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Processus de Beauvau - Laurent Marcangeli : "il faut se mettre en quête d’un consensus et d’une solution partagée"


le Lundi 22 Mai 2023 à 17:55

À quelques jours d’un nouveau déplacement des élus corses à Paris dans le cadre du processus de discussions avec l’État, le député de la 1ère circonscription de Corse-du-Sud fait le point sur les enjeux de ce nouveau rendez-vous.



- Ce jeudi, une nouvelle réunion est organisée entre les élus corses et le Gouvernement place Beauvau. Dans quel état d’esprit allez-vous à ce nouveau rendez-vous et qu’en attendez-vous ?
- Cette réunion de travail portera notamment sur la thématique du foncier et de la spéculation immobilière et aura pour objectif de dégager un certain nombre de propositions tant à périmètre constant qu’éventuellement avec une réforme constitutionnelle qui serait de nature à doter la Collectivité de nouvelles compétences en la matière. J’attends de voir l’état d’esprit du Gouvernement par rapport à ce qui sera éventuellement proposé par la Collectivité. Pour ma part, je ne ferai pas de propositions à titre personnel jeudi puisque je me suis laissé le temps de travailler jusqu’à la fin de la session parlementaire. C’est à ce moment-là que je remettrai les propositions que j’aurais travaillé au ministre, comme je m’y suis engagé au mois de février dernier lors de la visite du Président de la République.
 
- Quelle sera la teneur de ces propositions que vous annoncez pour le début de l’été ?
- Ce seront des propositions globales, tant sur la modification constitutionnelle que pour l’avenir de la Corse sur les 30 prochaines années en matière d’infrastructures. Ce sont deux volets essentiels que j’avais déjà beaucoup évoqué pendant ma campagne électorale l’année dernière. Je me suis laissé le temps de voir un certain nombre de personnes qui connaissent le fonctionnement de nos institutions afin de voir quelles sont les capacités politiques que nous avons aujourd’hui, car je rappelle tout de même que pour modifier la Constitution il faut réunir un certain nombre de conditions qui sont difficiles à rassembler. Mes propositions  n’engageront que moi et le travail que j’aurais mené avec mes équipes. Ce ne sera pas une série de propositions qui seront co-construites avec qui que ce soit d’autre, même si j’en parlerai, c’est tout naturel, en priorité au groupe Un Soffiu Novu que j’ai présidé durant un an. Aujourd’hui j’ai un regard qui est celui d’un parlementaire de la majorité, qui connait la situation politique au niveau national, qui sait les différents écueils sur lesquels on peut butter et qui a aussi depuis plusieurs années sa propre vision de la situation, qui n’est parfois pas la même que certains de mes amis politiques, qui peut être nuancée, différente, même si elle n’est pas diamétralement opposée.

- Cette vision n’est pas non plus celle de la majorité territoriale... 
- Non, je ne me reconnais pas dans l’essentiel des propositions qui sont formulées par elle depuis plusieurs années. Je participerai à la réunion de jeudi parce qu’elle est intéressante et qu’elle permet de faire un point d’étape, et ensuite je vais accélérer pour que dans un mois et demi tout cela soit bouclé et que je sois en capacité de remettre officiellement mes propositions au ministre de l’Intérieur qui a été chargé de mener ces discussions.
 
- La réunion de jeudi portera sur les thématiques foncières et immobilières, et plus généralement sur la question de l’urbanisme. Quel type de discussions convient-il de mener pour être à la hauteur des enjeux face à ces problématiques prégnantes en Corse ?
- D’abord, il faut se dire que depuis longtemps maintenant on a très clairement dépassé la problématique corse en la matière. J'ai d’ailleurs dernièrement co-signé une proposition de loi faite par la majorité sur les meublés de tourisme. Cette proposition, qui est transpartisane, devrait être examinée à l’automne et part des excès qui sont aujourd’hui relevés par beaucoup dans les plateformes de location en ligne qui ont pour conséquence de rendre plus difficile l’accès au logement, locatif notamment, et qui pose un problème de pression immobilière sur certains territoires très touristiques. Il y a également la question de la flambée des prix de l’immobilier. Ce sont des sujets qui concernent la Corse, mais pas que. Nous allons en discuter en tant que Corses et en tant qu’élus qui sont confrontés dans nos territoires respectifs à ces sujets depuis plusieurs années, et les questions que nous allons être amenés à nous poser sont les suivantes : est-ce qu’à périmètre légal et constitutionnel constants nous pouvons apporter des solutions ou est-ce qu’il faut absolument modifier la Constitution et actionner un certain nombre de mécanismes ? Ensuite, quelle place y a-t-il pour les institutions de l’île, les intercommunalités, les municipalités et évidemment la Collectivité de Corse qui réclame des compétences supplémentaires en la matière depuis des années voire même une modification de la Constitution avec la création d’un statut de résident ? Moi je persiste à dire qu’un statut de résident n’est pas possible, car il faudrait tout simplement modifier la Constitution et qu’il n’y aura pas de majorité politique pour cela. C’est peut-être injuste parce que les Corses ont voté à de nombreuses reprises pour des candidats qui prônaient la modification de la Constitution en ce sens. Mais aujourd’hui pour modifier la Constitution il faut 1/5ème du Parlement, et je ne pense pas que nous soyons en capacité de les atteindre. C’est un sujet qui va je pense revenir sur la table, mais à un moment il faut peut-être essayer d’entrouvrir d’autres pistes et de voir comment est-ce que nous pouvons utilement agir.

