonté de l’Etat de ne pas permettre à la Corse de s’émanciper, de l’autre, la volonté du peuple corse de se libérer. Il faut y ajouter les luttes pour l’université, pour la langue… tous ces combats où nous montons en première ligne font comprendre que nous sommes particulièrement déterminés et dotés d’une solide expérience politique !
- Au moment du déclenchement de l’opération, pensez-vous qu’elle peut prendre une telle tournure ?
- Absolument pas ! La preuve est que nous avions affiché le programme ! Les 1ers jours, on occupait la cave et on communiquait. Le 3ème jour, le 23 août, on faisait venir tous les socioprofessionnels pour expliquer le problème viti-vinicole, la malfaçon du vin, la compromission de toutes les banques dans ce système, la tolérance de Paris qui était parfaitement au courant et ne sanctionnait nullement… Le dimanche, était prévu un grand happening avec toutes les forces vives de l’île avant de quitter les lieux. On s’attendait à être interpellé le lundi 25 août pour occupation illégale de propriété et troubles à l’ordre public.
- Quel élément fait déraper ce programme ?
- Le coup d’envoi de la radicalisation est la déclaration du ministre de l’intérieur qui annonce le 21 août : « Un commando d’hommes armés de fusils mitrailleurs et commandés par le Dr Edmond Simeoni s’est emparé, ce matin, d’une villa avec des personnes à l’intérieur… ». En entendant ce discours de guerre, de coercition, on comprend que l’affaire est prise très au sérieux par Paris.
- Aleria n’est ni un événement fortuit, ni un coup de tête ! Dès le début des années 60, je me suis engagé contre les essais nucléaires dans le massif de l’Argentella en créant une association corse qui regroupe plus de 600 étudiants. Nous continuons à militer parce que la situation économique de l’île est très mauvaise. Pendant deux siècles, la France n’a jamais fait les travaux nécessaires. Le plan d’action de 1957 privilégie le tourisme et l’agriculture qui, de facto, échappent aux Corses. Quand, en 1962, se pose le problème des rapatriés, l’affaire, traitée de façon inéquitable, crée un contentieux agricole. Après la naissance de l’ARC en 1967, la contestation s’intensifie avec les manifestations pour la terre, notamment dans le Fiumorbu et dans la région de Porto… La fraude électorale sévit. Il n’y a pas un scrutin qui ne soit entaché de fraude ! L’inquiétude est maximale et le mécontentement profond.
- En 1973, l’affaire des boues rouges met-elle le feu aux poudres ?
- Elle est le premier exutoire à ce mécontentement. La mobilisation populaire finit par l’emporter sur le trust Montedison. En même temps, l’ARC se structure et poursuit son chemin militant fait de manifestations, de contestations, de réunions… et de voyages chez les Corses de la diaspora, en particulier les étudiants de Nice. Après cette affaire des boues rouges qui me vaut 17 jours de prison, la Corse s’enfonce dans une situation difficile et dans un mécontentement croissant. Mr Giscard d’Estaing nomme un porte-parole, Mr Libert Bou, avec qui nous travaillons. Ce berbère amazigh comprend le problème corse et dit clairement : « Même 250 000 Corses ne pourront pas faire changer la Constitution ! ».
- Un discours étrangement d’actualité !
- Oui ! Aujourd’hui, avec François Hollande, s’exprime le même refus total de dialogue qu’en 1975 quand on découvre l’énorme entreprise de malfaçon de vin. Des récoltes exceptionnelles, trois ou quatre par an, l’utilisation de milliers de tonnes de sucre… Alors que la consommation domestique insulaire du sucre est de 4000 tonnes par an, il en rentre près de 20000 tonnes au vu et au su de tout le monde, des services de police et de douane. Cette affaire détruit l’image de la Corse. Si on y ajoute la spoliation au niveau du tourisme et de l’agriculture, le schéma d’aménagement qui prévoit la création de 200 000 lits touristiques à l’horizon 1985…, on comprend pourquoi la situation est explosive.
