Dominique Yvon et Vincent Carlotti, co-référents d’Anticor pour la Corse, entourés d’adhérents.
- Pourquoi l’association Anticor décide-t-elle de faire une action symbolique, ce 4 aout ?
- Dans la nuit du 4 août 1789, les Constituants ont aboli les privilèges nobiliaires. C’était une évolution fantastique. Ce fut, paraît-il, une nuit exceptionnelle de fraternité. Nous avons voulu, en référence à cet acte fondateur de la République, demander l’abolition de dix nouveaux privilèges qui nous paraissent exorbitants et anormaux.
- Lesquels ?
- Nous pouvons en rappeler au moins deux. Le premier est le train de vie des anciens présidents de la République. Nous demandons qu’il soit complètement aboli. Aujourd’hui, un ancien président coûte environ 1 million € à l’Etat. C’est scandaleux ! Aucun texte n’organise ce traitement exceptionnel et indu ! Le second concerne la Cour de justice de la République dont nous demandons la suppression. Quand un élu ou un ministre commet une faute grave, il ne passe pas, comme vous et moi, devant un tribunal correctionnel, mais devant une Cour constituée par ses pairs, députés et sénateurs. Etre jugé par ses pairs est quelque chose qui ne peut pas exister, à part dans le sport !
- Considérez-vous que cette Cour est anti-démocratique ?
- Oui ! Elle est complètement anti-démocratique ! Nous demandons que tous les élus, y compris le président de la République pour ce qui concerne les actes commis hors de sa qualification de président, soient jugés par les tribunaux comme le sont les citoyens qui commettent un délit. Il n’y a aucune raison réelle qu’ils soient jugés différemment ! On a l’impression que, depuis la fin de la Révolution française, indépendamment des épisodes de la Restauration et de l’Empire, une oligarchie a, peu à peu, sous la République, reconstitué des privilèges indus. Nous demandons de mettre fin à cette oligarchie et de supprimer ces privilèges, aujourd’hui, anormaux, indus, exorbitants et scandaleux.
- A qui vous adressez-vous ?
- Aujourd’hui, dans toutes les régions françaises, Anticor fait la même conférence de presse et lance une pétition nationale. C’est une action publique et générale qui s’adresse aux parlementaires, mais aussi aux citoyens à qui nous demandons de signer la pétition en ligne. Nous leur demandons de nous aider à pousser les parlementaires à se mettre à la hauteur des Constituants de 1789. Nous ne lâcherons pas cette affaire qui nous paraît fondamentale. La démocratie n’est pas irréversible ! Aujourd’hui, elle est en danger !
- Pourquoi ?
- Elle est en danger parce que, de toute évidence, les citoyens n’ont plus confiance dans leur classe politique. L’abstention augmente à chaque élection. C’est catastrophique ! Pour restaurer la confiance, il faut des actes forts et symboliques !
- L’Etat les fera-t-il ?
- Je n’en sais rien ! Je n’ai pas beaucoup d’illusions là-dessus ! L’Etat doit avoir le courage de dire qu’il les fera. En tous cas, nous ne les lâcherons pas ! Aujourd’hui, certains veulent changer la Constitution. C’est un projet très ambitieux. Nous demandons simplement de voter l’abolition de ces dix privilèges. Si les parlementaires avaient le courage de les abolir, cela ne couterait pas un sou à l’Etat, mais rapporterait gros sur le plan politique aux uns, comme aux autres !
- Pourquoi Anticor, créée pour lutter contre la corruption, a-t-elle, soudain, décidé de s’attaquer aux privilèges ?
- Après avoir bien réfléchi à la question, le Conseil d’administration d’Anticor a décidé, tout en continuant à s’occuper de la lutte contre la corruption qui est le cœur de ses préoccupations, d’étendre son champ d’action aux privilèges. Nous ne pouvons plus supporter la corruption, les détournements de fonds publics, les prises illégales d’intérêts… Les privilèges rongent la démocratie ! C’est, donc, un tout. Nous avons décidé d’investir ce champ-là qui nous paraît aussi fondamental que les autres.
- Plus localement, qu’est-ce qui a poussé Anticor a porté trois plaintes contre X en Haute-Corse ?
- La première plainte contre X avec constitution de partie civile, c’est-à-dire que notre avocat a accès à toutes les pièces du dossier et participera au procès, concerne l’affaire dite des gites ruraux. Nous avions constaté que, dans cette affaire, l’ancien procureur et l’ancien juge d’instruction n’avaient pas fait leur travail. Seuls avaient été mis en examen les bénéficiaires supposés des subventions et des lampistes, c’est-à-dire les quelques fonctionnaires en charge de la question. Pratiquement pas d’élus avaient été entendus ou mis en examen. Nous avons dit au procureur que ce ne n’était pas normal ! Il nous a écoutés. Aujourd’hui, le plus haut responsable a été entendu et mis en examen !
