Nicolas Bessone, Procureur de la République de Bastia, lors de la rentrée solennelle du TGI.
C’est par un retour sur l’actualité brulante de la fin 2015 que s’est ouvert le traditionnel bilan de l’année judiciaire écoulée, dressé, le matin, par les robes rouges de la Cour d’appel de Bastia et le procureur général Franck Rastoul, l’après-midi par les robes noires du Tribunal de grande instance (TGI) et par le procureur de la République, Nicolas Bessone. L’actualité locale pour le premier qui est revenu sur la violence, qu’elle s’exerce aux abords des stades : « Ni l’amour d’un club de football, ni l’émotion légitime face à des agressions inacceptables contre des sapeurs-pompiers ne peuvent autoriser les destructions, les débordements verbaux et physiques, la stigmatisation à raison de l’origine, les appels à la haine. La justice traitera, avec la même exigence de rigueur, tous ces faits, les faits originels, les faits réactionnels, dès l’instant où les uns et les autres méconnaissent la loi et les principes qui sont le ciment de notre République ». Il demande que « les murs de Corse soient nettoyés de ces slogans qui sont autant de salissures et d’infractions » et que « leurs auteurs soient identifiés et poursuivis. L’avenir nous dira si ces murs pourront être lessivés de ces tags dans la clarté des déclarations et des actes en retrouvant une lumière digne de la Corse ». L’actualité nationale pour le second qui exprime « la même sidération que l’an dernier » pour les actes de terrorisme commis sur le continent. « Nous vivons des périodes exceptionnelles et nous ne devons pas renoncer aux fondements de la démocratie ». Admettant que si « l’insularité nous protège », la Corse « n’est pas à l’abri d’un drame ».
Under Pressure !
Puis, Nicolas Bessone embraye résolument, comme son confrère le matin, sur la crise profonde qui secoue les Parquets continentaux. « Cela peut paraître dérisoire et déplacé, mais c’est fondamental ! Nous avons besoin d’un ministère public qui puisse assurer sa mission de protection des citoyens. Or, dans plusieurs points du territoire, le Ministère public est au bord de la rupture ! ». Pointées du doigt, les réformes pénales à répétition menacent les procédures. Cette crise, née d’un fort déséquilibre entre des missions qui s’alourdissent et des moyens qui s’allègent, met les Parquets sous tension, « under pressure », et fait fuir les vocations. « Nous espérons des mesures concrètes. Nous ne demandons pas grand chose : une pause, des moyens et une évolution du statut ». Jugeant « insupportable », « la suspicion vis-à-vis de notre indépendance », il prône une « révolution modérée et raisonnable. En Corse, ce sera une révolution de velours ». Le procureur de Bastia se réjouit que l'île soit, pour l’instant, privilégiée, « non pas que nous ayons des moyens supplémentaires, mais simplement parce qu’à la différence de l’immense majorité des Parquets de France, nous sommes depuis 18 mois à plein effectif ». C’est la raison, selon lui, des succès engrangés en 2015 par le Pôle économique et financier (PEF). « Cela nous a permis de sortir la tête du guidon, de faire évoluer les choses dans le bon sens, de ne pas être seulement à la remorque de l’événement, comme c’est très souvent le cas ». Il ne cache, cependant, pas son inquiétude devant la précarité de ce privilège qui pourrait, dès septembre prochain, être remis en cause par les arbitrages parisiens.
