Perchée entre montagne et mer, la silhouette dégradée de l’ancienne usine d’amiante de Canari témoigne d’un passé industriel qui pèse encore lourd sur le paysage et la mémoire du Cap Corse. Exploitée de 1948 à 1965 par la Société Minière de l’Amiante (SMA), cette infrastructure a transformé pendant près de vingt ans les fibres extraites du site voisin, avant d’être abandonnée sans remise en état. Soixante ans plus tard, les autorités préparent enfin une opération exceptionnelle : la démolition complète de l’usine principale et de ses annexes.
Un chantier à haut risque, prévu de septembre 2025 à mai 2026, pour lequel l’État, via l’ADEME, investit 6,9 millions d’euros sur un budget total de près de 32 millions. Selon la préfecture de Haute-Corse, il s'agit d'un chantier complexe, situé en hauteur, sur un site instable, touché par une pollution connue, celle de l'amiante. L’ensemble des services de l’État, les collectivités et les mairies concernées sont impliqués dans l’opération. Depuis 2008, plus de 31,9 millions d’euros ont été mobilisés pour sécuriser le site : 2,1 millions pour la surveillance, 2,4 millions pour les études techniques, 20,5 millions pour les travaux de stabilisation de la carrière, et 6,9 millions pour la démolition à venir.
Démolir sans contaminer
Les enjeux sont sanitaires, écologiques, techniques. Le site, en pente, surplombe directement la RT 80 et la mer Tyrrhénienne. Des éboulements de matériaux amiantés ont été recensés ces dernières années. L’objectif est clair : démolir sans remettre en circulation des fibres dangereuses. Trois bâtiments industriels sont concernés : l’usine principale, le local électrique et le concasseur. Leur désamiantage et leur démolition seront réalisés par des entreprises certifiées, sous des protocoles stricts. L’usage de cabines pressurisées, de brumisation continue et d’un phasage millimétré sont prévus pour limiter les émissions. « Il ne doit y avoir aucun impact mesurable en zone habitée. C’est notre ligne rouge », indique l’ADEME.
Un réseau de dix points de surveillance a été installé, dans les villages environnants et le long de la RT 80. Les capteurs mesurent l’empoussièrement en fibres d’amiante dans l’air. Jusqu’ici, 98,5 % des prélèvements affichent un taux nul, bien en dessous du seuil réglementaire fixé à 5 fibres par litre. Un système de gestion de l’eau est également prévu : les eaux de ruissellement seront récupérées, stockées, filtrées et contrôlées avant tout rejet. Ce dispositif vise à prévenir toute dispersion dans l’environnement pendant les travaux.
Un chantier préparé depuis quinze ans
Avant d’envisager la démolition, il a fallu sécuriser. Depuis 2009, l’ADEME a investi dans la stabilisation mécanique du site : enrochements, filets pare-blocs, pistes d’accès, confortement des talus. La surveillance de la qualité de l’air a été mise en place dès 2010, avec des stations de mesure permanentes dans les zones d’habitation voisines. Aucun dépassement significatif des seuils réglementaires n’a été enregistré jusqu’ici. Ces dernières années, les équipes ont également mené des purges de matériaux, le curage des réservoirs, la consolidation de certaines structures et même la végétalisation expérimentale de zones instables.
Le calendrier prévoit une prise en main du site par le groupement d’entreprises en février 2025, suivie d’études techniques et de sécurisation géotechnique jusqu’en septembre. La démolition se fera en plusieurs phases : d’abord le local électrique, puis le concasseur, et enfin l’usine principale. Les opérations de renaturation du site se poursuivront jusqu’à l’été 2026.
La phase active de démolition débutera à la fin de l’été 2025. Elle mobilisera une cinquantaine de personnes, avec des opérations concentrées sur huit mois. La RT 80 sera impactée sur un tronçon de 400 mètres, avec circulation alternée pendant une partie du chantier, et dix nuits de coupure totale prévues entre janvier et février 2026. Parallèlement, un réseau de surveillance renforcée sera déployé sur et autour du site : dix points de mesure de l’empoussièrement, contrôlés pendant toute la durée des travaux puis pendant un an après la fin du chantier. Un référent unique sera désigné auprès des services de secours, et des réunions de coordination avec les pompiers sont prévues avant l’été 2025 pour organiser les modalités d’intervention en cas d’incident. Afin de renforcer l’acceptabilité locale, 15 % du marché sont réservés à des entreprises corses, pour des prestations de gardiennage, transport, hébergement, restauration ou fourniture de carburants.
Les dates-clés du chantier de Canari
1850 : Premières prospections
1948 : Début de l’exploitation par la Société Minière de l’Amiante (SMA)
1965 : Abandon du site
1998 : L’ADEME est missionnée – Études préalables
2000 : Sécurisation sanitaire des travaux – Consultation des entreprises
2005 : Calage du programme des travaux
2005 à 2022 : Stabilisation mécanique des terrains & Surveillance/Maintenance
2022 : Nouvelles études préalables en vue de la démolition
2023 : Consultation et choix des entreprises
2024 : Études et travaux préparatoires
2025 : Lancement du chantier de démolition
2026 : Fin prévue de la démolition – Juin 2026
Un site qui restera fermé
Une fois la démolition achevée, le site de Canari restera interdit au public, du fait de la persistance de matériaux enfouis. Des travaux d’entretien et de surveillance continueront d’être nécessaires à long terme. Pour autant, la question de la mémoire du lieu n’est pas écartée. Une réflexion est en cours, avec les communes concernées, sur un éventuel projet artistique ou patrimonial autour du site, sans remise en cause de son inaccessibilité.
L’objectif affiché par les autorités est de réduire les risques, répondre à l’attente des habitants, et traiter un passif environnemental majeur.