- Qu’en tirez-vous comme conclusions ?
- On en tire deux conclusions importantes. D’abord, cette affaire a prouvé que la justice est indépendante ! En tous cas, le procureur de Bastia est indépendant puisqu’il n’a pas subi d’intervention de l’Exécutif national alors qu’un parlementaire de la majorité a été mis en cause. On disait pourtant que Mr Giacobbi était l’ami de Mme Taubira qui n’est pas intervenue. Cela signifie que la justice fonctionne normalement. C’est un très bon point !
- Quel est le deuxième ?
- Le deuxième bon point est que cette affaire a démontré que personne, en Corse, n’est intouchable ! C’est, pour nous, une victoire importante ! Nous sommes des citoyens conscients de notre devoir, qui veulent interpeller les uns et les autres quand nous estimons que les choses ne vont pas comme il faudrait. Le reste, ce n’est pas notre problème ! La justice jugera !
- Estimez-vous qu’en Corse, certaines personnes vivent encore dans l’impunité, en laissant croire à la population qu’elles peuvent tout se permettre ?
- Vous savez comment c’est chez nous ! En tous cas, les gens ont cru que c’était comme ça ! Depuis cette affaire, je suis persuadé que la population commence à se rendre compte que l’Etat n’intervient pas dans les affaires judiciaires. J’espère que le sentiment va se répandre que nul ne peut échapper à la justice, quand il commet un acte qui n’est pas raisonnable ! Nous espérons que les citoyens, à travers ce genre d’affaires, - il y en aura d’autres -, commencent à s’intéresser à ces questions et reprennent le pouvoir qu’ils ont abandonné un peu trop rapidement à des élus.
- C’est-à-dire ?
- Le système de représentation est tel que, pendant cinq ans, on ne demande pas de compte aux élus. Or, il ne suffit pas d’attendre la prochaine élection. Il faut demander des comptes aux élus pendant leur mandat et leur dire là où l’on n’est pas d’accord ! Ce devrait être plus important que tout le reste.
- Où en sont les deux autres plaintes d’Anticor ?
- La deuxième plainte concerne un emploi fictif du groupe PRG du Conseil général de Haute-Corse et est en cours d’instruction. La troisième plainte porte sur des subventions versées à une association qui pose problème. On s’interroge sur son action réelle et sur les sommes importantes qu’elle a reçues. Quand il devenu président du Conseil général, Joseph Castelli a stoppé les subventions en l’absence de rapport justifiant l’utilisation des sommes perçues. Cette affaire donne, actuellement, lieu à une enquête préliminaire déclenchée par notre dépôt de plainte. Soit, elle sera classée, soit elle débouchera sur une instruction judiciaire. Il appartient au procureur d’en décider.
- Comptez-vous déposer d’autres plaintes ?
- Non ! Le fait de porter plainte est, pour Anticor, une façon marginale d’intervenir ! En général, nous intervenons de manière non visible. Quand un justiciable nous alerte sur quelque chose qui nous paraît important, nous saisissons l’autorité, nous écrivons au Préfet… Le recours à la justice est exceptionnel !
- Que pensez-vous du vote de la motion de soutien à Paul Giacobbi ?
- Personnellement, je n’aurais pas voté. J’ai été confronté à cette situation, dans une vie antérieure, quand j’étais conseiller général. Le président du Conseil général de l’époque, François Giacobbi, avait demandé au groupe de la majorité de voter un texte de soutien à un élu de Corse du Sud qui avait été mis en garde à vue dans une affaire grave. Il s’agissait de concussion et de pressions sur un juré d’assises. J’ai refusé de voter. Je ne voterai jamais sur un sujet pareil ! On n’a pas à intervenir dans le champ de la justice ! Les personnes, mises en examen, sont présumées innocentes, il faut laisser la justice suivre son cours. Il est anormal d’intervenir ! Les citoyens ont le droit de savoir ! Surtout quand il s’agit d’argent public !
- Les commentaires du président du Conseil départemental de Haute-Corse, François Orlandi, sur une procédure judiciaire en cours, vous ont-ils choqué ?
- J’aurais préféré que le Conseil départemental porte plainte contre X parce qu’il a été spolié. C’est, après tout, la principale victime ! De l’argent lui a, semble-t-il, été piqué indument ! Ensuite, penser ou laisser penser que deux juges et un procureur auraient comploté contre un élu ! Franchement, ce n’est pas sérieux !
- Le niveau de corruption est-il plus élevé dans l’île que sur le continent ?
