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Tribunal de commerce de Bastia : La sombre réalité des entreprises de Haute-Corse


Nicole Mari le Vendredi 15 Janvier 2016 à 22:29

L'audience de rentrée du Tribunal de commerce de Bastia, qui s’est tenue, vendredi en début d’après midi, en présence, notamment, des autorités politiques et consulaires, a dressé un bilan particulièrement maussade de la situation économique des entreprises de Haute-Corse. La baisse trompeuse des chiffres noirs des dépôts de bilan et liquidations reflète plus un effort de conciliation des pouvoirs publics dans le traitement des entreprises en difficulté qu’une reprise du secteur. Pour l’année qui débute, les voyants restent dangereusement au rouge.



Le président du Tribunal de commerce, Jean-Marc Cermolacce, entouré du vice-président, des présidents de chambre, des juges et des greffiers.
Le président du Tribunal de commerce, Jean-Marc Cermolacce, entouré du vice-président, des présidents de chambre, des juges et des greffiers.
« Les chiffres sont aux audiences solennelles de rentrée ce que la galette des rois est au mois de janvier : incontournables ! ». C'est par ces mots que la procureure adjointe, Frédérique Olivaux, ouvre l'audience de rentrée du Tribunal de commerce qui clôt une année économique difficile pour la Corse et en ouvre une autre qui ne s'annonce guère sous de meilleurs auspices. Avertissant en préambule que l'aridité des chiffres cache souvent de situations humaines et économiques très différentes, la procureur adjointe révèle des chiffres qu’elle juge, elle-même, étonnants, notamment la légère baisse globale des ouvertures de procédures collectives pour 2015 qui sont passées de 169 ouvertures en 2014 à 149 et la hausse des immatriculations qui sont passées de 1212 en 2014 à 1376 en 2015. Les immatriculations de sociétés commerciales, par contre, fléchissent de 673 à 601.134 liquidations ont été prononcées contre 148 en 2014 et 127 en 2013. 14 plans ont été accordés contre 18 en 2014 et 17 en 2013. En même temps, les dépôts de bilan continuent d’augmenter : 64 en 2013, 77 en 2014 et 83 en 2015. Les demandes de résolution de plans grimpent de 11 à 22 entre 2014 et 2015. A l’inverse, après trois années de hausse, le nombre d’injonctions de payer se stabilise à 83%, ainsi que les dossiers clôturés qui sont au nombre de 185. Les assignations en redressement ou en liquidation chutent fortement de 138 en 2014 à 87 en 2015.
 
Des faux-semblants !
Mais ces chiffres en apparence prometteurs, qui laissent supposer une accalmie dans une conjoncture économique difficile, sont comme l’arbre qui cache la forêt : des faux semblants ! « Ces chiffres sont-ils la démonstration d'une reprise économique ou bien cachent-ils une réalité du marché beaucoup plus sombre ? » interroge prudemment Frédérique Olivaux. Elle affiche la même perplexité devant l'équilibre constaté entre les ouvertures sur dépôt de bilan et celles sur les assignations. « Soit il correspond à une diminution des difficultés économiques des sociétés et entreprises de la région, soit à une volonté des créanciers institutionnels de ne pas assigner trop rapidement devant la juridiction commerciale. Le chiffre noir des entreprises en difficulté, qui ne sont pas assignées par leur créancier devant le Tribunal de commerce ou dont les débiteurs ne saisissent pas cette juridiction, est incontestablement, au regard des analyses, encore très important », précise-t-elle. Rappelant que la mission du Tribunal de commerce n’est pas de sanctionner des échecs économiques, mais d’aider les débiteurs en difficulté, elle tente de convaincre ces derniers de chercher cette aide « le plus en amont possible des premières difficultés » pour permettre la mise en place de mesures de sauvegarde et de conciliation.
 
Faire tenir la digue
Pour le président du Tribunal de commerce, Jean-Marc Cermolacce, pas de doute : le temps est loin de l’optimisme, la situation économique est en berne et le frémissement des chiffres ne reflète que la mobilisation des acteurs publics pour éviter le désastre. Un indicateur illustre cette triste réalité : la forte baisse du nombre des assignations. L’URSSAFF, qui délivre ordinairement plus de la moitié des assignations, n’en a délivré que 14 en 2015 contre 66 en 2014 et 97 en 2013. « Tous les acteurs ont été mobilisés pour faire en sorte que la digue tienne. Comme l'URSSAF, qui a fait preuve d'une indiscutable bienveillance pour tenter d'éviter les naufrages par dizaines, les services fiscaux de Haute-Corse se sont montrés plus que jamais à l'écoute des entreprises en difficulté en essayant, à chaque fois, de trouver la meilleure solution », affirme-t-il. Le Tribunal de commerce a, également, joué le jeu en intensifiant sa politique de prévention « afin de repérer le plus en amont possible les difficultés des entreprises ». 119 convocations ont, ainsi, été adressées à des entreprises donnant des signaux d’alerte. « Il est vraisemblable que tous ces efforts conjugués ont permis de contenir l’hémorragie. Mais, ne nous leurrons pas, sans une reprise spectaculaire de la croissance, sans un redémarrage fort de l’activité, la digue finira par céder ! ».
 
La voie du désordre
Au final, aucune amélioration économique en 2015 ! L'économie de la Corse est plombée par 22 000 chômeurs, un secteur du BTP « en chute accélérée », une activité touristique « très en deçà de ses capacités », un secteur productif « inexistant » et un « surpoids endémique » de la fonction publique territoriale « qu’il faudra trainer comme un boulet durant de nombreuses années ». Et, Jean-Marc Cermolacce de pointer du doigt la dernière crise des transports maritimes « encore plus dramatique que les précédentes ». S’il se félicite de la capacité du secteur aérien à « partiellement compenser la défaillance du maritime », notamment les compagnies low costs qui multiplient les liaisons avec les métropoles européennes, il s’en prend à l’ahurissante inertie de l’Etat : « Dans la désignation des coupables, tout le monde pointe du doigt telle centrale syndicale. Il est vrai qu’elle vit toujours à l’époque de Germinal et qu’elle se singularise par ses actions violentes répétées. Mais la réalité est bien plus pitoyable : il existe en France de nombreuses zones de non-droit dument répertoriées et, parmi elles, le port de Marseille ! La responsabilité première incombe à ceux qui ont en charge le respect de l’ordre ». Il fustige « la voie du désordre, ou pire encore l’ordre à géométrie variable qui engendre inévitablement le sentiment d’injustice ». Il conclut, en ouvrant l’année judiciaire 2016, sur des vœux de justice, de sérénité et d’efficacité au service de l’économie corse.
 
N.M.