- Comment se décide l’opération ?
- La déclaration de Libert Bou est le déclencheur d’Aleria. La décision de passer à l’action est prise, trois jours avant, par l’Exécutif de l’ARC après de longues discussions dans un véritable climat d’ébullition politique et de radicalisation. Quelques attentats ont déjà eu lieu dans l’île. Pour des raisons de sécurité, l’opération est circonscrite à une vingtaine de personnes, des militants éprouvés et des dirigeants d’organisation syndicale ou professionnelle. Comme nous ne voulons pas être expulsés par trois grenades lacrymogènes et deux gifles, nous prenons des fusils de chasse avec la conviction certaine et partagée que nous ne les utiliserons pas. Ils sont un élément de dissuasion vis-à-vis des forces de l’ordre. Nous prenons la décision d’occuper cette terre qui est, à la fois, le symbole fort du colonialisme agricole et le lieu où sévit la malfaçon du vin.
- Quel est le but recherché ?
- Le 1er objectif est clair : dénoncer une situation coloniale en matière d’agriculture, faire cesser la dépossession de la terre et la malfaçon viti-vinicole. Le 2ème est de dire notre refus d’accepter l’arbitraire. Le 3ème est d’expliquer aux Corses de l’île et de la diaspora qu’il faut changer de politique et sortir de cette situation coloniale hyper-centralisée. Il fallait donner le ton d’une opposition très déterminée. Aleria est le point de rencontre entre deux volontés inébranlables : d’un côté, la volonté de l’Etat de ne pas permettre à la Corse de s’émanciper, de l’autre, la volonté du peuple corse de se libérer. Il faut y ajouter les luttes pour l’université, pour la langue… tous ces combats où nous montons en première ligne font comprendre que nous sommes particulièrement déterminés et dotés d’une solide expérience politique !
- Au moment du déclenchement de l’opération, pensez-vous qu’elle peut prendre une telle tournure ?
- Absolument pas ! La preuve est que nous avions affiché le programme ! Les 1ers jours, on occupait la cave et on communiquait. Le 3ème jour, le 23 août, on faisait venir tous les socioprofessionnels pour expliquer le problème viti-vinicole, la malfaçon du vin, la compromission de toutes les banques dans ce système, la tolérance de Paris qui était parfaitement au courant et ne sanctionnait nullement… Le dimanche, était prévu un grand happening avec toutes les forces vives de l’île avant de quitter les lieux. On s’attendait à être interpellé le lundi 25 août pour occupation illégale de propriété et troubles à l’ordre public.
- Quel élément fait déraper ce programme ?
- Le coup d’envoi de la radicalisation est la déclaration du ministre de l’intérieur qui annonce le 21 août : « Un commando d’hommes armés de fusils mitrailleurs et commandés par le Dr Edmond Simeoni s’est emparé, ce matin, d’une villa avec des personnes à l’intérieur… ». En entendant ce discours de guerre, de coercition, on comprend que l’affaire est prise très au sérieux par Paris.
- Quel est le film des évènements ?
- Nous arrivons le matin du 21 août à 6 heures. Nous entrons dans la maison attenante à la cave où vivent le propriétaire et sa famille. Avec ménagement et fermeté, nous leur demandons de quitter les lieux pour ne pas les exposer à d’éventuelles frictions avec les forces de l’ordre. Nous procédons de la même façon dans la cave avec les ouvriers immigrés qui y travaillent. Et, nous commençons l’occupation. La déclaration du ministre donne le La ! Des militants, des sympathisants et des journalistes français et italiens commencent à affluer de partout. Nous multiplions les interviews. La photo d’un groupe d’hommes armés de fusils de chasse, autour d’une table au 1er étage de la cave avec vue panoramique sur l’archipel toscan, tourne en boucle.
- Combien êtes-vous ?
