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Nanette Maupertuis : « Ce sont nos enfants qui meurent. Etre corse et être mafieux n’est plus compatible »


Nicole Mari le Jeudi 27 Février 2025 à 12:27

La session extraordinaire, consacrée aux dérives mafieuses, qui se tient toute la journée de jeudi à l’Assemblée de Corse, s’est ouverte par une allocution solennelle de la présidente Nanette Maupertuis, qui appelle à en finir avec cette trajectoire mortifère de la violence et des meurtres. Elle demande à la société corse et l’Etat à prendre chacun leurs responsabilités et leur part du travail, tout en fustigeant les initiatives opportunistes. Elle appelle à un Riacquistu de la légalité et du droit au bonheur et affirme que les Corses peuvent encore changer les choses.



La présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis. Photo Paule Santoni.
La présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis. Photo Paule Santoni.
« Nous le disons : BASTA ! Nous le disons avec les collectifs qui s’engagent quotidiennement dans cette lutte ! BASTA ! Nous le disons avec les commerçants, les entrepreneurs, les petites gens qui subissent ! BASTA ! Nous le disons avec les pères et les mères endeuillés ! Et nous le disons pour les enfants de ce pays ». C’est par un nouveau discours fort que la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, a ouvert, jeudi matin, la session extraordinaire consacrée aux dérives mafieuses et à laquelle ont participé, en guest-stars, le Garde des Sceaux Gérald Darmanin, et l’ancien maire de Palerme, figure emblématique de la lutte contre Cosa Nostra en Sicile, Leoluca Orlandi, sous le regard attentif des parlementaires, de la présidente du CESEC, des collectifs anti-mafia, mais aussi du vicaire général, Frederic Constant et du nouveau président de la Chambre d'agriculture de Corse, Jean-Baptiste Arena. La présidente Maupertuis a débuté par un rappel de la précédente session extraordinaire de novembre 2022, première du genre en France, voire en Europe. Session qui, précise-t-elle à l’intention du ministre, « ouvrit un cycle de plusieurs mois de travail, 5 ateliers et 35 réunions auxquels participèrent des dizaines d’élus, membres de conseils consultatifs et membres des associations ». Regrettant que l’espoir qu’elle avait émis alors « de laisser à nos enfants, une terre, un pays émancipé, apaisé et où ils seront heureux », n’ait pas trouvé de concrétisation heureuse, elle fait un constat amer : « Que reste-t-il de tout cela pour Chloé, 18 ans ? Magnifica ghjuvanotta curtinese, piena di vita è di prugetti, gioia di i so parenti ? Que reste-t-il de tout cela pour Pilou, 33 ans ? Ghjuvanottu stimatu è impegnatu indè u sport è u so mistieru di spenghjifocu ? Il ne reste rien ! Nunda ! Pourtant, ce sont des enfants, nos enfants, les enfants de cette terre ».
 
Une démarche exceptionnelle
Nanette Maupertuis revient également sur les paroles et les critiques qui ont déferlé sur le rapport et les 30 mesures proposées par l’Exécutif pour souligner à quel point, la démarche initiée en 2022, est exceptionnelle et que les mois de travail en atelier sont très fructueux dans la forme, comme dans le fond. « Pour certains, le rapport répond aux enjeux. Pour d’autres, il se situe en-deçà. Tout ce qu’il y a de plus normal dans un cadre démocratique où chacun – de là où il se trouve - peut exprimer ses positions, en débattre, le tout en acceptant les règles qui régissent notre fonctionnement institutionnel. Sur la forme, beaucoup encore évoquent les questions sémantiques : mafia, dérives mafieuses, emprise mafieuse. Se réjouissant parfois des évolutions, contestant souvent les termes employés. Sur le fond, beaucoup de questions continuent de se poser, notamment sur les mesures pénales et judiciaires. En démocratie, il est juste et sain que ce débat existe, que les oppositions soient formulées et les élus eux-mêmes auront tout le loisir de poursuivre ces échanges, voire de contribuer à l’évolution de ce rapport et des dispositifs qu’il contient, via un travail parlementaire d’amendement que nous aurons cet après-midi ». Si toutes ces interactions sont, pour elle, marqueurs d’une vitalité démocratique, elles font aussi, déplore-t-elle, « beaucoup de bruit. Une visite ministérielle de dernière minute pour des annonces importantes. Une agitation générale pour une séquence qui prendrait donc une tournure nouvelle scénarisée, face à des élus corses graves et inquiets. La lutte contre les dérives mafieuses est un sujet sérieux. Qui ne mérite aucun spectacle, aucune théâtralisation, aucun effet de manche ! ».
 
