- Votre proposition de suspendre la session a été retenue. Quelle est votre analyse sur ce qui s’est passé ?
- La solution de sagesse l’a emporté. Dans ce rapport, l’Exécutif ne prend pas véritablement les responsabilités qui lui incombent. Il laisse beaucoup trop d’inconnues, de questions en suspens. Par exemple, la desserte entre les ports corses et le continent alors que la desserte, à travers la Délégation de service public (DSP), doit être précisée entre les ports corses et Marseille ! Ensuite, la desserte ou non de Toulon ? Ce rapport ne prend pas en compte le plafonnement de l’aide qui va être apportée, d’un point de vue local, à la DSP. Il est naturel, si l’Exécutif n’arrive pas avec un rapport suffisamment étayé et susceptible d’être amendé à la marge, que l’Assemblée de Corse reprenne la main, seulement il faut lui laisser le temps.
- Pourquoi n’y-a-t-il pas eu report, comme le demandaient Femu A Corsica et d’autres élus ?
- Reporter un dossier n’est jamais bon, parce qu’il n’y a pas de date fixée. On peut reporter sine die. On aurait pu donner à la Corse une mauvaise image du travail d’une assemblée délibérante, comme est l’Assemblée de Corse. Suspendre la séance, seulement sur ce rapport, permet de nous retrouver vendredi prochain. Entre temps, la Commission du développement économique, éventuellement élargie, va se pencher sur chacun des amendements et demander, si besoin, des expertises. Elle aura le temps nécessaire de venir devant l’Assemblée de Corse et de proposer, à l’Exécutif, l’avis de l’Assemblée sur les amendements, de manière à réécrire le rapport pour qu’il puisse trouver, si ce n’est l’unanimité des conseillers, au moins une majorité susceptible d’y adhérer.
- La journée de jeudi sera consacrée à l’étude des 50 amendements. Sera-t-elle suffisante pour arriver à finaliser un rapport qui tienne la route ?
- Deux jours devraient suffire. La journée de jeudi est réservée aux Commissions, voire une partie de la journée de vendredi, pour un retour en session, vendredi matin ou après-midi. Il appartient à la Commission d’entériner le calendrier. Autant il était impossible d’aboutir à un vote pendant la session, autant en deux journées de travail, si on se concentre sur l’essentiel, un rapport pourra être présenté et adopté.
- Comment expliquez-vous qu’après tant de débats, ce rapport soit si incomplet et truffé d’erreurs, aux dires de nombreux élus ?
- Les critiques ont fusé de l’ensemble de l’Assemblée, y compris des 4 groupes de la majorité. Chaque orateur, qui s’est exprimé au nom de chaque groupe, a bien indiqué à l’Exécutif que le rapport ne convenait pas et qu’il était à amender. A amender sur le fond et non pas sur des problèmes de forme ou d’erreurs matérielles ! Ce qui prouve bien que ce rapport, qui sans doute a été confié à un cabinet d’études, n’a pas du subir les vérifications nécessaires en amont, notamment auprès de l’Office des transports. A vouloir laisser le jeu trop ouvert, on a finalement obtenu un rapport pas assez structuré et qui n’avait pas assez d’ossature pour être pris en compte ! Encore une fois, la sagesse l’a emporté ! Je ne vois pas comment on aurait pu faire autrement pour permettre aux élus d’aller au fond des choses !
- Paul Giacobbi a parlé de reculade et de mauvaise image donnée aux Corses. Que répondez-vous ?
- Je tiens à dire que, jamais sous la précédente mandature, de 2004 à 2010, nous n’avons présenté un rapport aussi incomplet avec des zones d’ombres et des insuffisances. Si nous l’avions fait, nous nous serions attirés les foudres des oppositions de l’époque et ce, bien en amont, notamment par voie de presse, avant même que la session ne démarre ! Ce qui veut dire qu’aujourd’hui, les oppositions de la CTC font preuve de maturité et de responsabilité. Nous ne sommes pas là pour bloquer l’institution, loin s’en faut ! Nous sommes là pour défendre, comme tous les élus territoriaux, les droits élémentaires de la desserte maritime et aérienne de la Corse et la défense des usagers et du service public à travers la DSP, sans pour autant retourner à un monopole dont la Corse a eu à subir les désagréments pendant 25 ans.
- Adopterez-vous le rapport ?
