Ces derniers trouvent toujours quelque intérêt personnel à "trahir" leur peuple, ou font contre mauvaise fortune bon coeur, finissant par s'identifier aux anciens tyrans. Au point qu'ils revendiquent leur nouvelle appartenance, et abandonnent toute idée d'émancipation, alors qu'ils l'avaient poursuivie ou espérée pendant des siècles. La langue de l'oppresseur est d'ailleurs, souvent utilisée comme une arme puissante par les peuples opprimés dans leur chemin vers plus de liberté.
L'histoire offre ainsi d'innombrables exemples de peuples vaincus qui prennent fait et cause pour leur ancien oppresseur, et profitent des privilèges qui découlent de leur allégeance.
Le président de la République française a eu raison de reconnaître en 2012 les souffrances du peuple algérien, et de dénoncer un système colonial profondément injuste et brutal, avant de faire référence aux hypothétiques "bienfaits" de la colonisation.
Pour revenir à la Corse, la colonisation n'a pas été moins brutale et néfaste même si depuis "de l'eau a coulé sous les ponts", à Ponte Novu et ailleurs. Ici comme ailleurs, il appartient aux historiens de faire l'inventaire des souffrances et des progrès.
Parmi les bienfaits, il y a sans doute la démocratisation de l'enseignement républicain, même si les Corses ont été confrontés au mépris de leur langue et de leur culture, et à l'apprentissage douloureux et forcé du français.
Aujourd'hui les Corses se trouvent enrichis d'une langue qui leur était autrefois étrangère et qui leur appartient désormais, qui fait partie intégrante de leur identité, et à laquelle ils ne sauraient renoncer volontairement. Une langue française dans laquelle ils excellent parfois, dont ils jouissent en tant qu'écrivains reconnus ou simples lecteurs.
Pour s'en persuader il suffit de parcourir les forums et les réseaux sociaux, où les mêmes usagers pratiquent avec bonheur et passion la langue corse et la langue française, citent avec délectation des morceaux choisis dans l'une et l'autre langue, parfois sans autre motivation que celle de faire partager leur émotion esthétique.
À part la célébration de la nouvelle année, quoi de commun entre un poème de Rosemonde Gérard ("Bonne année à toutes les choses") et de Petru Lucciana ("Annu novu eu ti salutu") ? Sans doute le fait qu'il sont cités en 2013 au sein de la même communauté d'internautes corses: on n'imagine pas que cela puisse se produire ailleurs qu'en Corse.
On peut regretter que d'autres langues du répertoire corse aient été laminées par le rouleau compresseur de l'école de Jules Ferry. Si la Corse était restée dans l'orbite italienne, à côté des morceaux précédemment évoqués on aurait pu voir cité tel poème de Gianni Rodari ("L'anno nuovo"). Mais aujourd'hui, pour reprendre l'expression d'une linguiste toscane penchée sur la situation sociolinguistique insulaire, l'italien n'est plus qu'un "écho" en Corse. Au 19e siècle il n'est pas certain que les témoignages sur les bergers corses déclamant les poèmes de l'Arioste soient autre chose qu'une fable (à une époque où les Italiens eux-mêmes étaient en grande majorité analphabètes ou ignorants de la "langue commune").
Aujourd'hui si le "Dio vi salvi Regina" continue d'être chanté, il n'est pas certain que les paroles (altérées dans la prononciation et dans la syntaxe) soient correctement décodées. Et c'est la traduction corse de chants français qui fait son entrée au "Hit parade" ("Hè mezanotte", "Babbucciu natale").
"On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs" pourrait-on observer, cyniquement, pour justifier le règne sans partage du français. Même si on finit par admettre que le plurilinguisme a des avantages indiscutables, et que la revendication d'un meilleur statut pour le corse n'a aucunement pour objectif de porter atteinte aux intérêts de la langue française, à laquelle les insulaires ne cessent de montrer leur attachement, et qui est devenue une seconde nature.
Souvent, en raison d'une hostilité non dissimulée, ou pour des raisons froidement juridiques et constitutionnelles (comme c'est aussi le cas pour les récentes vicissitudes fiscales), la langue corse a jusqu'à présent souffert de discrimination, par les simples effets du contact sinon du conflit entre langue dominante et langue dominée.
Parce qu'il était considéré comme un "dialecte allogène", le corse avait été exclu en 1951 du bénéfice d'une loi pourtant bien timide, qui faisait des "langues régionales" une option facultative au baccalauréat dont ont bénéficié le breton, le basque, le catalan et l'occitan. Il s'agissait bien d'une injustice, d'une rupture du principe d'égalité que le Conseil Contitutionnel n'a pas dénoncé. En raison de la poussée revendicative, la loi a été appliquée à la Corse plus de 20 après. C'est, a-t-on dit, le genre de menus avantages que l'État concède parfois, mais seulement aux langues moribondes...
En 1983, le vote unanime de l'assemblée de Corse en faveur du bilinguisme s'est heurté au refus du gouvernement de la France, dans l'indifférence à peu près générale.
