Enzo Manni, responsable de la coopérative ACLI qui, à Racale, dans la province de Lecce, regroupe près de 600 producteurs.
- Quel est l’état d’esprit des oléiculteurs dans le Salento ?
- Le Salento est rempli d’oliviers. Notre territoire est splendide parce qu’il possède cette richesse naturelle d’une valeur inestimable, une richesse, à la fois, paysagère, économique et sociale. Nous ne pouvons pas l’imaginer sans nos arbres ! Nous espérons, jour après jour, que la recherche scientifique donne des résultats et rende à nos arbres toute leur productivité et leur splendeur séculaire.
- N’est-ce pas un vœu pieu, la recherche n’ayant rien donné pour l’instant ?
- Nous le savons ! Nous savons que, depuis 1880, l’Amérique se bat sérieusement contre ce fléau et qu’elle n’a pas encore réussi à en venir à bout. Nous espérons continuer à vivre avec cet insecte, qui transmet la bactérie, en contenant sa diffusion et en trouvant le moyen de cultiver les oliviers et de garder ce paysage qui est le nôtre depuis toujours. Nous nous rendons compte qu’il sera très difficile de combattre cette peste, cette maladie qui est arrivée à l’improviste et qui n’est pas de notre fait ! Mais nous avons tant d’espoir !
- Comment avez-vous réagi en apprenant l’existence de la xylella ?
- Des producteurs de Gallipoli nous ont averti, en février 2013, d’un phénomène de dessèchement des feuillages de leurs arbres. Nous avons, d’abord, cru que ce dessèchement était du à un champignon. Mais, nous nous sommes vite rendus compte que ce n’était pas une maladie connue, mais que nous nous trouvions face à un problème nouveau. L’intuition des professeurs Martelli et Bosco a permis d’identifier la bactérie xylella.
- Quelles mesures immédiates avez-vous prises pour empêcher la propagation ?
- Nous n’étions pas préparés à affronter un tel fléau. Les autorités régionales ont publié des communiqués qui édictaient des règles de comportement. Leur intervention a été trop lente. Il aurait fallu qu’elles réagissent plus rapidement ! Face à un problème aussi grave, il aurait fallu prendre des mesures exceptionnelles ! Les scientifiques ont très bien et très vite fait leur travail, mais les autorités n’ont pas assez communiqué, ni suffisamment expliquer aux producteurs ce qu’il fallait faire pour empêcher la diffusion de la bactérie. Nous l’avons signalé à la région, à l’Etat et même à l’Europe, car ce problème est, d’abord, un problème européen. C’est l’Europe qui n’a pas fait les contrôles nécessaires sur l’importation des plants de café et, aujourd’hui, c’est nous, au Salento, qui en payons les conséquences !
- L’Europe vous demande de couper vos arbres pour contenir le fléau. Allez-vous obtempérer ?
- Elle nous demande de couper tous nos arbres et nous met en quarantaine, mais le chaos ne vient pas de nous ! Nos producteurs ne sont, d’aucune manière, responsables ! La bactérie est venue du dehors et l’Europe doit regarder en face sa responsabilité et soutenir les producteurs d’ici qui supportent, seuls, les méfaits de ces importations. C’est tout le Salento qui est victime, spolié de sa richesse et de sa beauté ! Je suis né ici, j’ai grandi ici et je vis ici et je ne peux pas imaginer ce que sera le Salento sans les oliviers ! Nous devons le défendre et nous demandons à nos élus régionaux, nationaux et à nos interlocuteurs européens de sauver le Salento !
- L’Europe a isolé des foyers d’infection, sans grande efficacité. Comment réagissez-vous à cette mise en quarantaine ?
- Il est juste de protéger les autres régions et les zones encore saines. Ce n’est pas parce que nous sommes touchés par la bactérie qu’il faut la transmettre aux autres ! Mais, il ne faut pas, pour autant, abandonner les zones infectées. Nous ne pouvons pas être abandonnés ! C’est inacceptable ! Nous ne voyons aucune intervention ! Personne ne vient nous aider, nous conseiller, nous soutenir ! Les producteurs, qui ont tout perdu, comment vont-ils vivre ? Ceux, qui avaient des économies, ont pu tenir, mais jusqu’à quand ? Leurs ressources ont fondu. Que peut faire une oliveraie à part se diversifier et trouver une autre activité, un remède économique ?