- Nous verrons bien ce que nous ferons en fonction des amendements que nous avons présentés, s’ils sont pris en compte ou non ? Il est certain que, si nos amendements sont pris en compte, nous voterons le rapport.
- Quelle est votre position sur la DSP ?
- Elle est très claire. Il faut une DSP sur Marseille là où, notamment sur le fret, la concurrence ne peut pas jouer. Et une OSP (Obligation de service public) sur Toulon et Nice, sans contrepartie financière, pour permettre aux autres compagnies de pouvoir exercer pleinement leur activité maritime au niveau du transport de passagers, voir éventuellement du fret.
- Vous êtes favorable au service minimum…
- Oui. Je rappelle qu’avec mon collègue Tony Sindali, nous l’avions présenté à l’une des sessions de la CTC sous la précédente mandature. Excepté le groupe de la majorité de l’époque, tous les groupes d’opposition s’y étaient opposés. Aujourd’hui, c’est une idée qui fait son chemin puisque c’est la majorité territoriale actuelle, c’est-à-dire la gauche, qui en fait la proposition, même si, au sein de cette gauche, il y a des divergences.
- On parle aujourd’hui de service garanti. Quelle est la nuance ?
- Je ne m’arrête pas aux mots : service garanti, service minimum, autre possibilité… L’essentiel est que, sans faire obstacle au droit de grève, lorsque manifestement il y a risque de blocage potentiel de l’île, un minimum de service soit garanti pour le transport de fret et des denrées de première nécessité et pour les passagers. Tout cela reste à discuter. Mais, l’idée est fondamentale. Les Corses en ont assez d’être bloqués, depuis des décennies, par des conflits qui échappent la plupart du temps à la desserte de la Corse, des conflits qui prennent naissance ailleurs, de l’autre côté de la Méditerranée. Il est grand temps que tout cela cesse ! Oui au droit de grève qui est constitutionnel, mais Oui aussi au droit pour la Corse, qui est une île, de pouvoir être à minima reliée au continent en cas de grève.
- Que vous inspire la procédure, engagée par Veolia et révélée par Gilles Simeoni, de faire jouer la clause de résolution pour annuler la vente de la SNCM ?
- Lorsqu’en 2005, nous étions à la tête de l’Exécutif, nous avions eu à gérer une situation critique et tout mettre en œuvre pour sauver la SNCM et ses emplois. Nous avions réussi, mais tout évolue. Les circonstances, aujourd’hui, sont différentes. A l’époque, il fallait le faire. Aujourd’hui, force est de constater que des mécanismes nous échappent, notamment cette procédure. En tout état de cause, ce qui compte pour la Corse, au-delà de l’opérateur, c’est l’opération. L’Assemblée de Corse, dans ses compétences, doit se préoccuper, d’abord, de l’opération.
- C’est-à-dire ?
- L’opération, c’est la desserte de l’île. L’opérateur peut être la SNCM, la CMN, la Corsica Ferries ou toute autre compagnie. L’essentiel, pour nous, est d’avoir une desserte de l’île telle que nous la souhaitons avec des opérateurs qui veulent bien intervenir en Corse. Naturellement, je ne souhaite pas la disparition de la SNCM. Je pense que des solutions seront trouvées parce que c’est une entreprise intéressante, qui peut se développer. Aujourd’hui, Veolia veut se désengager car elle veut supprimer sa branche Transports qu’elle considère non rentable, pas seulement la SNCM mais l’ensemble de ses opérations. C’est une réflexion externe, qui nous échappe. Attendons de voir... Quoi qu’il en soit, on ne peut pas reculer le lancement de l’appel d’offres pour attendre que, juridiquement, tout soit réglé au niveau national et communautaire. Il faut lancer la DSP, la mise en concurrence. On verra bien qui soumissionnera.
- Ne craignez-vous pas que la fragilité de l’opérateur ne fragilise l’opération ?
- La fragilité de l’opérateur reste encore à démontrer. Pour l’instant, les navires de la SNCM voguent entre la Corse et le continent. Nous verrons bien, le moment venu. Si un opérateur est défaillant, d’autres opérateurs seront amenés, d’une manière ou d’une autre, à reprendre les lignes entre la Corse et le continent. Mais, je suis persuadé que la SNCM, cette grande entreprise encore détenue à 25% par l’Etat qui a son rôle à jouer, sera au rendez-vous avec d’autres entreprises pour obtenir une partie, au moins, de la desserte de l’île.
Propos recueillis par Nicole MARI