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« Le gouvernement ne prend pas la mesure de ce qui se passe en Corse »


Nicole Mari le Mardi 22 Juillet 2014 à 21:22

La salve finale et, peut-être, la plus meurtrière contre le discours de Marylise Lebranchu, ministre de la fonction publique et de la décentralisation, devant l’Assemblée de Corse (CTC), vendredi dernier, a été tirée par un élu de la majorité territoriale et nationale. Jean-Charles Orsucci, président du groupe Socialistes et Radicaux, 4ème vice-président de la CTC, maire de Bonifacio et socialiste militant, redit, à Corse Net Infos, que le gouvernement fait fausse route et n’a pas pris la mesure de ce qui se passe en Corse. Tirant la sonnette d’alarme, il lui demande de respecter la démocratie et de ne plus écouter les voix ultra-minoritaires.



Jean-Charles Orsucci, président du groupe Socialistes et Radicaux et vice-président de la CTC, maire de Bonifacio et socialiste militant.
Jean-Charles Orsucci, président du groupe Socialistes et Radicaux et vice-président de la CTC, maire de Bonifacio et socialiste militant.
- Les propos de la ministre semblent vous avoir déçu. Est-ce ce qui a motivé votre réaction très ferme ?
- Ses propos ne m’ont pas déçu. J’ai eu une réaction très ferme pour lui passer un message clair, celui de militants socialistes, de gens qui sont dans la majorité territoriale et qui entendent que le gouvernement saisisse bien la portée de ce qui se passe en Corse en ce moment.
 
- C’est-à-dire ?
- Une assemblée de Corse qui se positionne, de façon assez large, sur des sujets sensibles : fiscalité, foncier, langue… et aussi la décision du FLNC de déposer les armes. La situation en Corse est apaisée comme jamais elle ne l’a été depuis 40 ans. Le gouvernement, que je soutiens par ailleurs dans toutes ses actions, est, en Corse, sourd à nos demandes. Si ce n’est Marylise Lebranchu ! C’est pour cela que j’étais un peu gêné… J’ai été clair dans le message que je lui ai adressé en lui disant qu’elle faisait partie de ceux qui nous entendent et tentent de répondre clairement, mais, autour d’elle, le gouvernement fait une gestion chevènementiste du dossier corse. Cela m’embête fortement !
 
- N’y-a-t-il pas de la démagogie dans le discours ministériel qui multiplie les déclarations d’amour à la Corse et ferme la porte à toutes les décisions votées par la CTC ?
- Il y a quand même des petits signes positifs. Contrairement à de précédentes visites, celle de Marylise Lebranchu a permis de voir l’amorce de propositions : l’établissement sur la langue, la taxe de mouillage... Elles ne seront certainement pas suffisantes, mais elles dénotent une évolution par rapport au discours de Bernard Cazeneuve qui est venu nous dire que notre diagnostic était parfait, mais que nos propositions étaient mauvaises. Sans rien nous proposer en retour, mais en nous disant qu’il fallait utiliser l’actuel dispositif législatif et règlementaire, dispositif qui n’a jamais permis de régler les problèmes. En l’entendant, je croyais marcher sur la tête !
 
- Pensez-vous que Marylise Lebranchu sera entendue ?
- J’essaye de positiver sans quoi cela ne sert à rien de faire de la politique. J’entrevois, dans la visite de Marylise Lebranchu, une inflexion du gouvernement, même si je sais que ce sera difficile pour elle de se faire entendre. Je crois que nous y arriverons en étant unis à l’Assemblée de Corse et en portant ensemble des propositions concrètes. Ensuite, j’espère que le bon sens l’emportera.
 
- Que pensez-vous du paravent constitutionnel et égalitaire derrière lequel s’abrite le gouvernement ?
- Je n’y crois pas du tout ! Paul Giacobbi le dit souvent, et j’ai fait miens ses propos : il y a, en France, nombre de cas où il y a une rupture d’égalité entre les Français. Je prends souvent l’exemple de l’Alsace : avec mes impôts, je paye les curés d’Alsace-Lorraine. Cela me pose un vrai problème dans un pays qui se dit laïc, où la laïcité et l’égalité sont des principes constitutionnels. Dans ce cas précis, on a bien tordu le cou à la Constitution !
 