- Que pensez-vous de la loi, votée par les élus régionaux, qui interdit la réaffectation des terres à d’autres fins qu’agricoles et les empêche de devenir constructibles ?
- Mais, nous ne voulons pas que notre territoire change ! C’est une évidence qu’on ne doit pas construire en campagne ! Nous ne voulons même pas considérer cette option ! Nous voulons continuer à vivre sur cette terre comme nous avons toujours vécu, comme nos parents, nos grands-parents et tous ceux qui nous ont précédé depuis des siècles ont vécu ! Nous ne voulons pas perdre notre histoire, notre mémoire, notre richesse, notre patrimoine ! Nos oliviers sont magnifiques ! Ils sont notre vraie richesse ! Ils nous offrent un paysage, un spectacle unique, stupéfiant, magnifique ! Ce patrimoine, nous ne pouvons pas le laisser détruire ! Nous devons le défendre, pas seulement pour nous, mais pour l’exigence alimentaire mondiale qui est une nécessité vitale !
- Mais, ne pas pouvoir construire ne vous condamne-t-il pas à une double peine ?
- Cela ne nous intéresse pas de construire ! La richesse, nous l’avons déjà ! Nous avons, déjà, la mer et les constructions touristiques. Nous ne devons pas être trop dépendant du tourisme. Nous sommes favorables à l’agritourisme, mais en relation avec l’agriculture. Notre climat nous permet de faire pousser des tas de choses, c’est là notre vraie richesse ! Ce petit territoire, qui est le nôtre, nous voulons le conserver productif !
- Dans quelle situation se trouvent, aujourd’hui, les oléiculteurs de votre coopérative ?
- Ceux, situés dans la zone de Gallipoli, sont dans une situation désespérée. Déjà, l’an dernier, ils avaient perdu entre 70% et 80% de leurs récoltes. Cette année, leur production est réduite à zéro ! Ils ont utilisé leurs économies pour essayer de sauver leurs exploitations, pour couper et brûler les branches et les feuilles infectées. Tous espèrent que les arbres repartiront, que la nouvelle végétation ne soit pas infectée, produisent des fruits et qu’ils pourront obtenir, l’an prochain, une nouvelle récolte !
- Comment font-ils pour vivre ?
- Nous attendons une aide et que le Salento soit reconnu en situation de calamité agricole exceptionnelle. Si un producteur n’a plus de revenu, que doit-il faire ? Abandonner sa plantation ? Et, si tous abandonnent, que va devenir le territoire ? Il ne sera plus productif, ni protégé d’un point de vue environnemental. On ne peut pas, même d’un point de vue social, accepter qu’un territoire soit abandonné. Ce serait comme donner des gifles à quelqu’un qui vous a aidé ! Nous, nous sommes emplis de gratitude envers ce territoire que nous avons façonné et rendu si productif et si beau et qui nous a donné la possibilité de bien vivre, de manière si ouverte, si sociable. La campagne, c’est notre histoire ! Nous demandons à nos élus de lui rendre sa productivité pour maintenir l’activité et les populations.
- N’avez-vous pas reçu d’aides du gouvernement ?
- Non ! Pour l’instant, nous n’avons reçu aucune aide ! Le plus important pour nous n’est pas d’obtenir de l’argent, mais de pouvoir retrousser nos manches et continuer à travailler, comme nous l’avons toujours fait ! Nous ne voulons pas d’argent ! Ça ne nous intéresse pas ! Nous voulons notre territoire, nos oliviers, gagner de l’argent avec notre labeur, notre sueur, notre ambition, nos capacités et notre engagement de chaque instant pour produire et récolter. C’est ce qui nous intéresse ! Il est juste que les producteurs, qui ont tout perdu ou qui ont été affectés par la bactérie, soient dédommagés. Mais nous voulons vivre de notre territoire, de notre travail, de notre terre, de nos arbres, de nos récoltes. C’est, pour nous, indispensable et vital !
