Corse Net Infos - Pure player corse

Processus d’autonomie : L’Assemblée de Corse, unanime, pour en appeler au Chef de l’Etat


Nicole Mari le Jeudi 26 Septembre 2024 à 21:54

Le premier débat de la session de rentrée de l’Assemblée de Corse a été consacré à l’actualité politique et à ses possibles conséquences sur le processus d’autonomie de la Corse, suspendu depuis la dissolution de l’Assemblée nationale. Le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, appelle les élus à parler d’une même voix pour remettre la question Corse dans l’agenda politique gouvernemental et obtenir la réindexation de la Dotation de continuité territoriale. L’opposition est globalement d’accord sur la nécessité de poursuivre le dialogue avec l’Etat et d’en appeler, de façon unitaire, au Chef de l’Etat. La droite martèle son inquiétude sur l’état des finances territoriales. Une résolution devrait être rédigée et votée vendredi.



L'hémicycle de la Collectivité de Corse. Photo CNI.
L'hémicycle de la Collectivité de Corse. Photo CNI.
Que devient la Corse et le processus d’autonomie, qui a mobilisé les élus insulaires depuis plus de deux ans, dans la crise politique et budgétaire qui secoue la France ? La question est tellement brûlante depuis la dissolution de l’Assemblée nationale qu’elle a imposé le premier sujet de débat de la session de rentrée de l’Assemblée de Corse. Un débat de politique générale sur deux axes - la poursuite du processus et la ré-indexation de la Dotation de continuité territoriale - que l’on attendait plus polémique, mais que la gravité de la situation a rendu apaisé et constructif. Tous les groupes se sont évertués à poser des constats parfois très critiques et à rappeler les désaccords, mais de manière dépassionnée, à lister des priorités et des urgences, tout s’entendant sur la nécessité de porter la révision constitutionnelle à l’agenda politique du nouveau gouvernement. D’accord également pour demander un entretien au Chef de l’Etat sur sa volonté ou non de tenir ses engagements et d’en mandater le Premier ministre. Les désaccords ont porté sur la nécessité d’intégrer ou de séparer la question de la dotation de continuité territoriale, du processus d’évolution. L’opposition voulait revoter une délibération pour porter une voix unanime à Paris, le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, a proposé plutôt la rédaction d’une résolution commune et, au-delà de leurs divergences, de rassembler toutes les forces politiques insulaires pour imposer la prise en compte de la question Corse. Résolution qui devrait être adoptée ce vendredi.
 
Le respect des engagements
« Ce qui m’occupe et me préoccupe, c’est le sort du processus constitutionnel, c’est de savoir si l’Etat, par delà les alternances et les changements de majorité parlementaire, continuera de s’engager dans un processus de révision constitutionnelle devant déboucher sur un statut d’autonomie », pose d’emblée le président Simeoni. Pour lui, les choses sont claires : « On a souvent entendu dire, depuis la nomination de Michel Barnier et la composition de son gouvernement, que les choses seraient difficiles avec le nouveau ministre de l’Intérieur qui semble plus distant et plus fermé par rapport à la question corse. A mon sens, sa désignation n’a strictement aucune incidence sur le processus de Beauvau qui s’est terminé le jour où un accord a été trouvé avec Gérald Darmanin, mandaté par le Président de la République à cet effet, et la représentation élue de la Corse. Un accord sur un projet d’écriture constitutionnelle qui a, en son principe, été validé par un vote unanime de l’Assemblée de Corse ». A partir de là, estime-t-il, le processus entre dans une nouvelle phase réglée par la Constitution, c’est-à-dire la saisine des deux chambres parlementaires à l’initiative du Président sur proposition du Premier ministre. « Je ne doute pas, parce qu’il me l’a dit avant l’été, que le Président de République continuera d’être dans le respect des engagements qu’il a pris ici même, il appartient donc au Premier ministre de s’exprimer sur le moment où ce processus reprendra son cheminement normal ». Et de préciser : « Au moment où la France est confrontée à une crise politique sans précédent, il me semble indispensable que nous obtenions cet engagement public. C’est le premier enjeu ».

