Jean-Guy Talamoni est intervenu dans le cadre d'une conférence au siège de l'ONU à New-York le 20 juin dernier (Crédit photo : Facebook Nazione)
- Le 20 juin dernier, vous êtes intervenu dans le cadre d’une conférence intitulée « vers l’indépendance et les libertés fondamentales : le rôle du C-24 dans la fin du colonialisme » au siège de l'ONU à New-York. Quel était l’objectif de ce déplacement ?
- Nous avions déjà participé à des conférences importantes au siège de l'ONU à Genève à la fin de l’année dernière, et puis, au printemps, au siège de l'ONU à Vienne. Cette tournée s'est donc conclue au siège principal, à New York, fin juin. Au cours de ces différentes conférences, nous avons pu être entendus par des dizaines d'États représentés par leurs ambassadeurs. De façon très concrète, le but est d'obtenir l'inscription de la Corse sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser de l'Organisation des Nations Unies (ONU). C'est une liste sur laquelle sont déjà inscrits des territoires qui sont sous tutelle française, notamment la Nouvelle Calédonie et la Polynésie française qui a été réinscrite il y a une dizaine d'années. Nous nous sommes d'ailleurs inspirés de la procédure qui avait été lancée par la Polynésie. Le Tavini, qui est le parti indépendantiste actuellement au pouvoir, avait commencé par demander un vote de l'Assemblée de Polynésie française. De la même manière, notre élue, Josepha Giacometti-Piredda, a déposé une motion au début de l’année afin que l’Assemblée de Corse demande officiellement l'inscription de la Corse sur la liste des territoires à décoloniser. Mais cette demande a été renvoyée en commission. Manifestement, la majorité actuelle n’est pas trop pressée de la faire venir en séance publique.
- Quel est l’intérêt de faire inscrire la Corse sur cette liste des territoires à décoloniser ?
- C'est un moyen de saisir l'opinion internationale, d'internationaliser la question Corse, et de ne pas rester dans un à tête étouffant avec Paris. À partir du moment où on est inscrit sur cette liste, l'ONU se préoccupe de ce qui se passe dans le pays. Il est évident que la France n'a pas du tout envie et n'a aucun intérêt politique à ce que la Corse soit inscrite sur cette liste, d'ailleurs, elle a fait tout ce qu'elle a pu pour empêcher l'inscription de la Polynésie française, mais elle a échoué. De notre côté, nous avons besoin de soutiens internationaux, c'est la raison pour laquelle nous avons parlé à des dizaines d'ambassadeurs que nous avons rencontrés. Et notre discours a été reçu de manière très positive par beaucoup de pays. Bien entendu, pas par les pays de l'Union Européenne, qui sont solidaires de la France, mais, en revanche, notamment par les pays qui font partie du mouvement des non-alignés - qui est l'organisation historique pour la décolonisation - qui voient notre démarche avec beaucoup de bienveillance.
- Quels sont les arguments que vous avez présentés pour justifier cette démarche ?
- Nous avons essayé de faire les choses de manière consciencieuse et scientifique, c'est-à-dire que nous sommes fondés sur la littérature et nous avons travaillé sur une argumentation qui soit conforme à ce que l'on considère, au sein dans les universités à l'échelle planétaire, comme une situation coloniale. Tout d’abord du point de vue de la question militaire, la Corse a été annexée par les armes et elle sert aujourd’hui de poste avancé, notamment avec Solenzara, mais aussi avec d'autres formes de présence militaire française. Or, le fait de se servir de colonies comme point d'appui pour des démarches militaires est véritablement un grand classique de la colonisation. Ensuite, nous avons abordé la question démographique qui est tout à fait essentielle lorsque l'on parle de colonisation de peuplement. On a évidemment cité les chiffres, y compris ceux de l'INSEE, sur le nombre d'arrivants en Corse chaque année. Cela n’est pas nouveau : on se souvient du fameux rapport de l’Hudson Institute au début des années 1970 qui avait été commandé par l'administration française, et qui avait retenu le scénario le plus défavorable à la Corse, à savoir le fait d'accélérer l'arrivée de non-Corses pour noyer la culture corse et donc le problème corse. Nous avons aussi abordé la question culturelle, notamment linguistique : la Corse a été francisée à marche forcée dès le XIXᵉ siècle et nous sommes passés d'un monde culturel italien à un monde culturel français, avec tout ce que cela a représenté à l'époque comme traumatisme. Le fait d'imposer la langue de la puissance dominante est aussi un grand classique de la colonisation. Nous avons également traité la question économique, puisqu'on voit bien que l'économie de la Corse, comme dans toute situation coloniale, a été déterminée exclusivement à partir des intérêts de la puissance dominante. Par ailleurs, nous avons expliqué que la Corse n'a jamais eu les moyens de se déterminer politiquement, puisque toutes les décisions politiques sont prises à Paris, même lorsque les Corses votent à la majorité absolue, comme ça a été le cas en 2017, pour une liste officiellement nationaliste. Paris a effectué un véritable déni de démocratie en ne prenant aucunement en compte ce vote qui aurait dû conduire logiquement à reconsidérer les relations entre Corse et la France. Cette hétéronomie, qui est exactement le contraire de l'autonomie, est une grande caractéristique de la colonisation. Nous avons exposé longuement tout cela devant les ambassadeurs des différents pays que nous avons eus comme interlocuteurs. Je crois que notre message est bien passé parce qu'il est quasiment impossible d'argumenter en sens inverse, de contester ces points, sauf à être une mauvaise foi totale.