Propos recueillis par Nicole MARI
- Le Salento est rempli d’oliviers. Notre territoire est splendide parce qu’il possède cette richesse naturelle d’une valeur inestimable, une richesse, à la fois, paysagère, économique et sociale. Nous ne pouvons pas l’imaginer sans nos arbres ! Nous espérons, jour après jour, que la recherche scientifique donne des résultats et rende à nos arbres toute leur productivité et leur splendeur séculaire.
- N’est-ce pas un vœu pieu, la recherche n’ayant rien donné pour l’instant ?
- Nous le savons ! Nous savons que, depuis 1880, l’Amérique se bat sérieusement contre ce fléau et qu’elle n’a pas encore réussi à en venir à bout. Nous espérons continuer à vivre avec cet insecte, qui transmet la bactérie, en contenant sa diffusion et en trouvant le moyen de cultiver les oliviers et de garder ce paysage qui est le nôtre depuis toujours. Nous nous rendons compte qu’il sera très difficile de combattre cette peste, cette maladie qui est arrivée à l’improviste et qui n’est pas de notre fait ! Mais nous avons tant d’espoir !
- Comment avez-vous réagi en apprenant l’existence de la xylella ?
- Des producteurs de Gallipoli nous ont averti, en février 2013, d’un phénomène de dessèchement des feuillages de leurs arbres. Nous avons, d’abord, cru que ce dessèchement était du à un champignon. Mais, nous nous sommes vite rendus compte que ce n’était pas une maladie connue, mais que nous nous trouvions face à un problème nouveau. L’intuition des professeurs Martelli et Bosco a permis d’identifier la bactérie xylella.
- Quelles mesures immédiates avez-vous prises pour empêcher la propagation ?
- Nous n’étions pas préparés à affronter un tel fléau. Les autorités régionales ont publié des communiqués qui édictaient des règles de comportement. Leur intervention a été trop lente. Il aurait fallu qu’elles réagissent plus rapidement ! Face à un problème aussi grave, il aurait fallu prendre des mesures exceptionnelles ! Les scientifiques ont très bien et très vite fait leur travail, mais les autorités n’ont pas assez communiqué, ni suffisamment expliquer aux producteurs ce qu’il fallait faire pour empêcher la diffusion de la bactérie. Nous l’avons signalé à la région, à l’Etat et même à l’Europe, car ce problème est, d’abord, un problème européen. C’est l’Europe qui n’a pas fait les contrôles nécessaires sur l’importation des plants de café et, aujourd’hui, c’est nous, au Salento, qui en payons les conséquences !
- L’Europe vous demande de couper vos arbres pour contenir le fléau. Allez-vous obtempérer ?
- Elle nous demande de couper tous nos arbres et nous met en quarantaine, mais le chaos ne vient pas de nous ! Nos producteurs ne sont, d’aucune manière, responsables ! La bactérie est venue du dehors et l’Europe doit regarder en face sa responsabilité et soutenir les producteurs d’ici qui supportent, seuls, les méfaits de ces importations. C’est tout le Salento qui est victime, spolié de sa richesse et de sa beauté ! Je suis né ici, j’ai grandi ici et je vis ici et je ne peux pas imaginer ce que sera le Salento sans les oliviers ! Nous devons le défendre et nous demandons à nos élus régionaux, nationaux et à nos interlocuteurs européens de sauver le Salento !
- L’Europe a isolé des foyers d’infection, sans grande efficacité. Comment réagissez-vous à cette mise en quarantaine ?
- Il est juste de protéger les autres régions et les zones encore saines. Ce n’est pas parce que nous sommes touchés par la bactérie qu’il faut la transmettre aux autres ! Mais, il ne faut pas, pour autant, abandonner les zones infectées. Nous ne pouvons pas être abandonnés ! C’est inacceptable ! Nous ne voyons aucune intervention ! Personne ne vient nous aider, nous conseiller, nous soutenir ! Les producteurs, qui ont tout perdu, comment vont-ils vivre ? Ceux, qui avaient des économies, ont pu tenir, mais jusqu’à quand ? Leurs ressources ont fondu. Que peut faire une oliveraie à part se diversifier et trouver une autre activité, un remède économique ?