- Non ! La Corse n’est pas plus corrompue que les autres régions. C’est plutôt la France qui a un niveau de corruption qui nous préoccupe. Elle est classée au 25ème rang sur la liste des Etats. C’est énorme, anormal ! Il aurait fallu qu’elle soit dans les trois ou quatre premiers, comme les pays nordiques. Anticor a été créée en 2001 par Mme Séverine Tessier et le juge Halphen lors de l’émergence du Front national qui disait : « Les élus sont tous pourris ! ». Non, ils ne le sont pas tous ! Dans un panier de pommes, deux pommes pourries contaminent tout le panier. Nous, nous voulons extraire les deux pommes pourries pour, justement, préserver celles qui ne le sont pas.
- Y-a-t-il beaucoup d’élus corrompus ?
- La vérité, c’est qu’il y a très peu d’élus qui commettent des exactions, mais, quand ils les commettent, ils donnent, surtout quand ils occupent une place importante, une image déplorable de la politique et de la démocratie ! Cela corrompt la démocratie ! Il ne faut pas oublier que la démocratie est un bien précieux, que des gens sont morts sur les barricades pour la préserver. La seule façon de la préserver et de restaurer cette image est d’utiliser tous les moyens à notre disposition. La justice en est un ! C’est aussi simple que ça !
- Qu’est-ce qui vous préoccupe particulièrement en Corse ?
- Comme partout ailleurs, la corruption génère, à notre avis, des déviances de la démocratie et des comportements aberrants de la population. Le fait d’être persuadé qu’il y a des gens, qui ne répondront jamais de leurs actes devant la justice, tort complètement le vote ! Si quelqu’un est réputé intouchable, on va vers lui et on le vote. C’est normal, mais ce n’est pas sain ! Savoir que personne n’est intouchable nous rend plus libre vis-à-vis de l’acte démocratique qui consiste à confier, à un élu, des responsabilités.
- Pensez-vous que la corruption est trop tolérée ?
- Elle l’est encore beaucoup trop ! On ne peut pas accepter de laisser faire n’importe quoi avec l’argent public. Dans les pays du Nord de l’Europe, on voit à quel point l’argent public est respecté ! Un jour, en Norvège, une ministre achetait des couche-culotte pour sa petite-fille dans un supermarché. Elle avait oublié sa carte bleue et a payé avec celle du ministère, elle a du rendre des comptes ! C’est peut-être un peu trop ! Mais de là, à faire n’importe quoi ! Je suis pour un système qui respecte les citoyens. Pour les respecter, il faut utiliser avec beaucoup plus de discernement l’argent qu’ils vous confient. Quand vous confiez de l’argent à un banquier, s’il vous vole, vous n’êtes pas content, vous réagissez ! Vous devez avoir la même réaction quand un élu détourne l’argent de vos impôts !
- Un pouvoir nécessite un contre-pouvoir. Ce dernier est-il, selon vous, trop faible en Corse ?
- Il n’y a pas de contre-pouvoir ! En Corse, il n’y a pratiquement pas d’opinion publique ! Comment se fait-il que l’on arrive à emmener 30 000 personnes voir un match du Sporting à Paris, alors que ça coute de l’argent, mais qu’on n’arrive pas à faire défiler 10 000 personnes à Bastia contre la corruption, qu’on n’est pas capable de mobiliser pour dire : « ça suffit ! » ? Et pourtant, c’est bien plus important ! Cela pose un problème d’éthique. L’action d’Anticor est plus tournée vers les citoyens que vers les exactions. Nous voulons mobiliser la population.
- Quel appel lancez-vous à la population ?
- « Venez adhérer à Anticor ! ». Nous sommes 1200 adhérents en France et presque une cinquantaine en Corse. Ce n’est pas si mal, rapporté à la population ! C’est un acte fort d’adhérer. Nous disons aux citoyens : « Venez travaillez avec nous, venez vous occuper de vos affaires ! ». Les citoyens sont obligés de déléguer aux élus, mais ce n’est pas une raison pour les laisser faire n’importe quoi pendant des années ! Quand un élu d’une collectivité constate ce qui a été constaté au Conseil général de Haute-Corse, c’est à lui de réagir. Ce n’est pas normal que ce soit Anticor qui aille en justice ! Pourquoi les élus, ceux de la majorité et ceux de l’opposition, n’ont-ils pas réagi ? Je ne trouve pas ça normal !
Propos recueillis par Nicole MARI
La pétition est mise en ligne sur le site : www.change.org à l’adresse suivante :
https://www.change.org/p/pouvoir-exécutif-pouvoir-législatif-pour-une-nouvelle-abolition-des-privilèges?recruiter=55333494&utm_source=share_petition&utm_medium=copylink