- A l’intérieur, nous sommes une douzaine. La logistique est fournie par une vingtaine de personnes qui, à l’extérieur, assurent le lien avec la population, font des navettes, voient les élus, les maires, alertent la presse, donnent aussi des interviews… La 1ère journée se passe en palabres avec les forces de l’ordre. Avec des signes inquiétants : la ligne téléphonique est coupée, alors qu’en France, dès qu’il y a une prise d’otages, on s’empresse d’établir une ligne téléphonique ! Le but est de nous isoler complètement. Certains militants vont faire des démonstrations de force chez quelques colons dans des fermes vinicoles du coin pour bien affirmer que cette situation de fraude doit cesser.
- Quel est votre état d’esprit ?
- Nous sommes dans une grande incertitude. Dans les négociations, on nous demande de capituler. Mais, l’idée, qui prévaut, est que l’opération se passe très bien, sans violence, et que nous allons accomplir le programme prévu. La nuit est difficile, sous surveillance extrême. A l’aube du 22, la pression s’accentue. L’intervention immédiate des hélicoptères PUMA, le bruit effrayant des pales au-dessus de nos têtes, un bateau de la marine nationale, qui mouille au large… nous causent un grand trouble. Nous tirons des coups de feu dans les pales pour éloigner les PUMA qui prennent de la hauteur. L’assaut est donné par une marée d’uniformes, estimés entre 1500 et 2000, qui encercle la cave.
- Pouvez-vous expliquer l’opération des otages ?
- Nous prenons de faux otages parmi nous. Nous leur bandons les yeux et les poignets. Puis, nous les emmenons sur la route en les menaçant de mort devant les caméras de télévision et les engins blindés. En même temps, nous prenons quatre autres faux otages, des ouvriers émigrés qui se trouvent dans le champ de la confrontation. Nous leur donnons à manger et nous payons leur journée de travail perdue, comme le démontrera le procès. Le but est d’augmenter notre potentiel face à l’Etat et de faire différer l’assaut. L’Etat s’empare, à son profit, de ces otages immigrés pour répandre dans les médias que nous sommes racistes, prêts à tout, que nous montrons notre vrai visage… Jamais, il ne demande leur libération car il pense que ces otages nous enfoncent et sont très préjudiciables à notre image. Nous les libérons avant l’assaut.
- L’assaut vous surprend-il ?
- Oui ! Cinq minutes avant l’assaut, un proche m’avertit et me demande ce que je compte faire. Je lui réponds : « Tu te trompes ! Ils veulent seulement nous intimider. Il ne faut pas céder ! ». J’ai, alors, la conviction absolue qu’ils ne vont pas donner l’assaut. Le sous-préfet de l’époque me dit : « Vous savez bien que vous n’allez pas tirer sur les forces de l’ordre ! Vous allez vous rendre. Vous avez fait la Prima Donna, vous avez fait les intéressants, vous avez eu tous les médias, tout le monde vous connaît… maintenant, ça suffit ! Rendez-vous ! ». Je lui rétorque : « Je ne peux vous dire qu’une seule chose : si vous avancez vers la table et que vous tirez, je vous préviens qu’on ripostera ! ». Il reprend : « Vous ne le ferez pas ! ». Il était 4h05. A 4h10, ils donnent l’assaut. Quelques minutes après, il y a deux victimes chez les forces de l’ordre et un blessé chez nous, un militant qui a le pied arraché par une grenade.
- Qui tire ?
- Pendant 54 secondes, les forces de l’ordre tirent des grenades lacrymogènes et des rafales d’armes automatiques, de fusils mitrailleurs… Tous les films, comme tous les impacts de balles sur les murs de la cave, le prouvent. La Commission d’enquête, dirigée par Xavier Colonna, maire de Calvi, démontre que les forces de l’ordre ont utilisé leurs armes dès le début de l’affrontement. Heureusement, nous étions protégés par les murs. Quand l’un d’entre nous a été blessé, nous avons riposté.
- Pourquoi un tel déploiement de forces pour une simple occupation de cave ?
