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Bombyx disparate, le ravageur qui met les chênaies de Corse à nu


Rose Casado le Mercredi 12 Juin 2024 à 07:40

Depuis quelques jours, des centaines de chênaies complètement défeuillées sont observées, notamment sur les communes de Castiglione, Prato di Giovellina, Popolasca, Moltifao, Piedigriggio et Aiti. Mais pas seulement. La proche région bastiaise est, elle aussi, affectée par la prolifération du Bombyx disparate, insecte ravageur, présent par millions sur l'île, qui s'attaque et se nourrit des feuilles de nombreuses essences d'arbres.



Le bombyx disparate observé sur les hauteurs de San Martino di Lota et Ville-diPietrabugno (@cni)
Le bombyx disparate observé sur les hauteurs de San Martino di Lota et Ville-diPietrabugno (@cni)
Des parcelles de chênaies semblent avoir été incendiées. En effet, depuis plusieurs jours, riverains et agriculteurs observent des arbres totalement défeuillés, notamment sur les communes de Castiglione, Prato di Giovellina, Popolasca, Moltifao, Piedigriggio et Aiti. Aujourd'hui San Martino di Lota et Ville-di-Pietrabugno (nos images)  sont également affectées par le phénomène.
La responsable ? Une espèce de chenille, appelée Bombyx disparate, qui prolifère par millions, et qui se nourrit de feuilles, laissant ces fagacées nues. « Cette manifestation est appelée gradation », explique Marie-Cécile Andrei-Ruiz, responsable de l'observatoire-conservatoire des invertébrés de Corse à l'office de l'environnement.

En effet, tous les 40 ans environ, « en haute altitude », cette espèce non urticante « pullule » dans les montagnes, notamment en Corse, et mange les feuilles des arbres - à l’exception des figuiers et des oliviers. Ces dernières constituent l’intégralité de leur alimentation. « Il s’est passé quelque chose, qui a déclenché des pontes importantes », estime-t-elle, alors que le changement climatique est un facteur aggravant face à ce phénomène. « C’est comme si la machine s’était emballée ».
Présent sur le territoire depuis des centaines d’années, le Bombyx disparate se met tout à coup à pondre de manière abondante, surprenant alors habitants et exploitants agricoles l’année suivante. « Le surnom de ce papillon est ‘la spongieuse’. Pour camoufler son nid, la femelle s’arrache les poils du ventre et les colles sur ses œufs », poursuit l’entomologiste. Ainsi, détecter sa présence reste difficile en amont.

À plus basse altitude, la gradation des chenilles apparaît plus fréquemment, constate Marie-Cécile Andrei-Ruiz. « À Porto-Vecchio, notamment, les habitants connaissent mieux le sujet, parce qu’ils y sont confrontés de manière plus régulière, tous les 20 ans environ. C’est une conséquence directe du réchauffement climatique », pointe-t-elle.
Et de se remémorer : « Dans les années 2000, je me souviens que des campings du sud de l’île avaient même été contraints de fermer leurs portes. Les chenilles se comptaient par millions, les vacanciers glissaient dessus… C’était vraiment impressionnant à voir. »

Un dérèglement du cycle de vie des arbres

Sur les hauteurs de San Martino et Ville-di-Pietrabugno (@cni)
Sur les hauteurs de San Martino et Ville-di-Pietrabugno (@cni)
Cette prolifération, qui dure « entre deux et quatre ans », n’en demeure pas moins « impressionnante ». Mais surtout, elle peut s’avérer problématique pour le cycle de vie des arbres. Car si la présence des chenilles bombyx disparate ne comporte pas de risque sanitaire, sa prolifération peut avoir des conséquences sur les arbres qu’elles colonisent. Et pour cause, « les chenilles mangent tout ce qu’il y a à leur disposition, et donc, les feuilles des chênes », assure Marie-Cécile Andrei-Ruiz.
 
Ainsi, après avoir été totalement défeuillés au printemps, les arbres produisent de nouvelles feuilles, au début de l’été. Mais l’énergie que ce processus leur demande ne leur permet plus de produire des glands la saison suivante, pourtant indispensable à la nourriture de plusieurs espèces animales.

C’est précisément cette absence de fruits qui alerte les agriculteurs. Les éleveurs de brebis, notamment, craignent que la carence en akènes ait des conséquences sur la production de lait de leurs bêtes.

« La nature est bien faite »

(@cni)
(@cni)
Cependant, « la nature est bien faite », pondère la responsable de l'observatoire-conservatoire des invertébrés de Corse, puisque les arbres garderont leurs nouvelles feuilles jusqu’à l’année suivante. « S’il reste de jeunes chenilles, elles ne pourront pas manger ces feuilles, car elles seront plus épaisses que les très jeunes qui devaient être présentes normalement », développe-t-elle. Une manière d’éradiquer les derniers Bombyx disparate encore présents.

Ce à quoi s’ajoute la présence des prédateurs et des parasites, qui se multiplient d’une année sur l’autre, afin de venir à bout des chenilles du Bombyx disparate. « Il faut laisser le temps à l’environnement de s’adapter », assure Marie-Cécile Andrei-Ruiz. Car, selon son expérience, « mettre en place des traitements biologiques est vain ». « Nous avons établi des protocoles. Mais même si nous avons diminué la quantité, nous n’avons pas pu les éradiquer. Dès que l’on arrête le traitement, la gradation repart », assure-t-elle.
Proliférant d’avril à juin, un retour à la normale peut être espéré d’ici le début du mois de juillet.

(@cni)
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