Gilles Simeoni. Photo CNI.
Gilles Simeoni. Photo CNI.
Un acquis irréversible
Malgré ce qu’il veut considérer comme un acquis, Gilles Simeoni avoue que l’incertitude reste néanmoins totale. « Le processus est-il condamné ? Non ! Avons-nous la garantie que le processus va reprendre ? A l’instant où je parle, non ! » Aussi juge-t-il indispensable que l’Assemblée de Corse et le Conseil exécutif s’inscrivent dans la continuité de ce qui a déjà été acté et ne pas rater l’occasion. « Il le faut le faire maintenant, sauf à prendre le risque que la Corse et le processus ne disparaissent de l’agenda politique des mois à venir. Oui, la fenêtre reste ouverte, mais elle risque de se refermer, et si elle se referme, nul ne peut savoir à quel moment elle se rouvrira ». Quand bien même la Corse obtiendrait cet engagement public et les garanties sur le calendrier, le point d’aboutissement serait-il acquis ? « Non ! », concède-t-il. Mais, pour lui, il y a matière à convaincre. « Nous devrons, comme nous avions commencé à le faire, prendre notre bâton de pèlerin pour que la majorité des 3/5ème du Parlement soit acquise rapidement, que la Constitution soit révisée et qu’un statut d’autonomie soit accordé à la Corse ». Il réaffirme sa conviction que ce statut et la solution politique, qui en découle, sont « la garantie du développement économique et social, la préservation de notre langue, de la survie de notre peuple, l’enracinement irréversible de la logique d’apaisement et de paix…. Rien n’est acquis, mais le travail, que nous avons d’ores et déjà accompli ensemble, est un acquis irréversible. Pour que ce capital fructifie, il faut que la Corse, à travers une demande unanime, obtienne de continuer d’être prioritaire dans l’agenda politique. C’est un objectif essentiel ». Et d’asséner : « Si nous ne votons pas ensemble une résolution, nous condamnons à mort la révision constitutionnelle ».
 
De l’espoir au désenchantement
Comme d’habitude, c’est Paul Quastana, élu de Core in Fronte, qui ouvre frontalement le débat en esquissant un contexte peu favorable aussi bien à Paris qu’en Corse. « S’il ne s’était rien passé, le processus aurait suivi le chemin tracé. Dans le meilleur des cas, tout ceci aurait pris des mois, voire des années pour un processus abouti. Pendant ce temps, il y a eu, dans cette élection, une part de sanction de cette collectivité et de son Exécutif ». Et d’interpeller l’hémicycle : « Que fait-on collectivement pour satisfaire les besoins les plus élémentaires ? Il faut trouver le moyen de redresser la barre. L’Exécutif n’a pas été sanctionné par hasard, la désillusion est d’autant plus grande que l’espoir avait été grand en 2015 ». Le président du groupe, Paul-Félix Benedetti, enfonce le clou : « En Corse, on a peur des légalistes, on a peur des Indépendantistes, et on s’est replié sur le centrisme autonomiste. Il y a un rééquilibrage qui n’est pas bénéfique pour la Corse qui a besoin de confrontation idéologique, pas de basculement d’opportunité, ni d’un corps électoral versatile et volatile. C’est porteur de désenchantements très violents ».
 
Le spectre de la violence
Pour le leader indépendantiste, « La violence politique n’a pas amené de maux à la Corse. Elle a amené des solutions, des perspectives, l’établissement de dialogues, de processus politiques émancipateurs. Elle a historiquement accompagné toutes les démarches sans jamais faire peser la pesanteur de la violence sur la sérénité des débats. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. La société corse n’a jamais été aussi violente, elle est gangrenée par une violence mortifère. Les logiques de rapports de forces n’ont jamais eu autant de capacité de nuisance. Est-ce parce que les nationalistes historiques ont levé le pied en pensant qu’il y avait un avenir pour les processus politiques diurnes et qu’ils se sont laissés débordés ? ». Il martèle que « le processus est un dû », mais, rappelle-t-il, « la paix, vous ne pouvez la faire qu’avec votre adversaire ». Pour lui aussi, la balle est dans les mains exclusives du Président de la République. « Si le processus ne redémarre pas, c’est que le président de la République a décidé de le stopper ». Il pense qu’existe néanmoins un espace, « c’est à nous de chercher à faire avancer les choses » et que le scénario du blocage serait désastreux : « L’exaspération naturelle de tous ceux qui attendent, ceux qui ont donné et se sont sacrifiés, nous obligera a accepté la logique de rupture, à la valider et à la pratiquer. On doit demander une rencontre au Président de la république, il nous la doit. S’il continue le processus, il doit donner mandat au Premier ministre ». Et d’asséner : « La partie financière est subalterne. On n'est pas dans des logiques de petits pas ».

