En matière de controverse, Jean-Michel Verne n’en est pas à son coup d’essai. On lui doit déjà « Riviera Nostra » sur l’emprise des mafias italiennes sur la Côte d’Azur, « OM, le club qui rend fou », « Main basse sur Marseille et la Corse », toujours la même thématique ou encore « Secret d’Etat » sur le crash de la caravelle Ajaccio-Nice le 11 septembre 1968. Autant de dossiers épineux, particulièrement délicats à développer. Depuis le mois dernier, un dernier ouvrage, aussi épineux que les précédents, est paru aux éditions Bertrand Laffont : « Juges en Corse », une enquête réalisée auprès de neuf magistrats ayant exercé dans l’île. Analyse avec l’auteur…
Comme cette idée est-elle née ?
Le projet est né en juillet 2017 et suite au départ de Nicolas Bessone. J’avais appris qu’il avait été placé sous protection policière et cela m’avait choqué. Je me suis dit qu’il fallait peut-être raconter le vécu de ces magistrats en Corse. Partant de là, j’ai contacté neuf d’entre eux qui témoignent de leur histoire, ici en Corse, en s’exprimant à la première personne. De manière à ce que l’ensemble soit vivant et lisible pour le lecteur. On trouve, à la fois, un vécu de leur histoire dans l’île et en quoi a consisté leur travail, les affaires qu’ils ont eu à traiter, les difficultés rencontrées, certaines porosités complexes.
Qu’en retirez-vous au final ?
Un grand succès auquel je ne m’attendais pas. On note aussi de vives polémiques par rapport aux prises de position des magistrats. Je privilégie pour ma part toujours le contact avec les lecteurs ces derniers m’ont fait savoir qu’ils appréciaient beaucoup que la parole ne soit pas toujours donnée au « mafieux » et qu’il était intéressant d’avoir le sentiment des magistrats, qu’ils s’expriment…
Un livre tout de même très controversé dans l’île, surtout par les politiques qui ont dénoncé une stigmatisation des Corses à travers certains propos de juges…
J’ai eu connaissance de certains mécontentements par rapports à des propos tenus par certains magistrats. C’est leur façon de s’exprimer et je crois bien que ces critiques sont positives. Cela veut dire qu’un débat s’est ouvert. On a une parole de juges qui donnent leur regard sur la Corse et c’est intéressant parce que cela n’a jamais été fait. Cela raconte l’histoire de la Corse du début des années quatre-vingt-dix à aujourd’hui avec toutes les affaires qui nous marqués comme l’assassinat de Claude Erignac ou, plus tôt, l’attentat contre Charles Pieri à Bastia, la conférence de presse de Tralonca, l’affaire de Furiani. Puis tout ce qui arrive à la fin de cette période, où l’on voit se développer une emprise mafieuse dans l’île.
On évoque, dans ce livre, une certaine pression effectuée sur les juges, une position contre laquelle les avocats s’insurgent.
L’exercice de la justice n’est pas simple en Corse. Et, à ce titre, je suis étonné de voir que le Procureur d’Ajaccio a eu des réactions négatives sur le livre. C’est plutôt étrange de voir un magistrat avoir une telle réaction sur un livre qui dénonce l’emprise mafieuse sur l’île de Beauté. C’est pourtant une réalité. Je peux comprendre que ce livre le dérange mais je suis étonné qu’il ait un point de vue aussi négatif.
Finalement, cette thématique joue en votre faveur à travers une publicité importante. Etait-ce le but recherché ?
La polémique a été au départ de cette grosse publicité et on ne l’attendait pas. Non, ce n’était pas le but recherché. J’ai voulu simplement donner le regard de gens qui ont exercé la justice en Corse sur des sujets sensibles. Et montrer combien il n’était pas facile d’exercer cette mission.
Vous évoquez le mot mafia. Un peu dur non ? D’autant qu’on a souvent tendance à généraliser.
On ne peut pas nier la montée en puissance du crime organisé en Corse ni de l’émergence d’une mafia. Certains disent qu’elle n’existe pas. Pourtant, j’ai été, récemment interviewé par une journaliste italienne qui place la mafia corse au même titre que Cosa Nostra ou la Camorra. Elle considère que la mafia corse existe et se développe au niveau international. Les Corses sont au milieu d’un jeu relatif à la drogue que l’on retrouve en Italie et jusqu’en Colombie.
Vous aviez déjà abordé une thématique similaire.
Oui, c’était « Main basse sur Marseille et la Corse » en 2012. C’est une thématique que je connais. J’exerce ce métier de journaliste depuis trente ans dont vingt passés sur les dossiers insulaires. J’ai commencé avec l’affaire de Furiani. Par ailleurs, j’ai des attaches particulières avec l’île puisque mon épouse est corse. La Corse n’est pas quelque chose de neutre pour moi. Que ce soit au niveau personnel ou professionnel. Ce livre incarne quelque part mes trente ans de journalisme et de vie en Corse.