- Parce qu’il s’inscrit dans l’histoire de la France en Corse ! Après Ponte Novu, de 1769 à 1812, la France enferme la Corse dans une répression terrible, féroce, avec les colonnes infernales dans les villages, les pendaisons, les viols… S’en suit une politique de francisation forcenée. Quand la contestation renait, dès les années 1960, la France n’admet pas une seule seconde que la Corse peut échapper au carcan du droit commun de la mise en valeur coloniale. Elle n’a jamais voulu l’admettre ! C’est, pour elle, une question de mystique, de religion ! Ce pays, d’abord impérialiste, devient républicain en sacralisant la République et colonisateur en Afrique du Nord, au Vietnam… La France s’est construite dans une marée uniformisatrice de toutes les identités régionales. Il ne fallait qu’un seul drapeau, un seul pays, un seul chant, la Marseillaise,… Le reste était iconoclaste et inadmissible ! Il n’était pas question, pour elle, de céder en Corse !
- Nous arrivons le matin du 21 août à 6 heures. Nous entrons dans la maison attenante à la cave où vivent le propriétaire et sa famille. Avec ménagement et fermeté, nous leur demandons de quitter les lieux pour ne pas les exposer à d’éventuelles frictions avec les forces de l’ordre. Nous procédons de la même façon dans la cave avec les ouvriers immigrés qui y travaillent. Et, nous commençons l’occupation. La déclaration du ministre donne le La ! Des militants, des sympathisants et des journalistes français et italiens commencent à affluer de partout. Nous multiplions les interviews. La photo d’un groupe d’hommes armés de fusils de chasse, autour d’une table au 1er étage de la cave avec vue panoramique sur l’archipel toscan, tourne en boucle.
- Combien êtes-vous ?
- A l’intérieur, nous sommes une douzaine. La logistique est fournie par une vingtaine de personnes qui, à l’extérieur, assurent le lien avec la population, font des navettes, voient les élus, les maires, alertent la presse, donnent aussi des interviews… La 1ère journée se passe en palabres avec les forces de l’ordre. Avec des signes inquiétants : la ligne téléphonique est coupée, alors qu’en France, dès qu’il y a une prise d’otages, on s’empresse d’établir une ligne téléphonique ! Le but est de nous isoler complètement. Certains militants vont faire des démonstrations de force chez quelques colons dans des fermes vinicoles du coin pour bien affirmer que cette situation de fraude doit cesser.
- Quel est votre état d’esprit ?
- Nous sommes dans une grande incertitude. Dans les négociations, on nous demande de capituler. Mais, l’idée, qui prévaut, est que l’opération se passe très bien, sans violence, et que nous allons accomplir le programme prévu. La nuit est difficile, sous surveillance extrême. A l’aube du 22, la pression s’accentue. L’intervention immédiate des hélicoptères PUMA, le bruit effrayant des pales au-dessus de nos têtes, un bateau de la marine nationale, qui mouille au large… nous causent un grand trouble. Nous tirons des coups de feu dans les pales pour éloigner les PUMA qui prennent de la hauteur. L’assaut est donné par une marée d’uniformes, estimés entre 1500 et 2000, qui encercle la cave.
- Pouvez-vous expliquer l’opération des otages ?
- Nous prenons de faux otages parmi nous. Nous leur bandons les yeux et les poignets. Puis, nous les emmenons sur la route en les menaçant de mort devant les caméras de télévision et les engins blindés. En même temps, nous prenons quatre autres faux otages, des ouvriers émigrés qui se trouvent dans le champ de la confrontation. Nous leur donnons à manger et nous payons leur journée de travail perdue, comme le démontrera le procès. Le but est d’augmenter notre potentiel face à l’Etat et de faire différer l’assaut. L’Etat s’empare, à son profit, de ces otages immigrés pour répandre dans les médias que nous sommes racistes, prêts à tout, que nous montrons notre vrai visage… Jamais, il ne demande leur libération car il pense que ces otages nous enfoncent et sont très préjudiciables à notre image. Nous les libérons avant l’assaut.
