- Saveriu Luciani revient pour CNI sur cette semaine de visite, ainsi que sur la situation hydrologique, la politique d’investissements, les projets mais également les remous suscités autour de la possible implantation d’un centre d’enfouissement des déchets sur la commune de Moltifau.
- Le 31 juillet dernier s’est tenu un Comité de Suivi Hydrique territorial (Comité sécheresse). Qu'en est-il ressorti ?
- Dire d’abord que la gestion de l’été 2019 ne ressemble pas du tout à celle de l’année 2018 ni à celle de 2017. S’il nous faut insister et redire que 2018 s’inscrit dans l’exception d’une décennie, c’est parce que les effets du réchauffement sont bien là, avec des températures supérieures aux normales saisonnières, avec des semaines caniculaires. Tout cela vient corroborer à l’évidence la thèse d’un profond dérèglement climatique en marche. Rappelons-nous l’épisode neigeux de la mi-mai et surtout ceux des deux crues de juillet qui ont permis de maintenir des débits dans des occurrences moyennes à humides sur l'ensemble du territoire, et les records historiques d’humidité battus sur le Portu, le Fangu et Golu à Albertacce.
- La Corse subit donc déjà les effets d’un changement du climat méditerranéen ?
- La tendance à l’augmentation des températures et au tarissement de la ressource, sur le long terme, est clairement affichée par les scientifiques, même si l’on peut être surpris par des phénomènes météorologiques des 15 et 28 juillet qui viennent soulager nos réserves. Mais il convient de dire qu’ils relèvent de l’évènementiel et de l’imprévisible, symptomatiques de ce processus irréversible de dérèglement climatique en Méditerranée. Quant au constat, retenons que l’hiver, comme beaucoup d’autres hivers récents, a été particulièrement sec, le mois d’avril également, tandis que mai et juin sont restés dans la moyenne. Enfin, juillet déroge singulièrement. Ainsi, au sortir de cette première partie de l’été, nous avons une situation que l’on peut qualifier de favorable, avec un tarissement estival qui reste malgré tout à surveiller. Mais attention à ce que peut nous réserver l’arrière-saison…
Pour le mois d’août, le comité sécheresse n’a pas envisagé de mesures restrictitives, que ce soit en matière de consommation d’eau potable ou en agriculture pour l’eau brute.
En effet, les préfets n’envisagent pas de prendre des arrêtés comme cela a été le cas en2017 par exemple. Et pour cause : nous avons bénéficié d’un reliquat conséquent dans les barrages dû à une année 2018 très particulière. Au 10 août, pour ce qui regarde l’OEHC, les retenues et barrages ont un taux de remplissage de 68%, soit environ 30 millions de mètres 3. À titre de comparaison, à la même époque, nous étions à 75% l’an dernier, à 46% en 2017 et à 34% - soit la moitié de nos stocks actuels – en 2003, année de référence de ce début de siècle en matière de sécheresse. Par ailleurs, les barrages d’EDF sont autour d’un taux de remplissage de 90%. Il y a désormais une vision partagée et coordonnée de la gestion de la ressource hydraulique, et j’en profite pour saluer la qualité de ce partenariat avec EDF. Cela nous permet d’utiliser au mieux nos droits d’eau pour alimenter la région bastiaise et le territoire nord de la plaine orientale d’une part, et, d’autre part, principalement le sud de la plaine et la région ajaccienne.
- Au regard de tous ces éléments, ce bilan intermédiaire apparait plutôt satisfaisant ?
- Oui, mais ce satisfecit ne doit pas nous faire oublier la sensibilisation en direction de tous les usagers – particuliers, collectivités, agriculteurs, professionnels et touristes -, les invitant à une consommation raisonnée et responsable de la ressource. Nous traverserons à l’avenir des périodes de sécheresse plus nombreuses et plus intenses. La prévention et l’anticipation sont de mise ; il faut, d’ores et déjà, travailler à l’adaptation et à un changement sociétal profond. Le monde ne pourra échapper à une évolution rapide de ses modèles économiques, de production et de consommation. Dans ce cadre, notons l’adoption par le Comité de Bassin de Corse et l’Assemblée, à l’unanimité, à l’automne dernier, d’un plan d’adaptation au changement climatique. Le contexte et les projections à 50 ans nous confrontent à un double défi permanent, à la fois quantitatif et qualitatif.
- Pour la Balagna, quels sont les autres points significatifs à retenir ?
- Notre objectif était de faire un bilan de mi-saison, consistant en un vaste tour d’horizon analysant les données globales, relevant aussi bien du barrage d’E Cotule que de nos installations de l’Osari et Calvi, de leurs unités de production d’eau potable, mais encore des suivis quantitatif et qualitatif de la ressource distribuée et des investissements réalisés, en cours ou en projets.
D’un point de vue général, le barrage d’E Cotule, principale réserve de la région (6,5 millions de mètres 3), ne présente aucune difficulté de gestion, tout comme l’aquifère de la Figarella, singulièrement épargné cette année grâce au niveau de production de notre usine de potabilisation de Calvi. Dans cette zone, nous allons pouvoir assurer vraisemblablement ces jours-ci des consommations se situant autour de 6000 m3/jour.
- En matière de qualité de l’eau ?
