L’histoire de L’Atelier Corse Fruits et Légumes a commencé il y a plusieurs années : « Avant 2018, se souvient le Président de l’entreprise Vincent Marcadal, nous étions tous des producteurs d’agrumes en général… et en particulier de clémentines à destination du marché du frais. Avec une problématique de choix des fruits pour rentrer dans l’IGP Clémentine de Corse. Or bien sûr, “choisir, c’est renoncer”… » Une partie des fruits n’était en effet pas éligible à ce signe de qualité : pas beaucoup, mais c’était déjà trop… Et au-delà de ça, des fruits tout à fait commercialisables se trouvaient écartés à certaines périodes de l’année, quand le marché se trouvait saturé.
Valoriser le reliquat ? Bien sûr, mais comment ? « Il y a eu des expériences individuelles, dans les années quatre-vingt, quatre-vingt-dix, dans le cadre de la COOPACOR. Puis certains ont fait des jus… mais ils n’étaient pas forcément du métier. Des projets de confiture également… Mais rien de bien structuré ni structurant, et surtout rien d’abouti : ce n’était pas notre métier ! » Et pour cause. Les producteurs rencontrent deux problématiques nouvelles pour eux : l’accès au marché et la technicité indispensable.
L’année 2018 marque un tournant avec le retour en Corse de Jean-Do Valentini : il vient de passer dix-huit ans à l’étranger, dont quatorze en Amérique latine, de la Patagonie au Canada, dans le développement de filières agricoles pour l’industrie agroalimentaire – une expérience internationale qui va pouvoir être mise au service de la Corse. « Son savoir-faire industriel a été un élément catalyseur très important ; sa connaissance client également. Il est un élément fédérateur du projet. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, on en est là, avec la volonté de valoriser le meilleur du terroir, continue Vincent. Jean-Do nous a présenté sa vision. Il nous a dit “j’ai plein d’idées !” ». Ce retour tombe ainsi à point nommé, au moment même où la filière se trouve être « plus mature sur le frais », précise Jean-Do, aujourd’hui Directeur Général de l’Atelier.
Créer de la valeur pour le territoire et la partager
La clé, c’est de « créer de la valeur sur le territoire et d’ypartager cette valeur ». C’est le sens du slogan choisi par l’entreprise et qui traduit la mission qu’elle s’est fixée : “A l’iniziu, una terra”. « Nous ne parlons pas de RSE [NdlR : Responsabilité sociétale des entreprises], mais de RST : Responsabilité sociétale et territoriale ! »
Comment créer de la valeur ? « Il n’y a pas une seule filière que j’ai vue dans le monde qui ne dispose d’un outil de transformation, explique Jean-Do, y compris au Chili : un pays reposant sur de petits producteurs, qui présente des similitudes avec notre modèle agraire. » La démarche impose une logique industrielle, sans pour autant être incompatible avec la prise en compte des problématiques marché ou environnement…
« On va peu à peu migrer vers une approche différente, qui ne sera plus basée sur le kilo de fruits vendu, mais prendra en considération le chiffre d’affaires qu’il est possible de réalisersur un actif foncier donné. » Une logique économique qui permet de valoriser et pérenniser des exploitations tout en se conjuguant avec une approche “développement durable” : comment, par exemple, valoriser les feuilles surnuméraires de clémentines, qui ne sont pas vendues avec les fruits ? Pourquoi ne pas utiliser, sur de petits vergers, l’espace inter-arbres, afin d’y planter des légumes, les premières années ? Les pistes sont multiples, même s’il faudra concilier leur mise-en-œuvre avec les exigences de l’AOP…
La construction de l’usine
En 2018, le projet franchit une première étape, avec la première transformation de fruits, réalisée dans des installations du continent. Il s’agit de tester l’existence d’un marché. En 2020, l’essai est considéré comme transformé et une usine peut être installée en Corse. L’année suivante, l’entreprise est créée, détenue par un collectif de producteurs : outre des producteurs indépendants, l’Atelier est affilié à trois organismes – Terre d’agrumes, l’OPAC, le CANC. Ainsi, au total, 70 % de la filière gravite autour de ce projet. En 2024, ils sont plus de cent associés. « C’est la force de ce projet : c’est un projet collectif », analyse Vincent Marcadal. Et ça fonctionne ! Les producteurs sont à la fois rémunérés pour les fruits qu’ils livrent à l’usine et en tant qu’associés. La jeune société qui fait travailler une dizaine de CDI sans compter les saisonniers, a transformé cette année plus d’un millier de tonnes de clémentines. Son chiffre d’affaires est de plus d’un million et demi d’euros. « On n’a pas encore fini de peindre les salles, mais c’est génial ! Nous sommes des passionnés ! ».