- L’assaut vous surprend-il ?
- Oui ! Cinq minutes avant l’assaut, un proche m’avertit et me demande ce que je compte faire. Je lui réponds : « Tu te trompes ! Ils veulent seulement nous intimider. Il ne faut pas céder ! ». J’ai, alors, la conviction absolue qu’ils ne vont pas donner l’assaut. Le sous-préfet de l’époque me dit : « Vous savez bien que vous n’allez pas tirer sur les forces de l’ordre ! Vous allez vous rendre. Vous avez fait la Prima Donna, vous avez fait les intéressants, vous avez eu tous les médias, tout le monde vous connaît… maintenant, ça suffit ! Rendez-vous ! ». Je lui rétorque : « Je ne peux vous dire qu’une seule chose : si vous avancez vers la table et que vous tirez, je vous préviens qu’on ripostera ! ». Il reprend : « Vous ne le ferez pas ! ». Il était 4h05. A 4h10, ils donnent l’assaut. Quelques minutes après, il y a deux victimes chez les forces de l’ordre et un blessé chez nous, un militant qui a le pied arraché par une grenade.
- Qui tire ?
- Pendant 54 secondes, les forces de l’ordre tirent des grenades lacrymogènes et des rafales d’armes automatiques, de fusils mitrailleurs… Tous les films, comme tous les impacts de balles sur les murs de la cave, le prouvent. La Commission d’enquête, dirigée par Xavier Colonna, maire de Calvi, démontre que les forces de l’ordre ont utilisé leurs armes dès le début de l’affrontement. Heureusement, nous étions protégés par les murs. Quand l’un d’entre nous a été blessé, nous avons riposté.
- Pourquoi un tel déploiement de forces pour une simple occupation de cave ?
- Parce qu’il s’inscrit dans l’histoire de la France en Corse ! Après Ponte Novu, de 1769 à 1812, la France enferme la Corse dans une répression terrible, féroce, avec les colonnes infernales dans les villages, les pendaisons, les viols… S’en suit une politique de francisation forcenée. Quand la contestation renait, dès les années 1960, la France n’admet pas une seule seconde que la Corse peut échapper au carcan du droit commun de la mise en valeur coloniale. Elle n’a jamais voulu l’admettre ! C’est, pour elle, une question de mystique, de religion ! Ce pays, d’abord impérialiste, devient républicain en sacralisant la République et colonisateur en Afrique du Nord, au Vietnam… La France s’est construite dans une marée uniformisatrice de toutes les identités régionales. Il ne fallait qu’un seul drapeau, un seul pays, un seul chant, la Marseillaise,… Le reste était iconoclaste et inadmissible ! Il n’était pas question, pour elle, de céder en Corse !
- Paniquez-vous ?
- Pas du tout ! Ce sont les forces de l’ordre qui paniquent ! Elles sont désemparées et désorganisées. Leurs barrages flanchent. Pendant l’assaut, notre commando s’est grossi de militants, environ une trentaine de personnes. Après négociations, je décide de me rendre pendant que le commando part en camion et en chantant vers le Sud. Je suis très calme. Je dis devant les caméras : « La situation en Corse est inacceptable ! Aujourd’hui, un pas très grave a été franchi. Il faut manifestement prendre conscience de cette gravité et changer de politique ». Cet assaut militaire, qui a fait des victimes, soulève une grande émotion dans toute la Corse et en France et beaucoup d’interrogations à l’étranger. Un hélicoptère m’amène au camp de Borgu où j’ai failli être lynché par les forces de l’ordre de retour d’Aleria.
- Que se passe-t-il ensuite ?
