Nommé en mars dernier pour succéder à Michel Barat, Philippe Lacombe était précédemment en poste en Guyane. Exerçant depuis plusieurs mois dans l'île, cette rentrée est l'occasion de nombreux changement, spécifiques à la Corse (comme le grand plan de formation en langue corse), ou non, comme la grande réforme du collège qui prend effet cette année.
Interview de Philippe Lacombe, nouveau recteur de Corse
Interview de Philippe Lacombe, nouveau recteur de Corse
"Lundi matin vous étiez dans la Gravona, pourquoi ce choix pour la rentrée scolaire?
L'objectif était double : d'une part afficher notre solidarité envers la commune de Tavera, où le feu avait ravagé l'école l'an dernier. D'autre part, la question des politiques éducatives à mettre en place dans le rural se pose. Dans cette micro-région, les maires ont anticipé ce que l'on appelle les contrats et conventions de ruralité. C'est une politique que nous encourageons.
Sept expérimentations de contrats de ruralité sont en cours en Corse, quel est le but de ces conventions ?
A partir du moment où les choix d'un maire visent à rétablir une vitalité démographique, sont intelligents et bénéficient aux enfants, le rectorat garantit pendant plusieurs années - 3 à 5 ans - qu'il n'y aura pas de baisse d'effectifs et que les écoles ne seront pas handicapées. C'est ce qu'il se passe actuellement à Sartène par exemple où un projet de création de logements sociaux est en cours.
Ces contrats nous permettent d'accompagner les maires dans leurs initiatives, on est à leurs côtés et ça les tranquillise pour plusieurs années. Vous l'avez dit sept expérimentations sont en cours cette année, mais je pense qu'il y en aura de nombreuses autres dans les années à venir.
La suite de votre journée, vous étiez au Laetitia à Ajaccio, un des établissements scolaires de Corse les plus importants ?
Il était important pour moi de porter deux messages très distincts au Laetitia :
Le premier, vis-à-vis des élèves, parents et professeurs, concerne l'ambitieuse réforme du collège, que nous préparons depuis une année. Il y a eu beaucoup de formations, car cette réforme modifie le quotidien des enseignants, les méthodes pédagogiques, et instaure une pluridisciplinarité, notamment concernant l'enseignement du Corse. Le programme change et les manuels scolaires aussi. Il s'agit de soutenir et d'encourager tout le personnel afin qu'il y ait un maximum de réussite aussi, du côté des élèves.
Le second message : il s'agit de témoigner que le rectorat et la Collectivité de Corse travaillent ensemble. Il y a des compétences partagées que ce soit au niveau des travaux ou de la mise en place du Numérique par exemple. Cette visite s'est donc faite main dans la main avec la Conseillère exécutive chargée de l'Education. Le numérique fait aussi partie des changements en termes de réforme pédagogique. Très bientôt, les élèves, à la place de sacs très lourds, auront des tablettes et seront connectés.
C'est votre première grande rentrée dans l’île : vous avez pris la succession de Michel Barat dans le courant de l'année précédente. Votre prédécesseur a été en poste longtemps, la politique que vous souhaitez mener s'inscrit-elle dans une certaine continuité ?
Michel Barat est avant tout un ami. Je tiens à saluer son travail et son engagement au service des particularités de l'Académie de Corse. Je m'inscris dans la continuité de Michel Barat, et même dans l'amplification sur certains sujets. Je pense notamment au grand plan de formation en langue et culture corses. On a recruté dès cette année une vingtaine d'enseignants supplémentaires pour remplacer les enseignants que nous avons extraits des salles de classes pour les former en pédagogie et didactique du Corse.
Cette académie est à taille humaine et c'est cet aspect-là que je retiens. On va continuer à aller sur le terrain à la rencontre des enseignants, parce que c'est un atout en comparaison à des académies immenses où personne ne se connait. Pour moi c'est un plaisir de pouvoir travailler ensemble, sur des questions de sécurité, comme sur des partenariats avec la collectivité et les élus locaux. On peut prendre des initiatives concertées.
Une des missions importantes de votre prédécesseur avant son départ à la retraite concernait les politiques de rotation inter-académiques, et l'éventuelle prise en compte de la langue corse pour les enseignants qui souhaiteraient être mutés dans l'île. Allez-vous vous aussi vous concentrer là-dessus ?