L’usine est achevée en novembre 2023, grâce à l’appui financier de l’ODARC, le soutien de la Préfecture de Haute-Corse et celui du maire qui s’est beaucoup impliqué dans le projet : une installation technique complexe qui permet de traiter un fruit en 3minutes et 20 secondes, transformant son jus en granité glacé, avant de passer à l’étape ultime de la congélation : une technologie qui conserve les qualités organoleptiques des fruits tout juste cueillis. Parallèlement, le process permet d’extraire l’huile essentielle de l’écorce. L’usine produit le fameux jus pétillant naturel à la clémentine de corse, avec infusion de nepita : “A Corsica”. En complément, elle vend, à des industriels et artisans, des ingrédients utilisés aussi bien dans les glaces, les yaourts, les confiseries que dans la bière ou les alcools… C’est ainsi que les éclairs à la clémentine des Vergers Boiron apportent un petit parfum de Corse « sur les plus grandes tables du monde », jusqu’au Japon ou aux États-Unis.
Un modèle environnemental
Développement durable oblige, l’usine est un modèle environnemental. Avec l’appui technique d’EDF, elle a été construite autour de la récupération de chaleur pour limiter la consommation énergétique. « On maximise notammentl’utilisation de l’unité énergétique déployée pour faire du froid, en récupérant la chaleur fatale qu’elle produit. Cela permet de chauffer de l’eau à 65° que l’on réutilise sur la ligne de production. »
S’ajoute à cela la proximité des exploitations – l’usine est au barycentre de l’ensemble des producteurs – qui permet de réduire l’empreinte carbone du transport : un choix qui joue aussi pour la préservation des qualités organoleptiques, le fruit étant pressé sans attendre.
Devenir un acteur majeur de la transformation au-delà des frontières insulaires
Mais pourquoi Atelier “Fruits et Légumes” ? Parce que l’agrume n’est que la mise en bouche d’un projet beaucoup plus ambitieux : « Nous nous sommes appuyés sur lui, parce que c’est une filière unifiée et qui regroupe pas mal de volume, explique Jean-Do. Mais rien n’empêche de faire ce qu’on fait sur d’autres filières insulaires. »
Cet outil de production, qui veut travailler sur son territoire et pour lui, a « des ambitions au-delà des frontières insulaires, avec l'envie d'être un acteur majeur de la transformation des fruits et légumes au niveau de l’hexagone. Notre outil est à la pointe de ce qui se fait au niveau mondial, avec le choix de la technologie autour du froid et la conception de la construction elle-même ». Une ambition qui impose beaucoup de rigueur, d’autant que certains clients – de gros industriels français comme Andros, Vergers Boiron, ou la maison Cointreau – ont des règles très strictes qu’il convient de respecter.
L’Atelier, qui utilise aussi les citrons et va attaquer le pomelos,travaille actuellement sur les co-produits du pressage, notamment les écorces. « On est dans la phase d’amorçage ». L’entreprise teste des technologies de transformation pour les marchés-cibles, en évaluant le rendement industriel et l’intérêt d’un point de vue à la fois financier et qualitatif. Implantée sur 5,5 hectares, elle envisage également d’y créer un verger démonstratif, et d’y planter sa nepita, l’ingrédient qui fait le succès de son soda… « Et puis, on ne peut pas tout dire », sourit mystérieusement Vincent Marcadal.
L’Atelier Corse Fruits et Légumes démontre qu’avec des idées, de la volonté, de la méthode et des solutions techniques, on peut faire beaucoup de choses sur l’île. Qu’est-ce qui pourrait empêcher les Corses de partir à l’assaut des marchés continentaux ? « On est différent des autres, on est unique ! Il faut croire en nous-mêmes. Nous, on y croit ! »