La probité des élus
Ce dynamisme du PEF apparaît nettement dans le bilan de l’année pénale écoulée grâce à la réorientation active des services sur la délinquance économique et financière, priorité assignée par la Circulaire territoriale Corse. En 2015, le portefeuille du PEF comptait 70 dossiers dont 19 initiés en 2014 et 28 en 2015, soit une hausse de 54%. 47 faisaient l’objet d’une enquête préliminaire er 28 étaient instruits dans le cadre d’une information judiciaire. Seuls deux dossiers ont été transférés à la JIRS de Marseille. « Si, en 2013-2014, les dossiers largement majoritaires portaient sur les escroqueries et les abus de biens sociaux dans les entreprises, en 2015, 34 enquêtes en cours concernent des atteintes à la probité, notamment les détournements de fonds publics, les prises illégales d’intérêts et le favoritisme », dévoile Nicolas Bessone. Près de 41 jours d’audience sont déjà programmés pour le PEF, ce qui correspond à plus de 6 mois d’audience du TGI. « Nous sommes victimes de notre succès. Les résultats ont engendré la multiplication des saisines. Cet excroissance du PEF pouvant être dangereuse car un trop plein de dossiers fait perdre de l’efficacité, nous avons décidé de nous recentrer sur des dossiers emblématiques qui ont valeur d’exemple, comme les atteintes à la probité », prévient-il. En ligne de mire donc : les élus ! Ce qui augure une nouvelle vague de perquisitions, de garde-à-vue et de mises en examen en perspective qui pourrait bien secouer de nouveau, à très brève échéance, le landerneau politique local.
Peu de meurtres et d’attentats
Pour le reste, la satisfaction est aussi de mise avec la confirmation de la baisse continue de la petite et moyenne délinquance et, surtout, la chute des attentats et des règlements de compte « qui se trouvent à leur plus bas niveau historique ». Le nombre de procédures pénales enregistrées passe de 11 931 en 2014 à 11 500 en 2015. « La délinquance du quotidien est maîtrisée », commente Nicolas Bessone. En revanche, le nombre d’affaires poursuivables se maintient au même niveau autour de 3500. « L’efficacité des services augmente. Nous sommes dans un cercle vertueux », ajoute-t-il. Le durcissement de la lutte et de la répression contre le trafic de stupéfiants a, aussi, payé. « La drogue est un sujet sensible en Corse. Les gens ont raison de n’avoir aucune tolérance là-dessus », admet-il. Les injonctions thérapeutiques pour les toxicomanes lourds ont été réactivées : 8 personnes en ont bénéficié en 2015. Les stages de sensibilisation ont doublé, passant de 50 à 102. Le procureur se réjouit de la très forte baisse des règlements de compte avec seulement deux homicides en 2015, une tentative dont deux élucidations. Arguant de la complexité des dossiers corses, il s’exclame : « Ne demandons pas l’impossible à la police judiciaire ! ». Même contentement pour les attentats qui se résument à 4 commis et 1 tentative, une quasi-disparition qu’il relie directement au dépôt des armes par le FLNC.
Deux points noirs
Néanmoins, deux points noirs le préoccupent : la mortalité sur les routes avec 25 morts en 2015, notamment des jeunes, et les incendies volontaires de véhicule, notamment dans la région bastiaise, avec 228 véhicules incendiés, soit une hausse considérable de 40 %. Pour le premier, « une réaction forte en lien avec la Préfecture, commence à produire ses fruits, notamment avec le rehaussement des barèmes répressifs et la création d’une. audience dédiée », indique-t-il. Pour le second, « c’est un problème que nous devons prendre en charge avec les autorités municipales ». L’activité du TGI affiche, également, une bonne santé avec un essor de 10 %, passant de 1077 décisions en 2014 à 1181 en 2015. Il atteint 25 % pour les comparutions immédiates, qui grimpent de 170 à 220, et pour les convocations par procès verbal qui augmentent de 50 à 77. Les citations directes croissent, également de 300 à 450. « J’ai mis un terme à la politique malthusienne sur les informations judiciaires qui passent de 110 à 120. Nous n’allons pas déférer moins, mais nous allons augmenter les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité », prévient le procureur.
