On attendait (sans trop se faire d'illusions sur les résultats de cette visite), Édouard Philippe en Corse. Comme il fallait s'y attendre, il ne viendra pas. Il faut dire qu'il a d'autres soucis, comme n'importe quel fusible en situation périlleuse. A défaut de figatelli, il avale des couleuvres. Lui qui vient de la droite, il mesure combien il est parfois pesant de soutenir le libéralisme le plus radical. Le Premier ministre, si droit jusque là dans ses bottes, a vécu en quelques heures de quoi être durablement déstabilisé. Il n'est désormais que l'un des acteurs d'une cacophonie gouvernementale inattendue, où il recadre les ministres, lui-même étant corrigé par le Président de la République, en particulier sur les taxes écologiques et sur le retour de l'ISF - de contradictions en réajustements, de raideur proclamée en capitulations.
Mais ce pouvoir qui flageole, à l'image de sa représentation parlementaire, se rend compte que ce qu'il a lâché, contraint et forcé, n'est pas suffisant. Selon l'expression d'un gilet jaune, les possédants donnent des miettes lorsque les manifestants demandent la baguette. Après vingt jours d'actions quotidiennes, la pression de se relâche pas sur le terrain. Les reculs en principe consentis sont réels, mais malgré cela le Président conserve son impopularité et l'augmente encore, les récents sondages l'attestent, lui qui a trop tardé à rompre le silence alors qu'il s'exprime un peu partout sur la politique mondiale en donneur de leçons.
Une situation hors contrôle
S'il effectue un recul, on ne l'en remercie pas, car il le fait sans empathie, sans considération, et il continue à cristalliser tous les refus. Ce qui inquiète le pouvoir, et aussi il faut bien le dire le tissu économique du pays, c'est que ce qui a été octroyé ne suffit manifestement pas.
Le gouvernement aujourd'hui prend enfin la mesure de la fracture entre lui et la population, qui conserve sa sympathie au mouvement des gilets jaunes. La colère trop longtemps contenue monte des territoires oubliés, négligés. Comme l'a dit un sénateur au Premier ministre lorsque celui-ci a été reçu au palais du Luxembourg, il ne s'agit pas pour les ruraux de créer des start-up, mais de faire survivre de petites exploitations, il ne s'agit pas non plus de gérer le problème des trottinettes électriques, mais de se déplacer au quotidien, avec diesel ou non.
Ce qui accroît le pessimisme, c'est le comportement même des gilets jaunes, avec leurs revendications hétéroclites et la tendance qu'ils ont à s'écharper sur la légitimité de leurs porte-paroles. Indicateur incontestable que la période est troublée, les médias deviennent une cible. Les gilets jaunes leur reprochent un discours de classe, qui les placerait du côté des privilégiés. Les opposants aux gilets jaunes dénoncent une absence de critique, voire une sorte de « prosternation » - le mot est de Bernard-Henri Lévy – des journalistes vis-à-vis des manifestants. En fait, tout se passe comme si ces journalistes avaient peur du risque de passer à côté d'événements aux conséquences fondamentales. Pour cela, ils seraient prêts à minimiser les exactions et les violences. Et les violences, c'est ce qui préoccupe le plus en ce moment, d'autant plus que les lycéens se mobilisent aussi pour ajouter au désordre.
La France est entrée dans une période où personne se semble avoir la maîtrise de la situation, ce qui fait que la République tangue dangereusement.