Il fallait s'y attendre : de dérive en dérive, le mouvement des gilets jaunes a vu l'opinion publique se détourner de lui en quelques jours. Désormais, une majorité de la population souhaite que les manifestations s'arrêtent, étant donné que de samedi en samedi elles pénalisent l'activité économique et permettent aux casseurs et aux pillards de donner libre cours à leurs instincts.
Au début, tout était bien parti, avec la surprise et la fraîcheur de l'inédit. La revendication était généreuse : plus de reconnaissance et de justice sociale, une fiscalité mieux répartie, des pouvoirs partagés, bref une aspiration au mieux-vivre par la France d'en bas, où les anonymes sont plus présents dans l'ombre et l'indifférence que ceux que l'intelligentzia bourgeoise découvre parmi les migrants. Les occupants des ronds-points portaient au grand jour l'ampleur d'une crise autant humaine qu'économique. Des précaires, des retraités et des salariés frôlant la pauvreté, des citoyens voyant leur situation se dégrader de jour en jour par l'augmentation des dépenses contraintes, l'addition de ces cas individuels apparaissait comme la face visible d'un malaise républicain plus profond, avec les possédants, ceux qui ont la richesse et le pouvoir, perçus comme une caste égoïste et méprisante.
De cette situation a émergé une revendication soudaine, aux contours positifs, qui a séduit la majorité profondément égalitariste de la population – cette population qui a approuvé les efforts financiers consentis par le gouvernement pour satisfaire en partie les demandes des gilets jaunes. Une avancée, a-t-on dit, supérieure à ce que l'ensemble du mouvement syndical a obtenu sur des décennies.
Une radicalisation inquiétante
Mais, semaine après semaine, tout s'est gâté. Le point de départ – le prix des carburants – a été oublié dans le vacarme et la confusion. La parole s'est libérée, ce qui aurait pu être un progrès, mais elle s'est libérée sans contrôle, avec un mouvement irrésistible vers le bas. La dénonciation des élites s'est muée en haine de ces mêmes élites, puis en haine de la police, des institutions, des médias, des minorités, de la démocratie, puis des gilets jaunes entre eux – en visant ceux qui avaient eu le tort de se croire légitimés comme porte-parole. Si les blocages passaient de plus en plus mal, les violences devenaient aussi de trop, d'autant plus que les meneurs avaient tendance à les minimiser. Aujourd'hui, on dirait que le ras-le-bol initial ne se traduit plus qu'en insultes, avec racisme, sexisme, homophobie, antisémitisme à profusion. La parole authentique des gilets jaunes paraît perdue dans un chaos d'une insondable médiocrité.
De l'assentiment à la tolérance, de la tolérance à la lassitude, l'opinion, qui a du bon sens, se détourne donc ce ceux qu'elle avait encensés. Est-ce irrémédiable ? Lors de l'agression verbale contre Alain Finkielkraut, son insulteur principal hurlait, entre deux éructations judéophobes : « Nous sommes le peuple ! »... Si le peuple porté par cette révolution se confond à présent avec des fondamentalistes islamiques fanatisés, les gilets jaunes ont du souci à se faire – et nous aussi.