- Quel est votre approche sur ce sujet ?
- Mon approche c’est qu’il faut que nous contribuions davantage à une concertation. Les maires et les intercommunalités sont aussi concernés par le sujet et ne sont pas moins légitimes pour parler des questions foncières. Je souhaite que dans le cadre des discussions que nous avons, l’échelon communal et intercommunal ait sa juste place. Quand on discute avec un maire ou un président d’EPCI aujourd’hui, on voit qu’ils ont le sentiment de ne pas être véritablement mis dans la boucle alors qu’il y a des choses qui peuvent infiniment les concerner si demain il devait y avoir une réforme constitutionnelle. Quand Gilles Simeoni demande un contrôle de légalité pour les permis de construire, cela concerne un peu les maires, mais est-ce qu’ils sont vraiment sondés sur la question ? Je ne pense pas.
 
- Il y a quelques semaines, le groupe Un Soffiu Novu a annoncé qu’il ferait cavalier seul pour cette réunion à Beauvau. Est-ce, selon vous, quelque chose de dommageable pour le processus de discussions avec l’État ?
- Non ce n’est pas dommageable. On ne peut pas tous dire la même chose. Il peut ensuite y avoir un aboutissement sur un consensus. Jean-Martin Mondoloni et Valérie Bozzi disent quelque chose de simple : ils indiquent que, contrairement à ce qui est dit, ils ne sont pas du tout dans la boucle des discussions. C’est une forme d’entre soi que la majorité territoriale a avec elle-même et parfois avec le Gouvernement lorsqu’il s’agit de discuter de manière non officielle. Après il y a des divergences. Nous n’avons pas fait campagne en 2021 pour dire qu’on voulait le statut de résident, ou encore qu’on ait un statut qui soit proche de l’Outre-Mer. Ce n’était pas du tout notre projet et nous continuons de penser qu’il peut y avoir une réforme sans pour autant aller sur les mêmes directions que Gilles Simeoni et ses amis. Ce n’est pas parce qu’il a gagné les territoriales en 2021 que nous allons être obligés de nous aligner lorsque l’on va discuter. Le processus c’est qu’à un moment donné chacun mène ses propositions de son côté, c’est ce que disaient plus ou moins les élus de l’opposition à laquelle j’ai appartenu, et que l’on tiendra compte ou pas de tout cela et qu’on verra comment les choses avanceront. Du côté de l’Exécutif, on veut un consensus, ce qui est louable. Mais le consensus, cela veut dire qu’à un moment donné on s’assoit sur un certain nombre de revendications que l’on porte et que l’on abandonne en cours de chemin, ou que l’on remet à plus tard, parce que les partenaires ne sont pas d’accord. Ce n’est pas dire c’est comme cela, il n’y a rien à voir et rien à dire et vous suivez. Aujourd’hui le sentiment que j’ai parfois c’est que l’on veut un consensus à marche forcée. Je ne suis pas le chef de l’opposition à l’Assemblée de Corse, je suis là pour essayer de faciliter les choses, je le démontre par ailleurs lorsque je travaille avec Jean-Félix Acquaviva sur la commission d’enquête parlementaire sur Yvan Colonna qui rendra ses conclusions très prochainement. Je ne suis pas dans une opposition systématique, mais quand il y a un problème de méthode je le dis, je le fais savoir. Et aujourd’hui je pense que sur le processus il y la nécessité de dire les choses et de les faire savoir pour ne pas partir dans une mauvaise direction. C’est ce que j’ai dit hier dans l’émission Dimanche Politique sur France 3. Je vois que cela prend des proportions somme toute assez particulières. Quand on dans sur une situation politique très tendue, notamment liée à la réforme des retraites, et que vous avez des députés qui sont par ailleurs à la table des négociations pour faire évoluer le statut qui sont à la pointe de la contestation, qui votent la censure du Gouvernement et qui remettent la pièce sur le débat à venir sur les retraites, de mon point de vue ce n’est pas vraiment la meilleure des manières d’aborder les discussions sur la Corse. 
 