Bien sûr. Vous savez que nous avons reçu la ministre de l'Education nationale le 4 juillet dernier qui a pu assister dans une classe bilingue à un cours de mathématiques en langue corse. Elle avait été assez subjuguée. Il faut savoir que mécaniquement nous bénéficions d’un grand soutien : je vous parle du grand plan de langue et des vingt emplois supplémentaires que nous avons obtenus.
Quelque chose de plus symbolique encore : le projet d'agrégation en langue corse qui a été annoncé par le Premier ministre à sa venue dans l'île. Nous avons là-dessus un point de désaccord d'appréciation avec le Président de l’Assemblée : il m'a dit en souriant "oui mais ça on l'attend depuis longtemps, et ça concerne potentiellement un agrégé par an." Oui évidemment c'est peu numériquement, mais la Corse est la première académie de France à bénéficier d'une agrégation en langue, et ce n'est selon moi pas anecdotique mais essentiel. Pour les autres il n'en est pas question, que ce soit au Pays Basque ou en Bretagne, et croyez bien que je connais un peu ces dossiers.
Nous sommes effectivement très impliqués dans la politique précédente, mais on est en train de monter en puissance. Dans le grand plan de formation en langue corse par exemple, un groupe de travail a été mis en place dans lequel j'ai conservé -même s'il est parti à la retraite- Jean-Marie Arrighi qui est le précédent inspecteur académique en langue corse. Il est chargé d'animer ce groupe en concertation avec les enseignants et les services de la C.T.C. On essaie de resserrer les liens de travail en disant "notre salut il doit venir d'ici, et ce n'est pas de Paris que l'on attend le programme de l'agrégation en langue corse."
C'est aussi une rentrée scolaire un peu particulière, qui se fait dans un climat global de tension, du fait de l'actualité récente... Est-ce que vous l’avez ressenti hier ?
Oui, il y a une attente, surtout du côté des parents, qui nous demandent comment sont déclinées les décisions ministérielles. Il faut les rassurer. Toute l'académie obéit aux mêmes injonctions ministérielles de mise en sécurité que l'ensemble du territoire. Au collège Laetitia, c'était la première fois que je visitais des salles de confinements. C'est une grande première, nos chefs d'établissements ont bien entendu les consignes ministérielles et la circulaire de rentrée de l'Académie de Corse la semaine dernière, où on leur demande de décliner toutes les consignes de sécurité données.
Ce qui est aussi tout à fait nouveau : des réunions mixtes avec l'éducation nationale, la Préfecture, la police nationale, municipale, et la gendarmerie ont lieu désormais régulièrement. On a préparé les conditions de sécurité, et d'échanges d'informations entre les référents sécurité des établissements, mais aussi avec les équipes mobiles de sécurité de l'Education nationale, et leurs homologues de la police ou de la gendarmerie. C'est tout à fait nouveau, mais en Corse comme ailleurs.
Il y a eu des faits marquants dans l'actualité corse l'an dernier, et une altercation hier pour la rentrée à Bonifacio, qu'en est-il ?
Oui, il n'est pas question de passer ces comportements sous silence, mais il faut les relativiser quand même. Deux parents se sont opposés hier à Bonifacio à l'entrée dans l'établissement de deux mamans voilées. Quand je vois sur des médias nationaux depuis hier que la Corse c'est ça je le redis avec force : non, il y a en Corse une rentrée avec 50.000 élèves qui concerne donc 100.000 parents. La rentrée s'est très bien passée, Bonifacio ce n'est pas ça et la Corse non plus.
Maintenant, le second aspect c'est qu'il y a une interrogation, un trouble, des incidents précédemment, qui touchent à l'Education, ou à Sisco plus récemment, que l'on ne peut pas passer sous silence. Nous sommes interrogés sur le Vivre-ensemble, la charte de laïcité, le livret de laïcité, issu d'une circulaire datant déjà de 2004, et il nous faut préciser les choses : je rappelle que dans les établissements scolaires, en Corse comme ailleurs, les signes ostentatoires religieux des élèves sont interdits. C'est extrêmement clair. En revanche pour les parents d'élèves, le recteur n'a pas la main. C'est un travail de concertation avec le maire.
Hier après-midi une grande réunion a eu lieu à Bonifacio entre la Mairie, le directeur de l'école, l'inspecteur de l'Education nationale et la police municipale. Il a fallu expliquer aux parents d'élèves que les textes de lois nationaux prévoient que le voile et le foulard sont autorisés dans l'espace public à condition que le visage ne soit pas dissimulé. Cela concerne le pouvoir de police du maire et du Préfet, et non l'Académie de Corse."