- Ensuite, commence le plus terrible : la garde-à-vue de 6 jours, le procès en 1976, la prison haute sécurité jusqu’en février 1977. J’assume complètement ce que j’ai fait et je prépare ma défense qui est une défense politique et non pas factuelle, en lien étroit avec le Collectif de défense. Celui-ci manifeste, organise des rassemblements dans les villages et mobilise la diaspora pour dénoncer la politique coloniale, la répression et demander un statut d’autonomie. Le journal militant Arriti tire jusqu’à 17000 exemplaires. Se produisent, dans la foulée, les évènements de Bastia d’une gravité considérable avec, encore, des victimes, des blessés… Là est reconnu l’usage des armes par les forces de l’ordre qui tirent à la mitrailleuse 12,7 mm sur les façades des maisons.
- Aleria stoppe-t-il la fraude sur le vin !
- Oui ! Nous portons un coup mortel à la malfaçon du vin. L’Etat, que nos accusations plongent dans l’œil du cyclone, est contraint de réagir. D’autant plus que nous avons produit, à la presse, l’organigramme exact de toutes les mauvaises pratiques, spéculations, enrichissements sans cause des trafics viti-vinicoles.
- Que représente Aleria aujourd’hui ? Quel message véhicule-t-il ?
- Il est le symbole de la lutte contre la colonisation agricole et touristique et du combat pour l’identité. C’est un acte de résistance. C’est même l’acte fondateur de la résistance contemporaine. Le message à faire passer est que la Corse a le droit pour elle, un droit adossé à la mémoire et à l’histoire. Son peuple a le droit d’être reconnu, d’être libre et de choisir son destin. Désormais, la voie ne peut, en aucun cas, être celle de la violence. La non-violence peut mobiliser et agréger toute la Corse autour de problèmes graves qui ne sont pas réglés : la grève de la SNCM, les Arrêtés Miot, le retard des infrastructures, le chômage qui touche 20000 personnes, la précarité qui touche 30000 personnes…
- Pourquoi poser une stèle ?
- C’est une stèle de mémoire que divers aléas nous ont empêchés de poser avant. Elle sera bénie par l’abbé Vincent. Ce n’est pas un acte mémoriel, mais le rappel d’une étape sur le chemin de l’émancipation. Je ferai, d’ailleurs, une intervention pour rappeler, en quelques mots, les raisons du drame qui s’est déroulé en ce lieu et analyser ce qui s’est passé depuis. Malgré les trois statuts, jamais la France n’a traité le problème corse de façon sérieuse. Après 2010 et les 36% réalisés par les forces nationalistes, les élus se sont rassemblés autour d’exigences comme la coofficialité, la résidence ou la réforme de la Constitution. L’Etat y répond par les mots de Libert Bou : « Non ! Il n’en est pas question ! ». Il reproduit exactement le même schéma de dénégation, de refus de démocratie et d’ostracisme. S’il ne change pas de politique, on peut, malheureusement, craindre le pire.
- Aleria n’est donc qu’une étape ?
- Oui, comme l’Université, comme la reconnaissance juridique du peuple corse par l’Assemblée, comme le statut de la langue corse, comme la Commission des compétences législatives et règlementaires, comme le statut de résident… Ce ne sont ni des fins en soi, ni des choses déterminantes, juste des étapes. Aujourd’hui, commence une autre donne avec d’autres acquis. La prise de conscience est avérée dans l’île. L’opinion internationale, que l’on sollicite depuis des années, est sensibilisée. Le véritable combat est désormais entre Conservateurs et Progressistes. Les Corses, dans leur grande majorité, veulent le changement. C’est pourquoi le changement viendra !
Propos recueillis par Nicole MARI
- Pas du tout ! Ce sont les forces de l’ordre qui paniquent ! Elles sont désemparées et désorganisées. Leurs barrages flanchent. Pendant l’assaut, notre commando s’est grossi de militants, environ une trentaine de personnes. Après négociations, je décide de me rendre pendant que le commando part en camion et en chantant vers le Sud. Je suis très calme. Je dis devant les caméras : « La situation en Corse est inacceptable ! Aujourd’hui, un pas très grave a été franchi. Il faut manifestement prendre conscience de cette gravité et changer de politique ». Cet assaut militaire, qui a fait des victimes, soulève une grande émotion dans toute la Corse et en France et beaucoup d’interrogations à l’étranger. Un hélicoptère m’amène au camp de Borgu où j’ai failli être lynché par les forces de l’ordre de retour d’Aleria.
