Soucieux de sensibiliser l'opinion publique concernant la situation des prisonniers palestiniens et de son pays, Salman El Herfi a rencontré Jean-Guy Talamoni, et la conseillère exécutive Fabienne Giovannini -qui représentait Gilles Simeoni- vendredi matin. Le diplomate a ensuite animé, au côté de Corsica Palestina, une conférence-débat au café Napoléon dans la soirée. Une centaine de personnes ont participé à ces échanges.
Retour sur son parcours
Militant depuis son plus jeune âge, Salman El Herfi est ambassadeur de la Palestine en France depuis 2016. Contraint de quitter enfant sa terre natale, son histoire personnelle est rythmée par la lutte anticolonialiste. Jeune exilé à Alger, il s’y lie d’amitié avec nombre de futurs leaders africains, avant de prendre le maquis au lendemain de la guerre des 6 jours. Plus tard, il devient conseiller de Yasser Arafat en charge des relations internationales. Aujourd’hui âgé de 73 ans, c’est un monument de militantisme qui raconte la Palestine aux ajacciens, avec un credo qui ne faiblit pas sous le poids des années : la Paix avant tout.
- Pour en savoir plus sur son parcours personnel : Salman El Herfi, une vie palestienne.
Interview de Salman El Herfi, ambassadeur de Palestine.
Vous l'avez rappelé aujourd'hui vous êtes ici en tant qu'ambassadeur, mais vous êtes avant tout un militant ?
Vous savez, chacun de nous est un militant pour sa cause. Pour moi, j'estime qu'il s'agit d'une cause juste, et noble : la cause d'un peuple sous l'occupation qui recherche la liberté, comme celle de tout autre peuple. Et c'est pour cela que nous avons aujourd'hui la tache de représenter le nôtre. Nous espérons être à la hauteur de la mission qui nous incombe... Diplomate donc, oui, mais nous sommes d'abord et toujours militants en effet.
Quel a été votre parcours ?
Vous savez, j'étais un étudiant en école de médecine. J'ai été forcé de quitter mon pays à cause de l'occupation. Très jeune, j'ai donc rejoint notre mouvement, et je m'y suis consacré pleinement, en toutes circonstances et dans toutes les différentes missions que l’on m’a confiées. J'ai été pendant longtemps conseiller du Président Yasser Arafat, en charge des relations internationales. Aujourd'hui je suis diplomate depuis plus d'une trentaine d'années, dans ce domaine qui vise à défendre notre cause, mais je suis bien sûr toujours militant au service de mon peuple.
Ce matin vous étiez à l'Assemblée de Corse, vous y avez prononcé des mots forts : "l'abandon de la violence est un modèle pour nous". Vous avez aussi dit ressentir un lien particulier avec la Corse, qu'en est-il exactement ?
Sans nul doute, ce lien est une réalité. D'abord, on est méditerranéens, même température, mêmes mentalités. Nous ne sommes pas "importés", comme certains ! Nous sommes originaires de ce bassin, l'Histoire nous lie et nous avons beaucoup en commun. Vous êtes un peuple qui défend son identité, qui a gardé sa langue, sa culture, sa dignité, au sein de la France comme au sein de l’Europe. Nous, nous voulons faire reconnaître notre droit à la dignité. Nous cherchons à être libres, comme toute autre nation. Nous ne voulons pas être en concurrence avec d'autres.
C'est-à-dire ?
Nous ne sommes pas anti-israéliens, nous recherchons seulement la liberté.
Vous en avez parlé durant cette conférence, vous souhaitez partager un message de paix avant tout, n'est-ce pas trop difficile souvent, en tant que militant, face à l'Histoire récente de votre pays ?
C'est notre devoir, en tant que dirigeant, de tenir debout, garder nos principes et défendre la paix. C'est une nécessité, tout autant régionale qu'internationale, une nécessité d’ailleurs israélienne aussi bien que palestinienne, et quand on défend la paix, on ne se fatigue pas. Aussi, on ne peut pas se permettre d'abandonner. On doit continuer, génération après génération. Il y a aujourd’hui plus de 6.000 palestiniens emprisonnés en Israël. Comme nous avons hérité de nos parents de la lutte contre le colonialisme, nous nous devons de lutter aujourd'hui pour la paix, et c’est un combat noble que nous menons.