La survie d’un peuple
La présidente de l’assemblée de Corse ne se prive pas d’une mise au point aussi en piqure de rappel au ministre présent : « Si les élus de la Corse que nous sommes se sont saisis de ce sujet, en faisant d’ailleurs preuve d’innovation et d’un sens aigu des responsabilités, c’est bien parce que ces dérives ont souvent, très souvent, longtemps, trop longtemps été ignorées par l’Etat qui a privilégié, au cours des 50 dernières années, la répression envers le mouvement national, que nous sommes une majorité dans cet hémicycle à représenter ». Si elle accepte le reproche des collectifs « de ne pas être assez, de ne pas faire assez dans ce débat, dans ce combat », elle ajoute que les élus ont accepté de « porter politiquement, à bouts de bras, ce sujet, alors même que nous ne disposons pas à notre échelle de toutes les compétences pour intervenir…Tout simplement, parce que nous sommes de cette terre. Parce que ce sont nos enfants qui meurent ! Et ce sont également nos enfants qui tuent ! Nous le faisons car au-delà de la sémantique, au-delà des mesures pénales et judiciaires, au-delà des désaccords plus ou moins grands, c’est de la survie de notre peuple dont il est question. Loin des réactions médiatiques, loin des initiatives opportunistes, la Corse est une terre qui doit panser ses plaies, soigner ses maux, inverser le sens de cette trajectoire funeste ». Une trajectoire mortifère rendue possible, poursuit-elle, « par l’absence de perspectives globales, le maintien dans une situation de dépendance et de mal développement, les non -réponses et les dénis de démocratie qui n’ont que trop duré ».
 
Un Riacquistu du droit au bonheur
Nanette Maupertuis se félicite, ensuite, de la présence de Leoluca Orlando et de son « regard, empreint de réalité, de proximité, de connaissance des mécanismes à l’œuvre et de leur perversité ». Citant les propos qu’il avait tenu en Corse en 1995 « Rien, dans la réalité n’est plus hostile à la Sicile que la mafia. Ceci nous le savons, nous Siciliens, nous l’avons appris en vivant de terribles moments de peur, de honte, de douleur. On ne peut être à la fois Sicilien et mafieux, car on ne peut être une chose et la tuer », elle les applique à la situation en Corse : « Des moments de peur, de honte, de douleur, nous Corses en avons vécus beaucoup ces dernières années. Et si nous avons pu collectivement faire preuve d’atermoiements par le passé, force est de constater que nous ne nous cachons plus derrière une identité collective, une interconnaissance favorisée par la société de proximité ». Et d’asséner : « On ne peut être de ce peuple et vouloir l’anéantir par les pressions, les violences, l’emprise, la crainte, la mort ». Elle appelle à un nouveau Riacquistu : « Parce que nous croyons tous ici à la nécessité d’une renaissance, mot cher à Leoluca Orlando qui aura permis celle de Palermo, nous devons, nous Corses, favoriser une nouvelle étape de notre Riacquistu. Le Riacquistu de la légalité, le Riacquistu des valeurs de Paoli, en cette année du tricentenaire, le Riacquistu de l’espoir, le Riacquistu du droit au bonheur ».
 
Changer les choses
Une responsabilité qui, affirme-t-elle, incombe aux Corses : « c’est à nous, Corses, de le dire et de le faire. A l’Etat, ses responsabilités, toutes ses responsabilités, rien que ses responsabilités. A nous, celles de réécrire une nouvelle page de notre histoire, une histoire où être Corse et être mafieux n’est plus compatible ». Cette responsabilité passe, ajoute-t-elle, « par notre culture, levier d’émancipation, passe par l’éducation, vecteur de cohésion, passe par nos valeurs de justice et de respect, passe par nos actions collectives et individuelles pour anéantir petit à petit ce fléau, lui ôter, jour après jour, une part de pouvoir ». La présidente conclut en paraphrasant le message « poignant » du Pape Jean-Paul II, lors de son grand discours le 9 mai 1993 dans la Valle dei Templi2 à Agrigento en Sicile : « Stu populu, u populu corsu, cusì liatu à a vita, populu affeziunatu à a vita, chì dà a vita, ùn pò micca campà sottu à a pressione di una civilizazione di a morte. Quì ci vole una civilizazione di a vita ! Ce sont cette croyance et cette ambition que nous avons collectivement alimentées qui me permettent d’espérer que malgré les drames et les horreurs, nous pouvons encore, ici, nous Corses, changer les choses ».
 
N.M.