- Lors du colloque national sur l’eau et le changement climatique en 2018 à Lyon vous aviez fait une intervention sur le thème : « sauvons l’eau ». Quatre ans après, c’est plus que jamais d’actualité ?
- Totalement. Je crois que l’actualité est là pour nous rappeler que le changement climatique est bien installé. Les signes sont là depuis quelques années même si ça s’accélère. On s’aperçoit depuis 30, voire 40 ans, qu’en Corse, les températures grimpent et les précipitations se font plus rares mais aussi que les cours d’eau sur l’île ont un niveau en baisse. Dès 2017, j’avais dit que les évènements climatiques qui nous paraissaient être des exceptions allaient devenir la règle.
- La Corse n’a visiblement pas réussi à relever « le défi de l’eau », comme vous le préconisiez … Qu’est-ce qui n’a pas été fait ?
- Quand je suis arrivé à la présidence de l’Office d’Equipement Hydraulique de la Corse (OEHC) en 2016, j’ai été confronté aux dossiers de l’alimentation en eau brute des exploitations agricoles et je me suis rendu compte que depuis 2003 qui avait été une année de canicule intense, aucun projet de stockage d’eau n’avait été fait. Mais en cinq ans de présidence, nous avons fait des avancées considérables.
Nous avons profité de la queue de certains programmes d’investissement pour financer des projets comme le suppresseur de Tagliu-Isulacciu. Nous avons signé une charte avec toutes les filières agricoles en 2017 pour définir les règles du partage de l’eau et de son usage. Certains grands bassins comme celui de Prunelli ont été entièrement refaits. Mais nous avons également mis en place une feuille de route pour l’avenir. Le SDAGE ( Schéma Directeur d'Aménagement et de Gestion des Eaux) 2022-2027 a été élaboré sous ma présidence. Le plan Acqua Nostra 2050 également. Il nous fallait une vision pluriannuelle de la gestion de la ressource en eau là où nos prédécesseurs avaient une vision saisonnière.
Maintenant c’est à l’État français de donner les moyens à la Corse de réaliser ces plans. Et pour ça, la réunion à Paris en septembre entre les élus corses et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin doit traiter de ces financements. Car aujourd’hui, sur l'eau en Corse il n’y a pas un rattrapage historique à faire mais un rattrapage climatique d'un milliard d'euros sur 20 à 30 ans dans tous les domaines de gestion de l’eau.
- Le Plan Acqua Nostra 2050 a permis de limiter les dégâts, notamment pour l’irrigation en Plaine orientale. Que deviennent les autoroutes de l’eau ?
- Certaines choses ont déjà été faites comme le surpresseur à Tagliu-Isulacciu, les canalisations élargies à Casamozza et dans le Fiumorbu grâce à des financements que nous avons récupéré du PEI (Programme Exceptionnel d’Investissement) et qui n’étaient pourtant pas destinés à l’hydraulique. Pour le reste, c’est en cours mais je pense qu’il faut accélérer et pour cela, il faut des financements.
- Que devient le plan avec votre successeur qui s’était engagé à le poursuivre ?
- Si je lis bien ses déclarations, il le poursuit. Et c’est tant mieux. Mais aujourd’hui, l’important est de savoir si la Collectivité de Corse a les capacités d’aller négocier les financements nécessaires pour pouvoir le mettre en place.
- Vous aviez prévu des retenues collinaires. Pourquoi rien n’a été fait sur ce sujet en 7 ans ?
- Quels que soient les projets, et notamment concernant les retenues collinaires, cela prend du temps. On ne peut pas tout réaliser en trois jours. Ici on parle plutôt d’une dizaine d'années. Il y a des procédures très lourdes à respecter comme les études en génie civil et celles de l’impact environnemental de tels projets. Mais de telles retenues existent déjà plus ou moins. Nous parlons chaque fois de barrages, mais certaines infrastructures sont plutôt des retenues comme le “barrage” de l’Alisgiani.