- Justement, vous craignez que ces discussions puissent être contrariées par les positions des députés corses du groupe LIOT ?
- Imaginez qu’au détour de ce qu’il va se passer le 8 juin, le Gouvernement tombe pour une raison ou une autre. Ce n’est pas inenvisageable. Dans ce cas-là, la Corse va discuter avec qui ? Est-ce que celui ou celle qui serait alors à la tête du Gouvernement ou au ministère de l’Intérieur va vouloir continuer de discuter ? Est-ce que cela sera une priorité ? Car qui dit nouveau Gouvernement dit nouvelle feuille de route. Là ce Gouvernement a sur sa feuille de route d’essayer d’avoir un processus avec la Corse, ce qui devrait selon moi, et à plus forte raison pour des députés se revendiquant nationalistes, passer avant tout, être la mère de toutes les batailles. Au lieu de cela, on va frayer chemin avec Charles de Courson qui ne poursuit pas du tout les mêmes objectifs, puisqu’il veut renverser le Gouvernement. Moi je souhaite que la Corse puisse bénéficier d’un nouveau statut, ait une discussion avec l’État sur la question. Je pense être plus proche de mes collègues députés de Corse que Charles de Courson.

- Qu'est-ce que vous avez voulu dire hier aux trois députés nationalistes ?
- Ce que j’ai voulu dire hier c’est "attention, ne nous trompons pas de bataille. Je respecte le fait qu’ils aient été opposés à la réforme des retraites". Ils sont allés jusqu’à voter la censure. Dont acte. Là il y a un rendez-vous le 8 juin. Il faut réfléchir. Et puis j’ai vu la sortie de Michel Castellani, que je respecte par ailleurs, mais est-ce que c’est le moment de faire de grandes envolées pour mettre des pressions sur le Gouvernement sur n’importe quel sujet ? Je ne sais pas si le timing est bien choisi, sauf à vouloir être toujours dans une théorie de la tension permanente où on veut faire capoter les processus et dire après c’est la faute de l’autre. Ce n’est pas un débat qui est à la hauteur des responsabilités et des enjeux, surtout que nous avons perdu suffisamment de temps depuis 2017-2018 sur la question. Il y a déjà une longue liste d’incidents diplomatiques entre la Corse et le Gouvernement, ce n’est pas la peine de recommencer là-dessus. Donc je le dis, on peut très bien avoir manifesté son opposition à la réforme des retraites, cela a été fait par les députés LIOT corses à l’Assemblée Nationale, mais aujourd’hui nous sommes aussi sur une négociation qui concerne la Corse, qui dépasse, je pense, les enjeux de politique nationale si on est véritablement attaché à faire sortir l’île de cette situation un peu bloquée en matière institutionnelle et en matière de dialogue politique. Il faut en tenir compte. On ne peut pas le lundi dire « je veux discuter avec vous pour faire avancer les affaires de la Corse » et le mardi dire « je veux que vous tombiez parce que je vais voter une censure contre vous ». Cela n’a pas de sens. Et ceux qui disent qu’il ne faut pas tout mélanger, ils ont tort car absolument tout se tient. Je ne permettrai pas de demander aux députés nationalistes d’être membres de la majorité présidentielle s’ils veulent que la Corse avance, ce n’est pas cela l’objectif, je demande juste de graduer l’action parlementaire en termes d’opposants. Je crois que les députés corses ont pour enjeu de défendre avant tout les intérêts de la Corse, en tous cas, c’est ce à quoi je m’échine par-delà d’ailleurs mes convictions politiques parfois, car je vais chercher du consensus et de l’apaisement. Or là je vois qu’il y une théorie de la tension qui est plutôt privilégiée. C’est une mise en garde amicale, ce n’est pas une injonction. Je leur ai dit déjà à plusieurs reprises de manière plus personnelle, mais là je vois qu’on remet une pièce de la machine qui est susceptible d’aboutir à une forme de tension donc je dis attention. 
 
- Lors de la dernière réunion à Paris, les élus de la Corse ont été invités à faire des propositions avant l’été. Vous l’avez dit, vos propositions seront prêtes, mais est-ce que selon vous la Corse sera prête ?
- Je crois les gens sur parole jusqu’à preuve du contraire. J’entends le président de l’Exécutif dire « semi pronti », donc j’attends de voir dans le détail ce qui sera sur la table. Si je suis d’accord, je ne me priverai pas de le dire. Je ne suis pas dans une vision binaire de la société corse, je l’ai démontré depuis un an à l’Assemblée Nationale. Par contre, quand j’estime que les intérêts de la Corse sont en jeu je le dis. Et l’intérêt de la Corse aujourd’hui c’est qu’il y ait un dialogue politique qui exige que l’on fasse preuve de retenue, de diplomatie et de sérénité et que l’on ne convoque pas toujours les clashs, surtout lorsque d’une certaine manière les combats ne sont pas ceux qui vont servir le plus les intérêts de la Corse dans les semaines et les mois à venir. On peut être opposé à quelque chose, mais ce n’est pas la peine de monter au front de manière permanente. J’attends de voir ce que proposera l’Exécutif et je ne permettrai pas de dire que la majorité n’est pas prête, car il y a eu des travaux qui ont été effectués, il y a des écrits et des productions qui ont été faits. Après il faut se mettre en quête d’un consensus et d’une solution partagée et on verra à ce moment-là comment les choses sont reçues et sont exprimées.