« Ça ne devrait pas tarder ! » Si vous demandez la date de sortie du disque à un membre du groupe, il y a de fortes chances pour que la réponse soit évasive. Disons que la stratégie marketing n'est pas la première préoccupation de la bande. Et c'est peut-être tant mieux ! Tout le monde sait que le flou est artistique. L'Abbrivu est ce genre de groupe qui fait de la qualité avec persévérance depuis longtemps mais qui reste imperméable à la dynamique de la marchandisation. Mais nous y sommes enfin. « I belli ghjorni », leur 5ème album auto-produit, est sorti. Il est disponible dans le commerce et sur les sites de téléchargement en ligne. Enfin... dans les jours qui viennent...
Ils sont toujours 8. Le même noyau depuis le début. Mais 20 ans plus tard le groupe s'est bonifié. Les voix, les arrangements, les textes... tout est mieux et tout est même très bon.
La surprise est de taille à la première écoute de l'album. Une véritable évolution musicale se fait entendre tant les créations sont rythmées et entraînantes bien servies par des arrangements percutants. La puissance vocale du chant choral, qui est le substrat du chant corse, reste le socle musical. Et ça fonctionne plus que jamais. En écoutant à fond dans le casque Monduko Artistu , une création en duo avec le groupe basque Kriolinak, on se verrait presque en Maximus prêt à affronter les légions romaines. Il y a un côté épique qui vous saisit par la force de la mélodie et la puissance des voix.
« I belli ghjorni » est une créature hybride évoluant entre plusieurs mondes. Si L'Abbrivu n'a pas sacrifié à ses influences sud-américaines du début, elles se font plus discrètes. On retrouve une reprise d'un classique mexicain Maria Chuchena dans le pure style Trompetas de Mariachi et une reprise, A l'aventura, qui profite largement d'un réarrangement efficace. Le groupe s'est également ouvert au pop rock - ce qui n'était pas gagné d'avance - avec le titre T'aspettu arrangé par l'excellent Ange Torre, ex Varans et A l'andà , certainement la chanson la plus calibrée de l'album. On y trouve aussi l'influence russe, introduite sur la scène corse par les Chjami Aghjalesi, avec le titre « Utopia ». Une pépite bénéficiant une très belle mélodie en accélération progressive, des violons et guitares qui font la course jusqu'à la fin et qui feraient passer cette création pour un traditionnel.
Comme les autres albums du groupe, ce disque est aussi une aventure collective. Et ça n'est pas vers les « people » ou les têtes d'affiches que le groupe se tourne mais plutôt vers des musiciens et artistes aussi grands par le talent que par l'humilité.
Les collaborations fertiles se sont progressivement agrégées. Parmi lesquels, l’indétronable Christophe Mac Daniel, qui suit le groupe depuis le premier disque et des musiciens de renom, Freddy Olmetta pour les guitares, la trompette de Dumè Ferrari et Elena Danelian au violon. La magnifique voix de Diana-Eva Teillaud-Muraccioli sur la balade langoureuse Ghjustu tù apporte une touche de douceur bénéfique. L'Abbrivu sait aussi se faire découvreur de talent. Le disque est également l'occasion d'éditer pour la 1ere fois la chanson Esistenza sortie en 2015 et dont le clip a connu son petit succès sur Internet.
De fait, L'Abbrivu n'est pas un groupe tapageur dans le modernité de la chanson corse, qui, plus que jamais, se cherche de nouvelles inspirations pour séduire un marché de plus en plus restreint. Ni même l'affirmation entêtée d'une fixette identitaire. « Si vous me demandez de définir ce qu'est la musique corse, j'aurais bien du mal à le faire !» nous dit Philippe Poggi, leader et chef orchestre du groupe. Certainement parce que la musique, d'où qu'elle vienne, ne peut se figer sous une forme temporelle. L'Abbrivu ce serait plutôt des artisans de l'art musical, sans moyen et sans flonflon, indéfectibles endurants de la recherche qualité.
« I belli ghjorni » est certainement l'un des meilleurs albums de musique corse de l'année 2017. Avec des tubes à l’intérieur qui risquent fort de se faire entendre un peu partout. La reconnaissance n'en serait que méritée. Mais ne demandez pas à l'Abbrivu de vous « teaser » le produit ou de mettre en pré-écoute quelques unes de leurs chansons. Le groupe sait définitivement s'entourer du mystère de la création.