Le plan Acqua Nostra doit trouver 40 millions de m³ d’eau supplémentaire à stocker d’ici à 2050 car la population va augmenter et les besoins également. Notamment ceux de l’agriculture qui devraient croître de 40 % pour atteindre une consommation de 70 millions de m³. Le plan Acqua Nostra le prévoit.
- On parle de faire des retenues d’eau avec des bâches, comme sur le continent. Installations d’ailleurs assez controversées. Est-ce une option en Corse selon vous ?
- Il faudrait vraiment regarder au cas par cas. Mais le vrai problème c’est qu’aujourd’hui, on ne peut plus appréhender la ressource en eau comme il y a 50 ans.
- Justement, quand vous étiez à la tête de l’OEHC, vous avez beaucoup insisté sur les changements de mentalité et de comportement, que ce soit ceux des usagers comme ceux des agriculteurs. Là aussi, le travail reste à faire ?
- Oui toujours mais je pense qu’il y a eu une véritable prise de conscience. Pourtant, quand je parlais du changement climatique il y a six ans, les gens le voyaient comme un danger virtuel. Et pourtant, aujourd’hui il est bien là. Mais depuis, les filières agricoles s’entendent entre elles sur la gestion de l’eau, on avance sur les techniques d’irrigation et on utilise de plus en plus des espèces végétales moins gourmandes en eau.
Pour moi, il faut une volonté politique très forte pour négocier, je le répète, avec Paris pour installer un nouveau rapport à l’eau en Corse. Il faut changer sa manière d’utiliser l’eau et aller vers une gestion raisonnée.
- On cite l’exemple de la Sardaigne qui, sans eau, en stocke beaucoup plus. Pourquoi la Corse s’avère-t-elle incapable de le faire ?
- Attention, la Sardaigne a une plus grande superficie et plus de population. De notre côté, je pense que la Corse n’a pas réfléchi au stockage de l’eau et nous avons pris du retard. C’est pourtant le chantier le plus important de ce 21e siècle. Le plan Acqua Nostra 2050 agit comme une rupture entre la préhistoire de la gestion de l’eau en Corse, bien représentée par la SOMIVAC, et celle de demain. Il nous fallait une feuille de route et maintenant nous l’avons avec ce plan mais aussi avec le SDAGE, le plan de bassin voté en 2018, les PTGE (Projet de Territoire pour la Gestion de l’Eau) à finaliser.
- Le problème reste le financement du Plan Acqua Nostra 2050 qui était chiffré à 600 millions d’euros, mais tout dépend aussi de l’Agence de l’eau Rhône-Alpes qui a d’autres urgences que la Corse. Comment obtenir ces financements ?
- L’urgence oblige l’État à un plan d’investissement d’ampleur en Corse. Il faut aussi rappeler que l’Agence de l’eau gère uniquement le financement de tout ce qui touche à l’eau potable. Pas à tous les domaines de l’hydraulique. Mais pour moi, l’urgence est la création d’une agence de l’eau corse, à l’image d’un ministère ou d’un office qui gèrerait toute la ressource sur l’île. L’office hydraulique doit tendre à devenir cet Office de l’eau corse dont la gouvernance est dévolue à l’Assemblée de Corse. Nos institutions ont besoin d’évolutions dans ce sens là également. L’eau corse doit être gérée par des corses pour les corses.
- L’autonomie hydraulique que vous avez défendue est-elle vraiment réalisable ?
- Oui totalement et de toute manière nous sommes obligés. Dans le préambule du plan, il y a une phrase de Riccardo Petrella que j’ai apprise par cœur : “L'homme et la société n'ont plus de liberté de choix, d'orientation ; le seul choix qui leur reste est de s'adapter ou de périr”. Elle donne le ton et la direction du plan. Je pense réellement qu’Acqua Nostra 2050 est l’un des rares exemples concrets d’une stratégie au service de la construction de la nation corse moderne.