Avez-vous une écoute ? Vous en parliez plus tôt, vous combattez des lobbies extrêmement puissants, alors qu’en est-il de l'attention internationale portée à la Palestine aujourd'hui ?
Nous avons une réelle écoute, qui grandit ! Il y a 138 pays qui reconnaissent la lutte du peuple palestinien et l'Etat de Palestine. Plus de 170 pays ont voté des résolutions pour la liberté du peuple palestinien. Nous ne sommes pas désespérés ! Si l’on compare notre situation aujourd'hui à celle que nous vivions il y a 70 ans, c'est énorme ! Il y a une évolution formidable de nos revendications, et c'est pour cela que l'aube de l'Indépendance se rapproche.
Vous l'avez souligné : vous dites être un militant anticolonialiste prônant un message de paix, une phrase m'a marqué : "nous ne sommes pas antisémites, nous sommes les sémites !" ...
Je n'ai rien inventé ! C'est la réalité, nous sommes sémites et fiers d'être sémites ! Je le répète : on n’est pas contre Israël ou antisémites, c'est nous les sémites ! On a donné quatre cinquièmes de notre terre à Israël… On est anticolonialistes, on partage un message de paix et tous les jours on se bat aux côtés de militants anticolonialistes israéliens !
Votre message est-il donc aujourd'hui entendu en Israël ?
Oui ! Et nous ne désespérons pas ! Nous défendons l'avenir des Israéliens comme celui des Palestiniens! Nous comprenons la situation en Israël, beaucoup plus que leurs dirigeants selon moi ! Nous voudrions libérer les Israéliens de la tutelle de leur gouvernement, et de sa politique raciste. C'est notre devoir, car c'est avec eux que nous allons vivre ! Ce sont nos voisins, nos partenaires de paix. Si notre message n'est pas aujourd'hui entendu par la majorité des Israéliens, un jour où l'autre, très proche je pense, ils le comprendront.
Un dernier mot ?
Il est de notre devoir, à tous, de travailler pour la justice et la liberté. Bon courage à tous les peuples qui luttent pour la paix.
Situation des prisonniers palestiniens : quelques données clefs
On compte, au mois d’avril 2017, 6 300 prisonniers palestiniens dont 61 femmes, 300 enfants, 13 membres du Conseil législatif palestinien dans les prisons israéliennes.
Les détenus palestiniens sont répartis dans 4 centres d’interrogatoire, 3 centres de détention et 18 prisons. A l’exception de la prison d’Ofer (Cisjordanie), toutes les prisons sont situées en Israël. Ces prisonniers ne peuvent donc jamais voir leurs familles, car pour cela il faudrait que leurs proches aient un droit d’entrée en Israël.
Il existe en Israël une procédure appelée « détention administrative », permettant à l’armée de détenir une personne pour une période de 6 mois maximum, renouvelable de manière infinie, sans inculpation ni procès. 500 Palestiniens sont en détention administrative, dont 8 parlementaires.
99,74% des Palestiniens inculpés par la justice militaire israélienne sont condamnés. La grande majorité de ces condamnations résulte du « plaider coupable » (l’accusé doit plaider coupable pour que la peine requise par le procureur soit réduite). Un prisonnier peut être détenu pendant 90 jours sans voir un avocat, période qui peut être étendue une fois, soit 180 jours au total.
Pour plus d’informations : cliquer ici.
Dernière actualité : une grève de la faim qui dure…
Depuis le 17 avril, près de 1.500 détenus ont entamé une grève de la faim, suite à l’appel de Marouan Barghouti, dirigeant du Fatah, dans le but de « mettre fin aux abus » de l’administration pénitentiaire. Le 18 avril, le ministre de la Sécurité intérieure a affirmé qu’Israël ne « négociera pas ». Depuis neuf jours, Israël interdit tout contact avec les grévistes : même leurs avocats ne peuvent les rencontrer.