
Pierre Alessandri le lendemain de l'incendie de sa distillerie en 2019.
Un grand poète a écrit « toutes les nuits portent en elles la promesse de l’aube »
Aujourd’hui notre nuit est pesante, épaisse et longue. Elle est sombre au point de nous faire perdre tous nos repères dans le temps et dans l’espace. Elle enveloppe nos êtres et nous rend vulnérable au moindre danger. Dans cette obscurité malsaine qui ne dit pas son nom, nous sommes désormais toutes et tous les victimes potentielles d’un jeu morbide dont les règles sont imposées par l’envie, la jalousie, la cupidité, la concussion, l’orgueil, la terreur. Cette pieuvre maléfique a eu le temps de développer son système tentaculaire et de s’immiscer dans tous les interstices de nos vies sociales. Elle tue, elle incendie, elle exerce des pressions de tous ordres. Elle a tué Pierre ALESSANDRI, et bien d’autres victimes. Pierre ALESSANDRI était un homme bon, travailleur, inséré socialement. Pétri de valeurs et de principes. Volontaire dans l’adversité et profondément honnête dans sa vie comme dans ses engagements.
La société Corse est schizophrène. Elle manifeste pour dénoncer un système mafieux qui gangrène et porte atteinte à l’intégrité de notre corps social et dans le même temps elle se rassemble (toutes tendances politiques confondues) pour dénoncer et défendre la destruction d’une paillotte illégalement construite sur le domaine public maritime. Dans les deux cas on retrouve pêle-mêle des députés, des sénateurs, des conseillers territoriaux ou communautaires, des maires, des leaders de partis ou de mouvements politiques. Toutes ces personnalités qui ont vocation à être des relais d’opinion. Chacune d’entre elles portent théoriquement la responsabilité d’éveiller les consciences et de tracer les voies, les chemins qui mènent à l’exemplarité à savoir le respect des valeurs, fondement du pacte social qui encadre la vie de nos sociétés contemporaines.
Aujourd’hui cette schizophrénie ambiante nous accable. Elle semble avoir atteint un tel degré d’inacceptabilité qu’il nous faut collectivement déconstruire par la parole, par la discussion, par l’échange, par l’éducation les processus de déviances, de dérives qui nous ont conduit à cette situation. Ce travail « psychanalytique » concerne tout le monde et au 1er chef nos responsables politiques (de tous bords et de toutes obédiences).
A chacun de prendre sa part :
L’Etat doit assumer pleinement son autorité régalienne dans le domaine de la police et de la justice. Les enquêtes doivent aboutir, les plaintes poursuivies, les criminels punis, les voleurs jugés et emprisonnés. Les contrôles de légalité doivent s’exercer de façon indifférenciée, juste et équitable pour tous. L’Etat doit exercer pleinement le 1er des droits d’un citoyen à savoir sa sécurité.
La Collectivité de Corse doit également assumer pleinement ses responsabilités ainsi que les compétences que lui octroie la loi du 7.08.2015. Elle doit contrôler et faire respecter ses décisions règlementaires au 1er rang desquelles figurent l’urbanisme, les permis de construire, les politiques d’aménagement du territoire, les zones à protéger et notamment les Espaces Stratégiques Agricoles. Continuer à afficher une probité exemplaire dans la passation des marchés publics.
Le peuple Corse doit se prendre en main pour s’émanciper des tutelles malsaines et infantilisantes qui ont durant des décennies assujetties leurs libertés au pouvoir d’un clan, d’un groupe social, d’une famille ou d’une personne.
Au fil de ces 50 dernières années cette irresponsabilité collective a engendré, par effets cumulatifs, des dérives mortifères qui rongent la paix civile. La trop longue litanie : des meurtres et des assassinats impunis, des dérogations arbitraires à la loi, des accommodements fréquents au code de l’urbanisme, des complaisances coupables des administrations territoriales à l’endroit de certains fonctionnaires, plus soucieux de leurs intérêts individuels que du bien commun dont ils ont la charge, a eu raison de notre pacte social, démocratique et citoyen.
A quelques semaines de l’anniversaire de la naissance de Pasquale PAOLI, il semble que nous soyons revenus aux pires années de notre histoire. A cette lointaine époque ou la misère, la pauvreté, les contraintes économiques provoquées par l’occupant génois, l’enclavement géographique, le manque d’éducation créaient des situations de violences paroxystiques remettant en cause à la fois l’identité culturelle mais également la cohésion sociale de tout un peuple.
En convoquant ce rappel historique je ne suis pas en train de souhaiter l’instauration comme en 1760 d’une « Ghjustizia Paolina ». Je suis simplement dans ma réflexion, en train d’essayer de comprendre comment ce délitement, cette dégénérescence peuvent-ils produire au XXIème siècle de tels agissements, de tels méfaits, de tels drames.
Le peuple Corse que l’on a tant fantasmé est en perdition. Il n’a plus de valeurs. Il n’a plus de principes. Il ne possède plus de signes de reconnaissance et d’appartenance. Il n’a plus de cohésion ni sociale, ni culturelle, ni économique. Il vit dans un archipel planétaire de type « metavers » où des personnes connectées peuvent interagir entre elles par l’entremise d’objets numériques tout en exploitant des représentations virtuelles -avatars- d’elles-mêmes. Cet anti-modèle ne pourra certainement pas faire obstacle aux enjeux du monde réel qui nous occupe aujourd’hui.
A chacun donc d’œuvrer pour que l’on parvienne à reconstruire ce monde nouveau. La première étape étant de déconstruire, pierre par pierre, l’ouvrage collectif qui s’est bâti sur des erreurs, des faux-semblants, des renoncements, des compromissions, des intérêts pécuniaires et surtout contre notre bien le plus précieux : le commun. Ce n’est qu’à cette condition, après avoir mené cette introspection commune et collective que l’on pourra renouer les liens de la confiance, de la bienveillance et de la reconnaissance partagée.
« La nuit porte en elle la promesse de l’aube ». Que cette aube soit les prémices d’un jour lumineux. Qu’elle nous pardonne nos offenses et nous redonne des raisons d’espérer.
In quantu à tè o Pè, riposa in santa pace per l’eternu