Photo CNI.
Photo CNI.
Deux pièges à éviter
Jean-Martin Mondoloni, co-président d’U Soffiu Novu, revient lui aussi sur la nécessité de poursuivre le processus et d’en référer d’abord au Chef de l’Etat. « Nous avons tous intérêt collectivement à poursuivre un échange à ce niveau de l’Etat et que la Corse soit intégrée dans le discours de politique générale du Premier ministre. Ce qui voudrait dire que dans les zones radars de Matignon, nous continuons à exister ». Il en appelle à la realpolitik : « On va continuer à travailler, mais pas en masquant un certain nombre de difficultés dont on sait très bien qu’elles vont arriver. On dit depuis le début qu’il ne faut pas s’interdire, tel un tabou, de parler des moyens qui vont être alloués à un projet. Aujourd’hui, il n’y a ni projet pour la Corse, sinon des écritures institutionnelles, ni moyens de le valider. Il faut dégrossir le terrain et éviter de tomber dans des pièges grossiers ». Il précise que la droite « n’est pas hostile » à un transfert de fiscalité, mais réservée en l’absence de garanties sur le sujet. « On ne peut pas rentrer sur un sujet aussi transverse par la dotation de continuité territoriale ou les 50 millions € manquants. On n’a pas de maquette qui distingue les difficultés structurelles et les choix que vous avez fait et qui pèsent ». Il identifie un deuxième piège à éviter, « C’est de dire que tout va bien. Toutes les réalités ne sont pas chiffrables. Il y a un sentiment incandescent d’une population qui arrive à bout de souffle d’un système qui ne fonctionne plus, qui est quasi en panne sèche et qui, sur n’importe quel sujet, rend à tort ou à raison en partie responsable l’action de cette majorité. Et donc, on est tous comptable de ce qui se passe ou de ce qui ne se passe pas en réponse à ce que nos concitoyens attendent ». Et tout cela, pense-t-il « dépend de la solidarité nationale ». Il demande deux choses : « Que vous mettiez sur la table les deux ou trois idées forces qui soutiennent un grand projet pour la Corse, et comment il va être financé. On ne l’a pas. C’est ce qui vous est reproché ! Il y a dix ans, vous êtes arrivés avec un tas d’idées, il y avait ici un peu d’argent. Dix ans plus tard, il n’y a plus d’idée et plus d’argent ». Il assure qu’il ne montera pas à Paris « pour faire prospérer des conflictualités artificielles entre nous ». Et de proposer : « Mettons nous ensemble autour d’une table et posons les choix et les options stratégiques que l’on peut négocier ensemble ».
 
Lister les priorités
Jean-Christophe Angelini, président d’Avanzemu, commence, lui aussi, comme à son habitude, depuis qu’il est dans l’opposition, par rappeler, les « tensions et oppositions » avec l’Exécutif territorial. Et de prévenir : « On ne va pas faire semblant d’être d’accord, sinon ça va tourner court ». Il demande de faire la distinction entre « ce qui aujourd’hui divise et ce qui demain peut nous amener à converger », comme ce qui relève de l’Extrême urgence de ce qui s’inscrit dans le processus d’autonomie. « On va lister ce qui garantit a minima la bonne marche de l’institution et le financement de ses actions publiques et de la suite des opérations, tout en disant très fortement que la suite des opérations ne peut s’envisager en dehors du processus ». Pour lui, « On aurait tort de relier la question fiscale et la dotation de continuité territoriale en totalité à l’avenir du processus. Autant une partie doit être obligatoirement reliée, tout englober me parait difficile ». Il en appelle au pragmatisme, « à imaginer et à mettre en œuvre une méthode intermédiaire. Si la question de la Corse est confirmée dans le discours de Mr Barnier, on a une certaine perspective. Si tel n’est pas le cas, peut-être faudra-t-il distinguer le temps de l’assemblée du temps de la gestion de crise. Si on nous signifie une fermeture, il faudra qu’on crée collectivement les conditions d’une réponse démocratique parce qu’on sait tous comment ce pays fonctionne ». Il présente son propos comme « ouvert, qui distingue les oppositions politiques - et Dieu sait si elles sont farouches ! - de ce qui doit être un espace de dialogue entre nous et une demande de précision dans les allocutions à venir. Nous nous inscrivons sur un pas de temps très court au regard de l’urgence ».
 
Le coût de la dépendance
L’élue de Corsica Libera, Josepha Giacometti-Pireddi, redit son scepticisme sur le processus constitutionnel, renforcé dans le contexte actuel : « Il y a un marasme total à Paris, une forme de droitisation et un positionnement qui est réinterrogé. Allons-nous nous laisser porter par le marasme ambiant qui risque de durer ? ». Elle se concentre sur le volet financier. « La dotation de continuité territoriale et sa revalorisation est un dû. Attaquer les discussions avec le Premier ministre en mettant à égalité les deux angles n’est pas la bonne méthode ». Et pointer ce qui lui semble être primordial : « Quel est le cout de la dépendance ? Avons-nous les éléments financiers qui permettent de le quantifier ? Quand on voit les chiffres partiels que nous avons à disposition, en même temps que les dotations stagnent, les impôts augmentent, quand on parle du montant de l’épargne corse, 11 milliards d’euros, ce sont des éléments de démonstration. Quel est le rapport de la balance financière entre la Corse et la France ? » Pour elle, il existe quelques leviers : « Est-ce qu’on exige ou on quémande encore longtemps ? ». Et de renchérir : « Alors que la Corse est dans une situation économique et sociale critique, que de nombreux Corses connaissent la précarité, on s’apprête encore à faire l’erreur de considérer le bilan de la saison touristique et les chiffres du BTP comme les seuls éléments d’analyse et de perspective économique. Il faut bien sûr les intégrer, mais les considérer comme les seules variables pertinentes, c’est une erreur. On ne peut avoir comme seule solution budgétaire dans le cadre des négociations avec Paris, la logique de la dépendance à la dotation, à l’aide et à la subvention ».

