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"Une espèce très invasive" : Le crabe bleu sous surveillance en Corse


Andrea Petitjean le Vendredi 27 Septembre 2024 à 11:01

Le samedi 28 septembre 2024, l’Office de l’Environnement de la Corse (OEC) organise une journée de sensibilisation à l’étang de Biguglia autour du crabe bleu, une espèce invasive qui menace les écosystèmes corses. Ce crustacé originaire des côtes atlantiques américaines s’est installé en Corse dès les années 1990, et sa prolifération dans les lagunes et sur le littoral méditerranéen pose un véritable défi pour la survie de l’écosystème local. Marie Garrido, cheffe de projet à l’Office de l’Environnement de la Corse (OEC) qui étudie cette espèce invasive proliférant sur l’île depuis quelques années, nous explique les particularités de ce crustacé, son évolution sur le littoral insulaire, ainsi que les initiatives de l'OEC pour en comprendre l'impact de cette espèce et gérer sa présence.



Le crabe bleu. Photo archives
Le crabe bleu. Photo archives
Le crabe bleu, espèce invasive, continue de coloniser les côtes corses depuis plusieurs années. Quels sont les principaux facteurs qui expliquent cette propagation rapide ?
Le crabe bleu, ou Callinectes sapidus, s’est révélé être une espèce très invasive dans tout le bassin méditerranéen depuis une dizaine d’années. En Corse, sa prolifération est principalement liée aux effets du changement climatique. Les températures de plus en plus élevées favorisent son développement et accélèrent son cycle de reproduction. Cette espèce est extrêmement adaptable : elle tolère de grandes variations de température et de salinité, ce qui lui permet de s’installer dans différents environnements. Une femelle peut pondre jusqu’à 4 millions d’œufs, et en l’espace de trois mois, un crabe peut passer de 1 à 10 cm. Cela lui permet de se reproduire plusieurs fois par an. En Corse, les conditions sont idéales toute l’année pour cette espèce, ce qui en fait un environnement propice à son développement. De plus, le crabe bleu est omnivore, agressif et n’a presque aucun prédateur à l’âge adulte, mis à part le poulpe. Ces caractéristiques en font un compétiteur redoutable pour les autres espèces marines.

Peut-on mesurer aujourd'hui l’ampleur de cette invasion, notamment dans la Réserve Naturelle de l’étang de Biguglia et dans d’autres zones en Corse ?
Le crabe bleu a été observé pour la première fois en Corse dans les années 1990, précisément dans les lagunes de Palo et de Diana. À l’époque, sa présence était anecdotique, avec seulement quelques captures isolées. Mais en 2014, grâce au réseau Alien Corse, un réseau de suivi des espèces invasives coordonné par l’OEC, un gestionnaire de la réserve de Biguglia a documenté la présence d’un crabe bleu dans la lagune. Depuis cette date, nous avons constaté une augmentation progressive de sa présence. Entre 2018 et 2020, on a observé une recrudescence de captures, notamment le long du littoral de la plaine orientale. Pour faire face à cette prolifération, l’OEC, en partenariat avec l’ADRIAL de Corse, a mis en place des actions inspirées des stratégies adoptées en Espagne, Tunisie et Italie. Un groupe de travail a été créé pour suivre l’évolution de l’espèce et cartographier sa répartition en Corse. Ce travail a révélé une présence marquée du crabe bleu sur presque tout le littoral corse, sauf sur la façade ouest, où les conditions environnementales semblent moins favorables. En 2023, les pêcheurs professionnels ont rapporté environ 15 tonnes de captures, mais il est probable que ce chiffre soit sous-estimé, car il n’inclut pas les prises des nombreux pêcheurs amateurs qui ciblent également cette espèce.

Quelles conséquences environnementales avez-vous pu observer depuis l’introduction du crabe bleu en Corse ?
Les impacts environnementaux du crabe bleu en Corse sont encore difficiles à évaluer avec précision, car peu d’études ont été menées en France, notamment sur la façade méditerranéenne. Toutefois, plusieurs constats faits par les pêcheurs laissent penser que cette espèce invasive perturbe l’écosystème local. Par exemple, nous avons observé une quasi-disparition du crabe vert, un phénomène qui a également été rapporté en Espagne, où des études ont confirmé cette corrélation. Les pêcheurs ont également noté une baisse des captures de mulets et d’anguilles, mais il est difficile de dire si cette baisse est directement due à la prédation par le crabe bleu, ou si les filets de pêche sont tout simplement envahis par ce crustacé au point qu’ils ne capturent plus les autres espèces. L’absence de données scientifiques robustes complique l’évaluation exacte des impacts.

L’OEC, en collaboration avec la DREAL et le réseau Alien Corse, a mis en place un Plan Territorial de Lutte contre le crabe bleu. Quels sont les principaux axes de ce plan et les actions menées ?
Le Plan Territorial de Lutte contre le crabe bleu est une initiative proactive, lancée à la demande du Conseil exécutif de Corse, pour répondre à l’invasion de cette espèce tout en préservant les ressources aquatiques et les activités économiques, notamment la pêche professionnelle. Ce plan s’inscrit dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre les espèces exotiques envahissantes. Il s’agit de la première fois qu’une espèce marine est visée par une telle initiative à cette échelle en France. L’éradication totale du crabe bleu est impossible, mais nous nous efforçons de limiter son expansion par des actions ciblées. Parmi ces actions, on peut citer les "pêches coup de poing", organisées à des périodes clés de l’année et dans les habitats où le crabe bleu est le plus présent. Nous collaborons étroitement avec les pêcheurs professionnels pour mener à bien ces opérations. Par ailleurs, le plan met un accent fort sur la communication pour sensibiliser le grand public et les acteurs économiques à la problématique. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle il suffirait de "manger le crabe" pour en limiter les dégâts, des mesures plus complexes et à long terme sont nécessaires pour réellement contrôler cette espèce invasive.

Quels sont les résultats obtenus jusqu’à présent ? Avez-vous noté un ralentissement de l’expansion de l’espèce grâce à ces mesures ?
Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur l’efficacité de nos actions. Le crabe bleu continue de croître dans de nombreuses zones, pas seulement en Corse mais dans toute la Méditerranée. Par exemple, en région PACA, les pêcheurs ont capturé plus de 1000 crabes par jour en septembre, alors qu’ils n’en pêchaient que quelques dizaines auparavant. En Occitanie, les captures ont également augmenté de manière significative, passant de 5 tonnes en 2020 à 15 tonnes en 2022, avant de chuter à zéro dans certaines lagunes à cause de l’augmentation de la salinité. Cela montre que la dynamique de l’espèce est difficile à prévoir et qu’elle dépend fortement des conditions environnementales.

Quel est l’objectif de la journée de sensibilisation organisée le 28 septembre ?
Cette journée vise à sensibiliser le public et les professionnels à la problématique du crabe bleu en Corse. Nous organiserons des ateliers pédagogiques pour expliquer les enjeux écologiques et économiques liés à cette espèce invasive. Les visiteurs pourront également échanger avec les pêcheurs, qui sont en première ligne face à cette prolifération. L’un des objectifs est de montrer au public que les actions de lutte que nous menons sont basées sur des études scientifiques approfondies, qui prennent du temps à mettre en place. La journée se terminera par une dégustation de crabe bleu, préparée par les pêcheurs eux-mêmes, pour que chacun puisse découvrir cette espèce sous un autre angle et mieux comprendre son potentiel, aussi bien sur le plan culinaire que dans sa gestion.