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Jean-Guy Talamoni : "Nous risquons de passer à côté d’une chance historique"


Nicole Mari le Dimanche 22 Décembre 2013 à 22:49

Lors de sa visite en Corse, Christiane Taubira, la ministre de la justice, a invité les présidents des groupes politiques de l’Assemblée de Corse (CTC) à déjeuner. Seul, le leader de Corsica Libera, Jean-Guy Talamoni a refusé l’invitation. Il s’est, ensuite, entretenu avec la ministre en tête-à-tête pendant plus d’une vingtaine de minutes. Il revient, pour Corse Net Infos, sur la teneur de cet entretien et sur la mise au point qu’il a effectuée avec le gouvernement, via la ministre, notamment sur le processus en cours concernant la réforme constitutionnelle.



Jean-Guy Talamoni, président du groupe Corsica Libera à l'Assemblée de Corse.
Jean-Guy Talamoni, président du groupe Corsica Libera à l'Assemblée de Corse.
- Pourquoi avez-vous refusé de déjeuner avec la ministre ?
- Il me paraissait impossible, pour ma part, de déjeuner avec le ministre de la Justice. Ce n’était pas une question de personne, mais une question de fonction. Compte tenu de la situation actuelle en Corse et des arrestations, c’était hors de propos ! J’ai eu, ensuite, l’occasion de rencontrer longuement Christiane Taubira pour lui exposer notre position afin qu’elle la transmette au gouvernement.
 
- Que lui avez-vous dit exactement ?
- Je lui ai dit que le processus de dialogue est sur le point d’être mis en poussière par l’attitude du gouvernement, par les arrestations et les persécutions judiciaires, par les conditions particulièrement violentes de ces arrestations, par des déclarations volontairement provocatrices de la part de membres du gouvernement et par des déclarations de fermeture de la part, notamment, de Mme Lebranchu, lors de l’émission Cuntrastu (sur FR3 Corse Via Stella). Je lui ai dit que les choses ne pouvaient pas continuer en l’état et que la situation devenait dangereuse pour ce processus à peine naissant. J’ai réitéré, avec force, notre position favorable à une solution politique.
 
- Marylise Lebranchu, ministre de la fonction publique, a-t-elle affiché la même fermeture pendant votre 1ère réunion de discussions à Paris ?
- Non ! Pas du tout ! A Paris, elle a, surtout, présenté une méthode qui ne nous convenait pas. Après la réunion, nous avons eu l’occasion de discuter en présence d’autres élus. A ce moment-là, elle m’a affirmé qu’elle n’avait pas l’intention, contrairement à ce que nous avions compris pendant la négociation autour de la table, de renvoyer sine die l’examen de la question essentielle, à savoir la révision constitutionnelle. Celle-ci serait envisagée à chaque étape. Force est de constater qu’elle a dit l’inverse dans les interviews qu’elle a données ensuite et dans son émission Cuntrastu où l’on sentait bien qu’elle avait une feuille de route. Nous avons considéré ces déclarations, et nous ne sommes pas les seuls, comme une manière de fermer les portes.
 
- Etes-vous inquiet concernant la poursuite du processus ?
- Le mot est faible ! Nous avons beaucoup de raisons d’être plus qu’inquiets face à la manière dont le gouvernement traite ce processus de dialogue alors qu’il est en train de débuter. Il risque d’être mort-né s’il n’y a pas, rapidement, un redressement de la barre. Je l’ai dit à Christiane Taubira. J’ai tiré la sonnette d’alarme de manière ferme. A Corsica Libera, nous avons toujours tenu un discours constructif. Nous sommes conscients de nos responsabilités. En revanche, nous ne voulons pas dire que les choses vont bien quand elles ne vont pas bien ! Nous ne sommes pas prêts à dire, à l’opinion corse, autre chose que la vérité.
 
- C’est-à-dire ?
- La vérité, c’est que ce processus, aujourd’hui, est mal en point. Les choses vont vraiment très mal ! A l’Assemblée de Corse, un effort est fait, et pas seulement du côté des Nationalistes. Une certaine cohésion se met en place. Il y a eu des votes très importants. Il y en aura, encore, un, dans quelques semaines, sur la résidence. Le président de l’Exécutif a réaffirmé, vendredi, sa volonté en faveur du statut de résident. Paris ne peut pas ne pas le prendre en compte. Or, il rejette les demandes de l’Assemblée de Corse, même lorsqu’elles sont exprimées par 46 voix sur 51, c’est-à-dire par une majorité massive. J’ai dit à Christiane Taubira que, pour nous, si la voix massivement majoritaire des représentants de la Corse n’est pas prise en compte, ce serait un déni de démocratie qui ne pourrait manquer de tendre considérablement la situation. S’il n’y a pas de démocratie pour les Corses, chacun en tirera les conséquences. Notre attitude constructive risquerait de ne pas se poursuivre.
 
- Qu’attendez-vous de Christiane Taubira ?
- J’espère qu’elle aura l’occasion d’expliquer à l’ensemble du gouvernement que nous risquons de passer à côté d’une chance historique pour la Corse, mais également pour les relations entre la Corse et Paris à cause de comportements irresponsables. Sur le plan politique, il était nécessaire, pour nous, aujourd’hui, de hausser le ton devant une situation qui n’est en rien conforme à la loyauté, que l’on est en droit d’attendre, de la part de partenaires dans un processus de dialogue.
 
- Avez-vous abordé des sujets judiciaires qui sont plus de sa compétence ?
- Oui. Nous avons parlé du traitement des prisonniers sur lequel nous avons des avis complètement divergents. J’ai réitéré la position de Sulidarita et la demande de rapprochement de tous les prisonniers politiques. J’ai rappelé l’engagement fort ancien d’un gouvernement précédent, donc, de la France. Force est de constater qu’il y a eu reniement de la parole donnée, que le gouvernement de gauche ne tient pas la parole de la France !
 
- Que vous a-t-elle répondu ?
- Elle estime avoir opéré un certain nombre de rapprochements, mais ce sont largement des rapprochements de droits communs. Nous nous en réjouissons, mais notre problème d’élus nationalistes concerne les prisonniers politiques. Elle nous a dit que nous devons, à nouveau, faire le point sur les différents dossiers. Je pense qu’il y aura un échange de correspondance avec le groupe Corsica Libera et, peut-être aussi, avec Sulidarita.
 
- Sur la question politique, pensez-vous avoir été entendu ?
- Elle a surtout écouté et pris note. Ce n’est pas seulement son problème, mais celui de l’ensemble du gouvernement. Nous jugerons sur pièces. Nous allons examiner avec beaucoup d’attention si, dans les semaines à-venir, le gouvernement redresse la barre en faveur d’un processus équilibré de dialogue, constructif de part et d’autre, et pas seulement à sens unique. Et nous en tirerons toutes les conséquences. Nous sommes prêts à dialoguer, mais ne pouvons pas le faire si notre partenaire ferme les portes de cette manière. Nous ne sommes pas prêts à accepter qu’on nous « balade » !
 Propos recueillis par Nicole MARI