- Quid de l’argument de l’absence de la majorité des 3/5ème pour réviser la Constitution ?
- Je souhaiterais que le gouvernement socialiste, mon gouvernement, puisse dire qu’il a fait le choix de nous donner satisfaction sur tel ou tel point. Ensuite, on renverra, à l’UMP, la responsabilité ou non de refuser telle ou telle avancée. J’accepte assez difficilement l’idée que le droit puisse être un barrage à une large volonté populaire. Les seuls bémols que je peux entendre, pour reprendre le discours de Dominique Bucchini, c’est que ce n’est pas à une assemblée territoriale d’imposer ses vues à Paris, même si celles-ci sont votées à l’unanimité.
 
- Que pensez-vous des mêmes arguments sur le droit européen ?
- Qu’on m’oppose le droit européen, je veux bien ! Encore que ! Nous savons que le droit reste un outil au service d’une volonté politique. Il ne faut pas s’abriter derrière lui ! Quand bien même il y aurait des difficultés juridiques, qu’on nous fasse des propositions qui s’inscrivent dans le cadre règlementaire et législatif ! Mais, nous n’avons même pas eu cela ! Qu’on ne nous réponde pas de façon satisfaisante sur tous les points, je peux le comprendre, mais j’aimerais qu’on nous réponde favorablement au moins sur bon nombre d’entre-eux.
 
- Avez-vous le sentiment que le gouvernement a, enfin, pris la mesure de ce qui se passe en Corse et de l’état d’esprit de la population ?
- Il y a quelques temps, je vous aurais répondu : Oui. Aujourd’hui, je reste très prudent. J’ai confiance en Marylise Lebranchu. Les rapports, que j’ai pu avoir avec elle, me font penser qu’elle est sincère sur le dossier. Manuel Valls est un homme assez pragmatique qui pourrait, demain peut-être, prendre la juste mesure des évènements. Par contre, je ne suis pas sûr qu’au niveau présidentiel, on ait bien pris la mesure de ce qui se passe en Corse. Je ne peux pas vous dire si cela va changer.
 
- N’avez-vous pas l’impression que le voyage de Marylise Lebranchu se borne à une opération de déminage, une opération ratée ?
- Quand elle dit qu’elle nous aime, elle nous aime véritablement et aurait envie d’apporter sa pierre à l’édifice. Je crois qu’elle a, personnellement, envie de réussir sur ce dossier. Maintenant, va-t-elle réussir ? C’est une autre question ! Je le souhaite évidemment sincèrement. A-t-elle déminé le terrain ? Les gens, ici comme ailleurs, ont suffisamment d’intelligence et de capacités d’analyse pour savoir si on les roule dans la farine ou si on est sincère avec eux.
 
- Si le gouvernement persiste dans son attitude de fermeture, craignez-vous des réactions violentes en Corse ?
- J’attire l’attention du gouvernement sur un point. S’il pense que le FLNC est allé dans le sens de l’apaisement parce qu’il est en situation de faiblesse, il fait une grave erreur d’analyse. Les observateurs avertis se rendent compte qu’il y a, aujourd’hui, des jeunes déterminés, convaincus, dotés d’une culture politique, qui peuvent tomber, demain, dans une dérive dangereuse pour la Corse. Je tire la sonnette d’alarme en disant : Attention ! Des tas de gens, des Socialistes, des Nationalistes, des gens de droite, sont prêts à faire un pas pour la paix. Le gouvernement prendrait une grave responsabilité s’il ne les entend pas et si, je le dis clairement, il continue à écouter ceux qui sont ultra-minoritaires sur cette île et, d’élection en élection, montrent qu’ils ne sont plus entendus. Si on ne respecte pas la démocratie, on prend le risque de provoquer des dérives telles que nous les avons connues pendant 40 ans et que nous ne voulons plus avoir à gérer sur cette île.
 
- Que pensez-vous de la stratégie d’opposer l’urgence sociale à la réforme constitutionnelle ?
- Le militant socialiste vous répond que c’est inadmissible d’opposer les deux ! Bien sûr que je me bats et que je me battrai pour que la misère recule. Bien sûr que les questions de l’emploi et du logement doivent être au cœur de nos préoccupations. Nous les traitons. Il faut arrêter de dire le contraire ! L’aide aux primo-accédant ou aux étudiants, le travail sur le PADDUC… sont de véritables réussites. De nombreux exemples montrent que la majorité territoriale de gauche s’occupe de ces questions-là, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il faut balayer, d’un revers de main, les questions institutionnelles. Des institutions performantes permettent d’obtenir des résultats, notamment dans le domaine social. La politique veut que l’on s’occupe de tout à la fois, avec la même pugnacité sur tous les dossiers.
 
Propos recueillis par Nicole MARI