Trop d'affaires
L’engorgement des audiences, c’est, également, la préoccupation du président du TGI, Francis Bihin, qui revient sur le « stock d’affaires en cours qui ne cesse de s’alourdir ». De 13 mois en 2014, il est passé à 14 mois en 2015. Pour lui, le grand chantier de 1016 est « d’isoler dans les affaires en cours celles qui ne présentent pas de complexité particulière et qui peuvent être mises dans un circuit court pour un traitement accéléré ». Il estime que, par exemple, 70 % des 750 affaires civiles en cours peuvent bénéficier d’un traitement accéléré. Les 250 restantes, qui concernent des successions ou des constructions, sont nettement plus complexes. La situation se corse en matière pénale. L’année 2015 se caractérise par plus de 16 000 heures d’audience correctionnelle, soit une augmentation de 6%, et par un recours plus systématique aux procédures de comparution immédiate pour la délinquance ordinaire, en hausse de 20%. Le bémol est l’allongement de la durée des audiences. Plus de 600 jugements correctionnels ont été rendus, soit près d’une centaine de plus qu’en 2014, et 450 jugements uniques. Face à l’inflation de l’activité pénale, Francis Bihin estime qu’il « faut renforcer le nombre de magistrats du siège. On est à la croisée des chemins. Le nombre d’audiencement économique et financier est à saturation pour le premier trimestre 2016. Cet afflux d’affaires rend le travail de la Cour difficile ». Ce n’est pas la multiplication des affaires politiques, dont certaines pourraient bien être audiencées en cours d’année, qui le facilitera !
N.M.
Under Pressure !
Puis, Nicolas Bessone embraye résolument, comme son confrère le matin, sur la crise profonde qui secoue les Parquets continentaux. « Cela peut paraître dérisoire et déplacé, mais c’est fondamental ! Nous avons besoin d’un ministère public qui puisse assurer sa mission de protection des citoyens. Or, dans plusieurs points du territoire, le Ministère public est au bord de la rupture ! ». Pointées du doigt, les réformes pénales à répétition menacent les procédures. Cette crise, née d’un fort déséquilibre entre des missions qui s’alourdissent et des moyens qui s’allègent, met les Parquets sous tension, « under pressure », et fait fuir les vocations. « Nous espérons des mesures concrètes. Nous ne demandons pas grand chose : une pause, des moyens et une évolution du statut ». Jugeant « insupportable », « la suspicion vis-à-vis de notre indépendance », il prône une « révolution modérée et raisonnable. En Corse, ce sera une révolution de velours ». Le procureur de Bastia se réjouit que l'île soit, pour l’instant, privilégiée, « non pas que nous ayons des moyens supplémentaires, mais simplement parce qu’à la différence de l’immense majorité des Parquets de France, nous sommes depuis 18 mois à plein effectif ». C’est la raison, selon lui, des succès engrangés en 2015 par le Pôle économique et financier (PEF). « Cela nous a permis de sortir la tête du guidon, de faire évoluer les choses dans le bon sens, de ne pas être seulement à la remorque de l’événement, comme c’est très souvent le cas ». Il ne cache, cependant, pas son inquiétude devant la précarité de ce privilège qui pourrait, dès septembre prochain, être remis en cause par les arbitrages parisiens.
La probité des élus
Ce dynamisme du PEF apparaît nettement dans le bilan de l’année pénale écoulée grâce à la réorientation active des services sur la délinquance économique et financière, priorité assignée par la Circulaire territoriale Corse. En 2015, le portefeuille du PEF comptait 70 dossiers dont 19 initiés en 2014 et 28 en 2015, soit une hausse de 54%. 47 faisaient l’objet d’une enquête préliminaire er 28 étaient instruits dans le cadre d’une information judiciaire. Seuls deux dossiers ont été transférés à la JIRS de Marseille. « Si, en 2013-2014, les dossiers largement majoritaires portaient sur les escroqueries et les abus de biens sociaux dans les entreprises, en 2015, 34 enquêtes en cours concernent des atteintes à la probité, notamment les détournements de fonds publics, les prises illégales d’intérêts et le favoritisme », dévoile Nicolas Bessone. Près de 41 jours d’audience sont déjà programmés pour le PEF, ce qui correspond à plus de 6 mois d’audience du TGI. « Nous sommes victimes de notre succès. Les résultats ont engendré la multiplication des saisines. Cet excroissance du PEF pouvant être dangereuse car un trop plein de dossiers fait perdre de l’efficacité, nous avons décidé de nous recentrer sur des dossiers emblématiques qui ont valeur d’exemple, comme les atteintes à la probité », prévient-il. En ligne de mire donc : les élus ! Ce qui augure une nouvelle vague de perquisitions, de garde-à-vue et de mises en examen en perspective qui pourrait bien secouer de nouveau, à très brève échéance, le landerneau politique local.