- Cette démarche que vous avez entreprise s'inscrit aussi dans le processus de décolonisation mené par Groupe d'Initiative de Bakou. Quel est l'intérêt pour Nazione de faire partie de ce groupe ?
- Le Groupe d'Initiative de Bakou a été créé dans le cadre du mouvement des non-alignés. À l'époque où cette démarche a été lancée, il se trouve que l'Azerbaïdjan détenait la présidence tournante du mouvement des non-alignés. C'est la raison pour laquelle ce groupe a été lancé à Bakou. S'agissant uniquement des peuples sous tutelle française, dans ce groupe d'initiatives toutes les organisations principales sont représentées : le Tavini, qui est le parti au pouvoir en Polynésie française, le Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS), le Parti pour la Libération de la Martinique (PALIMA), le Mouvement de Décolonisation et d’Émancipation Sociale (MDES) dont fait partie le député Castor, l’Union Populaire pour la Libération de la Guadeloupe… Ce sont des organisations très importantes historiquement, qui ont pesé énormément et qui pèsent encore beaucoup dans leur pays respectif, et plus que jamais d'ailleurs, puisque beaucoup sont au pouvoir. En résumé, le groupe d'initiatives de Bakou, regroupe toutes les organisations importantes des peuples sous tutelle française.
- Nous avions déjà participé à des conférences importantes au siège de l'ONU à Genève à la fin de l’année dernière, et puis, au printemps, au siège de l'ONU à Vienne. Cette tournée s'est donc conclue au siège principal, à New York, fin juin. Au cours de ces différentes conférences, nous avons pu être entendus par des dizaines d'États représentés par leurs ambassadeurs. De façon très concrète, le but est d'obtenir l'inscription de la Corse sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser de l'Organisation des Nations Unies (ONU). C'est une liste sur laquelle sont déjà inscrits des territoires qui sont sous tutelle française, notamment la Nouvelle Calédonie et la Polynésie française qui a été réinscrite il y a une dizaine d'années. Nous nous sommes d'ailleurs inspirés de la procédure qui avait été lancée par la Polynésie. Le Tavini, qui est le parti indépendantiste actuellement au pouvoir, avait commencé par demander un vote de l'Assemblée de Polynésie française. De la même manière, notre élue, Josepha Giacometti-Piredda, a déposé une motion au début de l’année afin que l’Assemblée de Corse demande officiellement l'inscription de la Corse sur la liste des territoires à décoloniser. Mais cette demande a été renvoyée en commission. Manifestement, la majorité actuelle n’est pas trop pressée de la faire venir en séance publique.
- Quel est l’intérêt de faire inscrire la Corse sur cette liste des territoires à décoloniser ?
- C'est un moyen de saisir l'opinion internationale, d'internationaliser la question Corse, et de ne pas rester dans un à tête étouffant avec Paris. À partir du moment où on est inscrit sur cette liste, l'ONU se préoccupe de ce qui se passe dans le pays. Il est évident que la France n'a pas du tout envie et n'a aucun intérêt politique à ce que la Corse soit inscrite sur cette liste, d'ailleurs, elle a fait tout ce qu'elle a pu pour empêcher l'inscription de la Polynésie française, mais elle a échoué. De notre côté, nous avons besoin de soutiens internationaux, c'est la raison pour laquelle nous avons parlé à des dizaines d'ambassadeurs que nous avons rencontrés. Et notre discours a été reçu de manière très positive par beaucoup de pays. Bien entendu, pas par les pays de l'Union Européenne, qui sont solidaires de la France, mais, en revanche, notamment par les pays qui font partie du mouvement des non-alignés - qui est l'organisation historique pour la décolonisation - qui voient notre démarche avec beaucoup de bienveillance.