Sans parler de discrimination positive ni d'un rattrapage historique improbable, souhaitons que l'année 2013 marque une réelle avancée dans le statut de la langue historique des Corses, grâce à l'implication du pouvoir politique local, et surtout grâce à la mobilisation populaire.
L'histoire offre ainsi d'innombrables exemples de peuples vaincus qui prennent fait et cause pour leur ancien oppresseur, et profitent des privilèges qui découlent de leur allégeance.
Le président de la République française a eu raison de reconnaître en 2012 les souffrances du peuple algérien, et de dénoncer un système colonial profondément injuste et brutal, avant de faire référence aux hypothétiques "bienfaits" de la colonisation.
Pour revenir à la Corse, la colonisation n'a pas été moins brutale et néfaste même si depuis "de l'eau a coulé sous les ponts", à Ponte Novu et ailleurs. Ici comme ailleurs, il appartient aux historiens de faire l'inventaire des souffrances et des progrès.
Parmi les bienfaits, il y a sans doute la démocratisation de l'enseignement républicain, même si les Corses ont été confrontés au mépris de leur langue et de leur culture, et à l'apprentissage douloureux et forcé du français.
Aujourd'hui les Corses se trouvent enrichis d'une langue qui leur était autrefois étrangère et qui leur appartient désormais, qui fait partie intégrante de leur identité, et à laquelle ils ne sauraient renoncer volontairement. Une langue française dans laquelle ils excellent parfois, dont ils jouissent en tant qu'écrivains reconnus ou simples lecteurs.
Pour s'en persuader il suffit de parcourir les forums et les réseaux sociaux, où les mêmes usagers pratiquent avec bonheur et passion la langue corse et la langue française, citent avec délectation des morceaux choisis dans l'une et l'autre langue, parfois sans autre motivation que celle de faire partager leur émotion esthétique.
À part la célébration de la nouvelle année, quoi de commun entre un poème de Rosemonde Gérard ("Bonne année à toutes les choses") et de Petru Lucciana ("Annu novu eu ti salutu") ? Sans doute le fait qu'il sont cités en 2013 au sein de la même communauté d'internautes corses: on n'imagine pas que cela puisse se produire ailleurs qu'en Corse.
On peut regretter que d'autres langues du répertoire corse aient été laminées par le rouleau compresseur de l'école de Jules Ferry. Si la Corse était restée dans l'orbite italienne, à côté des morceaux précédemment évoqués on aurait pu voir cité tel poème de Gianni Rodari ("L'anno nuovo"). Mais aujourd'hui, pour reprendre l'expression d'une linguiste toscane penchée sur la situation sociolinguistique insulaire, l'italien n'est plus qu'un "écho" en Corse. Au 19e siècle il n'est pas certain que les témoignages sur les bergers corses déclamant les poèmes de l'Arioste soient autre chose qu'une fable (à une époque où les Italiens eux-mêmes étaient en grande majorité analphabètes ou ignorants de la "langue commune").
Aujourd'hui si le "Dio vi salvi Regina" continue d'être chanté, il n'est pas certain que les paroles (altérées dans la prononciation et dans la syntaxe) soient correctement décodées. Et c'est la traduction corse de chants français qui fait son entrée au "Hit parade" ("Hè mezanotte", "Babbucciu natale").
"On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs" pourrait-on observer, cyniquement, pour justifier le règne sans partage du français. Même si on finit par admettre que le plurilinguisme a des avantages indiscutables, et que la revendication d'un meilleur statut pour le corse n'a aucunement pour objectif de porter atteinte aux intérêts de la langue française, à laquelle les insulaires ne cessent de montrer leur attachement, et qui est devenue une seconde nature.
Souvent, en raison d'une hostilité non dissimulée, ou pour des raisons froidement juridiques et constitutionnelles (comme c'est aussi le cas pour les récentes vicissitudes fiscales), la langue corse a jusqu'à présent souffert de discrimination, par les simples effets du contact sinon du conflit entre langue dominante et langue dominée.
Parce qu'il était considéré comme un "dialecte allogène", le corse avait été exclu en 1951 du bénéfice d'une loi pourtant bien timide, qui faisait des "langues régionales" une option facultative au baccalauréat dont ont bénéficié le breton, le basque, le catalan et l'occitan. Il s'agissait bien d'une injustice, d'une rupture du principe d'égalité que le Conseil Contitutionnel n'a pas dénoncé. En raison de la poussée revendicative, la loi a été appliquée à la Corse plus de 20 après. C'est, a-t-on dit, le genre de menus avantages que l'État concède parfois, mais seulement aux langues moribondes...
En 1983, le vote unanime de l'assemblée de Corse en faveur du bilinguisme s'est heurté au refus du gouvernement de la France, dans l'indifférence à peu près générale.
Sans parler de discrimination positive ni d'un rattrapage historique improbable, souhaitons que l'année 2013 marque une réelle avancée dans le statut de la langue historique des Corses, grâce à l'implication du pouvoir politique local, et surtout grâce à la mobilisation populaire.
Jean Chiorboli, Janvier 2013