Photo CNI.
Photo CNI.
Pas de ping-pong !
Jean-Félix Acquaviva, élu de Femu a Corsica, commence d’abord par réfuter certaines affirmations de l’opposition : « Dire que la dette de la CDC sert à payer le fonctionnement, c’est factuellement faux ! On ne peut pas s’entendre si on se base sur des choses fausses ». Et de le démontrer, chiffres à l’appui. « Ce n’est pas cela qui crée le problème de la question du pacte budgétaire et fiscal ». Pour lui, il n’y aurait « rien de plus catastrophique de ne pas réaffirmer le point où nous sommes arrivés et les obligations morales et politiques de ceux qui ont validé un parcours et une étape. On se flagelle beaucoup dans cette assemblée et dans la société Corse, et Dieu sait si nous avons beaucoup de choses à régler ! Mais quand on voit la stabilité politique et budgétaire en France, quand je me regarde, je me désole et quand je me compare, des fois je peux me consoler. Nous avons un gros acquis politique, moral et de travail ». S’il est d’accord sur les priorités et les urgences, il réaffirme que, sans l’autonomie, on n’arrivera à rien. « On ne peut pas dire que la question des attentes de la société n’est pas liée à l’autonomie, et si on se met d’accord sur le diagnostic, il faut qu’on arrête de jouer au ping pong sur l’action. Sinon ce sera une goutte d’eau dans l’océan ». Evoquant la loi de finances 2025, il estime qu’il n’est pas question qu’on demande à la Corse de participer à l’effort de réduction des déficits : C’est non ! Et il faudra le dire ensemble. Il faudra avoir le bon niveau et le bon ton d’intervention de toutes les forces politiques de cette assemblée, mais aussi que nos relais au Parlement aient les mêmes niveaux d’intervention ». Il lance, lui aussi, un appel à la responsabilité collective par rapport à la notion d’urgence. « Le combat est difficile, et le premier niveau est effectivement d’interpeller le Président de la République sur le processus au nom de la continuité de l’État ».
 
Un fil rouge
C’est également sur un appel, « un cri d’alarme solennel » que conclut le président de l’Exécutif. Répondant à l’opposition, il déclare que le processus et la question de la dotation de la continuité territoriale (DCT) sont deux urgences identiques. « La France cherche 40 milliards d’économie qui se feront prioritairement sur la Sécurité sociale et les collectivités. Les choses seront jouées probablement dans un mois ». Il explique que tous les courriers qu’il a envoyés à ce sujet aux deux Premiers ministres, l’actuel et son prédécesseur, n’ont reçu aucune réponse. Il avertit : « S’il n’y a pas de ré-indexation de la dotation de continuité territoriale - rien n’indique que nous l’obtiendrons ! -, cela veut dire que nous ne pourrons pas continuer à exécuter les contrats de délégation de service public dans le domaine aérien et dans le domaine maritime. Tout le monde s’accorde à dire que nous sommes dans une situation extrêmement tendue et qui peut se dégrader d’un point de vue économique et social. Si nous arrivons à la fin de l’année avec des licenciements par centaines des salariés d’Air Corsica, d’Air France au sol, de Corsica Linea et de la Méridionale, des grèves vont paralyser l’économie de la Corse, on ira vers une situation pré-insurrectionnelle ». D’où la nécessité de faire comprendre à Paris que la ré-indexation est indispensable. Et de plaider : « Nous avons intérêt pour la Corse à essayer de nous entendre sans essayer de faire rentrer au forceps nos désaccords dans le moule d’un consensus mou. Si nous réussissons à identifier des pistes, à sécuriser le modèle budgétaire de la collectivité de Corse, à recentrer les investissements, les prioriser, contenir les dépenses et dégager des nouvelles recettes, nous aurons fait œuvre utile pour la Corse. Ce sera le fil rouge qui nous guidera de façon commune pour les exercices à venir ».
 
N.M.