- À ce propos, je rappelle le suivi analytique de tous nos plans d’eau par notre laboratoire, dont je salue l’énorme travail et le professionnalisme du nord au sud de l’île. Plus largement s’y ajoute le plan stratégique de surveillance pour 2019-2021 récemment initié par l’Etat, l’OEHC, l’ARS, l’Agence Française de la Biodiversité (AFB), l’Università di Corsica, EDF et Kyrnolia, et qui concerne la totalité des plans d’eau de Corse.
- Quels investissements et quels projets pour l’OEHC en Balagna ?
- Pour les principales infrastructures déjà terminées, certaines l’ont été dans le cadre du PEI. Rappelons l’aménagement en eau potable de la zone de L’Osari (1,1 M € pour réservoir et pompes), la station de traitement d’eau potable de Bonifatu (1,02 M €), l’amélioration de la qualité des eaux brutes du barrage d’E Cotule avec la réoxygénation de l’hypolimnion (0,525 M €) ou le déploiement de stations hydrométriques.
Parmi les principales actions engagées actuellement, une densification de réseau sur la commune de Munticellu est en cours, ainsi qu’une amélioration des conditions de traitement de l’eau potable à l’UPEP de Calvi (ajout d’une étape de clarification par flottation à l’air dissous) dont la mise en œuvre est prévue pour mai 2020.
- En conclusion, d’autres perspectives ?
- Nous travaillons actuellement sur le projet de retenue de Sambucu, dont le processus est bien engagé. Il pourrait devenir incontournable dans le schéma hydraulique de l’ouest de la Balagna, y compris en termes d’ouvrage de substitution en cas de risque. Enfin, nous devrions présenter à Galeria, dès cet automne, avec le Président du Conseil Exécutif, une pré-étude sur les potentialités hydrologiques de la région du Falasorma (U Marzulinu et Luzipeu). Comme vous pouvez le constater, l’effort de notre Collectivité est très conséquent, mais non exclusif, sur la Balagna, d’autant qu’elle est l’une des 4 régions les plus vulnérables de Corse en matière de ressource hydraulique. Notre engagement est total et nous aurons certainement l’occasion d’y revenir prochainement, pour évoquer des initiatives similaires dans d’autres parties de l’île, "L’acqua di a Corsica hè una primura maiò per l’Avvene ! ".
Moltifau : "L'Exécutif très attentif aux problématiques soulevées par le collectif et les élus"
- Au-delà d’une visite sur vos différentes installations de production en Balagna, vous êtes notamment passés par les sites de captage de la fameuse zone de Moltifau où persiste une forte mobilisation contre l’implantation d’un Centre d’enfouissement. Quel sentiment vous inspire la situation, puisque le collectif crée évoque un risque sanitaire lié à l’eau ?
- Débuter notre périple balanin par nos sites de production implantés aux abords du fleuve Tartaghjine relève d’un parcours logique, puisqu’ils dépendent du secteur OEHC Balagna. Nous y alimentons notamment en eau potable plusieurs communes, celles de Canavaghja, Castifau, Petralba, Lama, Urtaca et Novella, à raison de 600 mètres »/jour en cette période pour ce qui regarde les villages d’U Canale. Si certains y voient une signification particulière dans le contexte évoqué, autant préciser que l’ensemble du Conseil Exécutif travaille au service de l’intérêt collectif et qu’il est parfaitement conscient des enjeux environnementaux ; il est à l’écoute des communautés villageoises, et très attentif quant aux problématiques soulevées par le collectif et les élus. Pour ma part, je ne suis ni dans le silence, ni dans l’attentisme, mais uniquement suspendu, comme mes collègues, aux conclusions des études en cours menées par le SYVADEC et le cabinet GINGER CEBTP.
- Permettez-nous d’insister, que comptez-vous répondre au questionnement du collectif à propos de la possible altération de la qualité de l’eau ?
- En l’état, nous délivrons incontestablement une eau de qualité, suivie et analysée de manière régulière. Cela fait partie de nos préoccupations quotidiennes fondamentales. Si l’on revient précisément à votre question, qui ne relève pas de l’analyse sanitaire actuelle, je peux vous dire qu’à l’OEHC, nous affinons notre contribution au débat en cours car sollicités, au même titre que les autres collectivités, sur les conséquences sanitaires de l’exploitation de la ressource hydraulique sur la zone. En clair, c’est ce que nous faisons à longueur d’années, ici comme ailleurs, pour assurer un service de production et de distribution conforme aux normes sanitaires en vigueur, avec, c’est l’évidence, une particulière attention au regard de l’inquiétude du territoire, telle que récemment exprimée. Au moment où je vous réponds, il n’est donc pas question de modifier nos paradigmes d’exploitation de la ressource, puisqu’aucune décision n’est à l’ordre du jour.
- Mais lorsque l’on parle de risques ?
- Je crois avoir été très clair dans mon propos : personne n’a le droit de jouer ou de spéculer avec la santé des populations. Cela vaut pour tous les décideurs, qu’ils soient locaux ou territoriaux. Le Conseil exécutif l’a amplement démontré en ne négligeant rien, car à travers des dossiers très différents, il n’a jamais tergiversé face à ce contexte durable de changement climatique et de questionnement systématique sur la qualité de l’eau. Quant à l’Office, du laboratoire d’analyses aux services Ingénierie (SI) et Exploitation (SE), il est mobilisé pour évaluer au mieux les projections liées à la production présente et future. Je le redis solennellement : notre engagement est immuable pour garantir, comme hier, comme aujourd’hui et pour demain, un approvisionnement hautement sécurisé, à partir des captages placés sous notre responsabilité, juridique autant que morale, et sous notre gestion.