Peu de meurtres et d’attentats
Pour le reste, la satisfaction est aussi de mise avec la confirmation de la baisse continue de la petite et moyenne délinquance et, surtout, la chute des attentats et des règlements de compte « qui se trouvent à leur plus bas niveau historique ». Le nombre de procédures pénales enregistrées passe de 11 931 en 2014 à 11 500 en 2015. « La délinquance du quotidien est maîtrisée », commente Nicolas Bessone. En revanche, le nombre d’affaires poursuivables se maintient au même niveau autour de 3500. « L’efficacité des services augmente. Nous sommes dans un cercle vertueux », ajoute-t-il. Le durcissement de la lutte et de la répression contre le trafic de stupéfiants a, aussi, payé. « La drogue est un sujet sensible en Corse. Les gens ont raison de n’avoir aucune tolérance là-dessus », admet-il. Les injonctions thérapeutiques pour les toxicomanes lourds ont été réactivées : 8 personnes en ont bénéficié en 2015. Les stages de sensibilisation ont doublé, passant de 50 à 102. Le procureur se réjouit de la très forte baisse des règlements de compte avec seulement deux homicides en 2015, une tentative dont deux élucidations. Arguant de la complexité des dossiers corses, il s’exclame : « Ne demandons pas l’impossible à la police judiciaire ! ». Même contentement pour les attentats qui se résument à 4 commis et 1 tentative, une quasi-disparition qu’il relie directement au dépôt des armes par le FLNC.
Deux points noirs
Néanmoins, deux points noirs le préoccupent : la mortalité sur les routes avec 25 morts en 2015, notamment des jeunes, et les incendies volontaires de véhicule, notamment dans la région bastiaise, avec 228 véhicules incendiés, soit une hausse considérable de 40 %. Pour le premier, « une réaction forte en lien avec la Préfecture, commence à produire ses fruits, notamment avec le rehaussement des barèmes répressifs et la création d’une. audience dédiée », indique-t-il. Pour le second, « c’est un problème que nous devons prendre en charge avec les autorités municipales ». L’activité du TGI affiche, également, une bonne santé avec un essor de 10 %, passant de 1077 décisions en 2014 à 1181 en 2015. Il atteint 25 % pour les comparutions immédiates, qui grimpent de 170 à 220, et pour les convocations par procès verbal qui augmentent de 50 à 77. Les citations directes croissent, également de 300 à 450. « J’ai mis un terme à la politique malthusienne sur les informations judiciaires qui passent de 110 à 120. Nous n’allons pas déférer moins, mais nous allons augmenter les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité », prévient le procureur.
Trop d'affaires
L’engorgement des audiences, c’est, également, la préoccupation du président du TGI, Francis Bihin, qui revient sur le « stock d’affaires en cours qui ne cesse de s’alourdir ». De 13 mois en 2014, il est passé à 14 mois en 2015. Pour lui, le grand chantier de 1016 est « d’isoler dans les affaires en cours celles qui ne présentent pas de complexité particulière et qui peuvent être mises dans un circuit court pour un traitement accéléré ». Il estime que, par exemple, 70 % des 750 affaires civiles en cours peuvent bénéficier d’un traitement accéléré. Les 250 restantes, qui concernent des successions ou des constructions, sont nettement plus complexes. La situation se corse en matière pénale. L’année 2015 se caractérise par plus de 16 000 heures d’audience correctionnelle, soit une augmentation de 6%, et par un recours plus systématique aux procédures de comparution immédiate pour la délinquance ordinaire, en hausse de 20%. Le bémol est l’allongement de la durée des audiences. Plus de 600 jugements correctionnels ont été rendus, soit près d’une centaine de plus qu’en 2014, et 450 jugements uniques. Face à l’inflation de l’activité pénale, Francis Bihin estime qu’il « faut renforcer le nombre de magistrats du siège. On est à la croisée des chemins. Le nombre d’audiencement économique et financier est à saturation pour le premier trimestre 2016. Cet afflux d’affaires rend le travail de la Cour difficile ». Ce n’est pas la multiplication des affaires politiques, dont certaines pourraient bien être audiencées en cours d’année, qui le facilitera !
N.M.
Francis Bihin, président du TGI de Bastia, entouré par les magistrats du siège.