- Que pensez-vous de la loi, votée par les élus régionaux, qui interdit la réaffectation des terres à d’autres fins qu’agricoles et les empêche de devenir constructibles ?
- Mais, nous ne voulons pas que notre territoire change ! C’est une évidence qu’on ne doit pas construire en campagne ! Nous ne voulons même pas considérer cette option ! Nous voulons continuer à vivre sur cette terre comme nous avons toujours vécu, comme nos parents, nos grands-parents et tous ceux qui nous ont précédé depuis des siècles ont vécu ! Nous ne voulons pas perdre notre histoire, notre mémoire, notre richesse, notre patrimoine ! Nos oliviers sont magnifiques ! Ils sont notre vraie richesse ! Ils nous offrent un paysage, un spectacle unique, stupéfiant, magnifique ! Ce patrimoine, nous ne pouvons pas le laisser détruire ! Nous devons le défendre, pas seulement pour nous, mais pour l’exigence alimentaire mondiale qui est une nécessité vitale !
- Mais, ne pas pouvoir construire ne vous condamne-t-il pas à une double peine ?
- Cela ne nous intéresse pas de construire ! La richesse, nous l’avons déjà ! Nous avons, déjà, la mer et les constructions touristiques. Nous ne devons pas être trop dépendant du tourisme. Nous sommes favorables à l’agritourisme, mais en relation avec l’agriculture. Notre climat nous permet de faire pousser des tas de choses, c’est là notre vraie richesse ! Ce petit territoire, qui est le nôtre, nous voulons le conserver productif !
- Dans quelle situation se trouvent, aujourd’hui, les oléiculteurs de votre coopérative ?
- Ceux, situés dans la zone de Gallipoli, sont dans une situation désespérée. Déjà, l’an dernier, ils avaient perdu entre 70% et 80% de leurs récoltes. Cette année, leur production est réduite à zéro ! Ils ont utilisé leurs économies pour essayer de sauver leurs exploitations, pour couper et brûler les branches et les feuilles infectées. Tous espèrent que les arbres repartiront, que la nouvelle végétation ne soit pas infectée, produisent des fruits et qu’ils pourront obtenir, l’an prochain, une nouvelle récolte !
- Comment font-ils pour vivre ?
- Nous attendons une aide et que le Salento soit reconnu en situation de calamité agricole exceptionnelle. Si un producteur n’a plus de revenu, que doit-il faire ? Abandonner sa plantation ? Et, si tous abandonnent, que va devenir le territoire ? Il ne sera plus productif, ni protégé d’un point de vue environnemental. On ne peut pas, même d’un point de vue social, accepter qu’un territoire soit abandonné. Ce serait comme donner des gifles à quelqu’un qui vous a aidé ! Nous, nous sommes emplis de gratitude envers ce territoire que nous avons façonné et rendu si productif et si beau et qui nous a donné la possibilité de bien vivre, de manière si ouverte, si sociable. La campagne, c’est notre histoire ! Nous demandons à nos élus de lui rendre sa productivité pour maintenir l’activité et les populations.
- N’avez-vous pas reçu d’aides du gouvernement ?
- Non ! Pour l’instant, nous n’avons reçu aucune aide ! Le plus important pour nous n’est pas d’obtenir de l’argent, mais de pouvoir retrousser nos manches et continuer à travailler, comme nous l’avons toujours fait ! Nous ne voulons pas d’argent ! Ça ne nous intéresse pas ! Nous voulons notre territoire, nos oliviers, gagner de l’argent avec notre labeur, notre sueur, notre ambition, nos capacités et notre engagement de chaque instant pour produire et récolter. C’est ce qui nous intéresse ! Il est juste que les producteurs, qui ont tout perdu ou qui ont été affectés par la bactérie, soient dédommagés. Mais nous voulons vivre de notre territoire, de notre travail, de notre terre, de nos arbres, de nos récoltes. C’est, pour nous, indispensable et vital !
Propos recueillis par Nicole MARI