- Quels sont les arguments que vous avez présentés pour justifier cette démarche ?
- Nous avons essayé de faire les choses de manière consciencieuse et scientifique, c'est-à-dire que nous sommes fondés sur la littérature et nous avons travaillé sur une argumentation qui soit conforme à ce que l'on considère, au sein dans les universités à l'échelle planétaire, comme une situation coloniale. Tout d’abord du point de vue de la question militaire, la Corse a été annexée par les armes et elle sert aujourd’hui de poste avancé, notamment avec Solenzara, mais aussi avec d'autres formes de présence militaire française. Or, le fait de se servir de colonies comme point d'appui pour des démarches militaires est véritablement un grand classique de la colonisation. Ensuite, nous avons abordé la question démographique qui est tout à fait essentielle lorsque l'on parle de colonisation de peuplement. On a évidemment cité les chiffres, y compris ceux de l'INSEE, sur le nombre d'arrivants en Corse chaque année. Cela n’est pas nouveau : on se souvient du fameux rapport de l’Hudson Institute au début des années 1970 qui avait été commandé par l'administration française, et qui avait retenu le scénario le plus défavorable à la Corse, à savoir le fait d'accélérer l'arrivée de non-Corses pour noyer la culture corse et donc le problème corse. Nous avons aussi abordé la question culturelle, notamment linguistique : la Corse a été francisée à marche forcée dès le XIXᵉ siècle et nous sommes passés d'un monde culturel italien à un monde culturel français, avec tout ce que cela a représenté à l'époque comme traumatisme. Le fait d'imposer la langue de la puissance dominante est aussi un grand classique de la colonisation. Nous avons également traité la question économique, puisqu'on voit bien que l'économie de la Corse, comme dans toute situation coloniale, a été déterminée exclusivement à partir des intérêts de la puissance dominante. Par ailleurs, nous avons expliqué que la Corse n'a jamais eu les moyens de se déterminer politiquement, puisque toutes les décisions politiques sont prises à Paris, même lorsque les Corses votent à la majorité absolue, comme ça a été le cas en 2017, pour une liste officiellement nationaliste. Paris a effectué un véritable déni de démocratie en ne prenant aucunement en compte ce vote qui aurait dû conduire logiquement à reconsidérer les relations entre Corse et la France. Cette hétéronomie, qui est exactement le contraire de l'autonomie, est une grande caractéristique de la colonisation. Nous avons exposé longuement tout cela devant les ambassadeurs des différents pays que nous avons eus comme interlocuteurs. Je crois que notre message est bien passé parce qu'il est quasiment impossible d'argumenter en sens inverse, de contester ces points, sauf à être une mauvaise foi totale.
- Cette démarche que vous avez entreprise s'inscrit aussi dans le processus de décolonisation mené par Groupe d'Initiative de Bakou. Quel est l'intérêt pour Nazione de faire partie de ce groupe ?
- Le Groupe d'Initiative de Bakou a été créé dans le cadre du mouvement des non-alignés. À l'époque où cette démarche a été lancée, il se trouve que l'Azerbaïdjan détenait la présidence tournante du mouvement des non-alignés. C'est la raison pour laquelle ce groupe a été lancé à Bakou. S'agissant uniquement des peuples sous tutelle française, dans ce groupe d'initiatives toutes les organisations principales sont représentées : le Tavini, qui est le parti au pouvoir en Polynésie française, le Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS), le Parti pour la Libération de la Martinique (PALIMA), le Mouvement de Décolonisation et d’Émancipation Sociale (MDES) dont fait partie le député Castor, l’Union Populaire pour la Libération de la Guadeloupe… Ce sont des organisations très importantes historiquement, qui ont pesé énormément et qui pèsent encore beaucoup dans leur pays respectif, et plus que jamais d'ailleurs, puisque beaucoup sont au pouvoir. En résumé, le groupe d'initiatives de Bakou, regroupe toutes les organisations importantes des peuples sous tutelle française.