- Que se passe-t-il ensuite ?
- Ensuite, commence le plus terrible : la garde-à-vue de 6 jours, le procès en 1976, la prison haute sécurité jusqu’en février 1977. J’assume complètement ce que j’ai fait et je prépare ma défense qui est une défense politique et non pas factuelle, en lien étroit avec le Collectif de défense. Celui-ci manifeste, organise des rassemblements dans les villages et mobilise la diaspora pour dénoncer la politique coloniale, la répression et demander un statut d’autonomie. Le journal militant Arriti tire jusqu’à 17000 exemplaires. Se produisent, dans la foulée, les évènements de Bastia d’une gravité considérable avec, encore, des victimes, des blessés… Là est reconnu l’usage des armes par les forces de l’ordre qui tirent à la mitrailleuse 12,7 mm sur les façades des maisons.
- Aleria stoppe-t-il la fraude sur le vin !
- Oui ! Nous portons un coup mortel à la malfaçon du vin. L’Etat, que nos accusations plongent dans l’œil du cyclone, est contraint de réagir. D’autant plus que nous avons produit, à la presse, l’organigramme exact de toutes les mauvaises pratiques, spéculations, enrichissements sans cause des trafics viti-vinicoles.
- Que représente Aleria aujourd’hui ? Quel message véhicule-t-il ?
- Il est le symbole de la lutte contre la colonisation agricole et touristique et du combat pour l’identité. C’est un acte de résistance. C’est même l’acte fondateur de la résistance contemporaine. Le message à faire passer est que la Corse a le droit pour elle, un droit adossé à la mémoire et à l’histoire. Son peuple a le droit d’être reconnu, d’être libre et de choisir son destin. Désormais, la voie ne peut, en aucun cas, être celle de la violence. La non-violence peut mobiliser et agréger toute la Corse autour de problèmes graves qui ne sont pas réglés : la grève de la SNCM, les Arrêtés Miot, le retard des infrastructures, le chômage qui touche 20000 personnes, la précarité qui touche 30000 personnes…
- Pourquoi poser une stèle ?
- C’est une stèle de mémoire que divers aléas nous ont empêchés de poser avant. Elle sera bénie par l’abbé Vincent. Ce n’est pas un acte mémoriel, mais le rappel d’une étape sur le chemin de l’émancipation. Je ferai, d’ailleurs, une intervention pour rappeler, en quelques mots, les raisons du drame qui s’est déroulé en ce lieu et analyser ce qui s’est passé depuis. Malgré les trois statuts, jamais la France n’a traité le problème corse de façon sérieuse. Après 2010 et les 36% réalisés par les forces nationalistes, les élus se sont rassemblés autour d’exigences comme la coofficialité, la résidence ou la réforme de la Constitution. L’Etat y répond par les mots de Libert Bou : « Non ! Il n’en est pas question ! ». Il reproduit exactement le même schéma de dénégation, de refus de démocratie et d’ostracisme. S’il ne change pas de politique, on peut, malheureusement, craindre le pire.
- Aleria n’est donc qu’une étape ?
- Oui, comme l’Université, comme la reconnaissance juridique du peuple corse par l’Assemblée, comme le statut de la langue corse, comme la Commission des compétences législatives et règlementaires, comme le statut de résident… Ce ne sont ni des fins en soi, ni des choses déterminantes, juste des étapes. Aujourd’hui, commence une autre donne avec d’autres acquis. La prise de conscience est avérée dans l’île. L’opinion internationale, que l’on sollicite depuis des années, est sensibilisée. Le véritable combat est désormais entre Conservateurs et Progressistes. Les Corses, dans leur grande majorité, veulent le changement. C’est pourquoi le changement viendra !
Propos recueillis par Nicole MARI
La vidéo des évènements d'Aleria
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