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France 3 diffuse "Vendetta", un documentaire sur la mafia en Corse : "Beaucoup de gens ont refusé de nous parler"


le Mardi 18 Mars 2025 à 10:13

Ce mercredi 19 mars, à 21 h 10, France 3 diffuse "Vendetta", une série-documentaire en trois épisodes sur les dérives mafieuses en Corse. Un travail qui fait suite au livre éponyme, écrit par les journalistes Violette Lazard et Marion Galland en 2020. Journaliste au Nouvel Obs, Violette Lazard s'est associée cette fois au réalisateur de film de l'agence Capa, Philippe Lagnier. Ils se sont rendus trois fois en Corse, tourner ce documentaire durant l'hiver 2022-2023. Le montage s'est terminé à la fin 2023, mais décision a été prise de ne le diffuser qu'après le procès du double assassinat de Poretta, qui s'est conclu en juin dernier. Pour "Corse Net infos", Violette Lazard revient sur la réalisation de ce documentaire et porte un regard actualisé sur la lutte contre la mafia en Corse.



Crédit photo France 3
Crédit photo France 3
En 2020, vous aviez publié « Vendetta » (co-écrit avec Marion Galland et publié aux éditions Plon), un livre-enquête dans lequel vous vous étiez intéressées au double assassinat de Poretta du 5 décembre 2017. Cinq ans plus tard, avec cette série-documentaire, on a le sentiment que votre but est d’abord d’informer l’ensemble de la société française des dérives mafieuses en Corse, avant d’approfondir vos investigations précédentes.
Violette Lazard : « Oui, avec un documentaire, on va forcément toucher un public plus large, moins averti et moins rompu aux arcanes de la criminalité et de la mafia corse. Effectivement, l’objectif premier était de s’adresser au plus grand nombre pour alerter les gens sur l’existence de cette criminalité insulaire, qui est assez mal connue. Or, si les phénomènes ne sont pas connus, il est impossible de lutter contre. Ca résonne grandement avec l’actualité en lien avec le narcotrafic dans le sud de la France. On voit qu’il y a des schémas similaires pour toutes les organisations mafieuses. Donc informer sur l’existence de cette mafia en Corse, c’est aussi attirer l’attention sur ce qui se passe aujourd’hui et montrer à quel point la menace est présente et grave. »

Comment avez-vous travaillé avec Philippe Lagnier pour construire cette série documentaire ?
Faire de l’image, ce n’est pas mon métier à l’origine. Philippe, oui. Mais il était complètement novice sur le sujet de la criminalité en Corse. Donc on a mis nos savoirs en commun. Ca reste un travail d’investigation et de recherche pour trouver les bons interlocuteurs, les convaincre de parler, puis s’est ajouté un gros travail d’illustration, de recherches d’archives personnelles ou de télé. 

Avez-vous été confrontés à des réticences ?
Oui, beaucoup de gens ont refusé de nous parler ou de coopérer avec nous. Et sur place, il y a des endroits qu’on nous avait déconseillé de filmer. Certains villages notamment. C’était quand même très compliqué. On s’est même demandé si on ne ferait pas mieux de trouver une autre idée de documentaire ! Mais on n’avait pas envie de laisser tomber. Je pars du principe qu’aucun sujet n’est infaisable. Nous voulions faire prendre conscience de ce phénomène mafieux, montrer que ce ne sont pas des fantasmes. 

Comment expliquez-vous qu’aujourd’hui, dans votre carrière de journaliste, vous ayez consacré autant d’énergie à écrire et tourner sur la problématique mafieuse en Corse ?
Quand j’ai commencé à m’y intéresser, c’était un peu avant le double assassinat de Poretta. Je crois que je ne me rendais pas bien compte de l’ampleur du phénomène. Je m’en suis rendu compte au fur et à mesure. C’est un sujet qui était complètement sous-traité dans la presse généralisée, alors que la Corse, c’est le territoire français. J’ai eu le sentiment qu’il fallait absolument dire ce qui s’y passait, pour aider à libérer la parole. La Brise de mer n’avait jamais vraiment été racontée comme un fait historique, ça devenait presque une légende. Or, ce ne sont pas simplement des braqueurs qui ont réussi le casse de l’UBS. C’est aussi une bande de grands bandits qui ont mis la main sur l’économie de la Corse, qui avaient des relais jusqu’au plus haut sommet de l’État, qui ont terrorisé une partie de la population. Ca méritait d’être dit, comme de pointer du doigt le rôle de l’État qui est responsable de cette réalité pour n’avoir d’abord rien vu, puis n’avoir rien fait.

Le 8 mars, près de 3 000 personnes se sont réunies à Ajaccio pour défiler contre la mafia. Comment expliquez-vous cette mobilisation de la société corse, elle qui est restée si longtemps silencieuse ?
Est-ce qu’elle est vraiment restée si longtemps silencieuse ? Quand on se se penche dans les archives des journaux, on se rend compte qu’il y a eu plusieurs mouvements de protestation quand même. La population n’est pas restée passive, il y a eu des réveils. Le problème, c’est que ces réveils ne se sont pas accompagnés de mesures répressives, d’enquêtes à la hauteur du phénomène. Et à chaque fois, on a eu l’impression que ça s’est essoufflé. La question aujourd’hui, c’est de savoir sur quoi cette mobilisation va déboucher. La justice seule ne peut rien faire, la police seule ne peut rien faire, mais la seule prise de conscience de la population, portée par des collectifs anti-mafia, ne suffit pas non plus. Il faut qu’il y ait une conjonction de toutes ces forces, et que ça s’accompagne d’un projet politique, d’un projet de société et d’un projet économique. 

Trois mille personnes qui défilent contre la mafia en Corse, cela vous semble beaucoup ou peu ?
Quand on voit les tragédies qui se multiplient en Corse, je me dis que c’est peu. Mais on ne peut ignorer toutes les pressions qui peuvent peser en Corse, les intimidations… Ce n'est pas évident de descendre dans la rue manifester. Donc on peut dire que c’est un bon début. 

Vous parliez de la responsabilité de l’État. Durant le défilé, on a vu le préfet de Corse, Jérôme Filippini, s’emparer du mégaphone. Selon vous, est-ce que quelque chose est en train de changer dans le positionnement de l’État face aux dérives mafieuses en Corse ?
Oui. La dernière fois qu’un homme politique avait parlé de mafia en Corse, c’était Manuel Valls après la mort d’Antoine Sollacaro (l’avocat avait été tué à Ajaccio le 16 octobre 2012, NDLR). Depuis, il n’y avait pas eu de prise de parole vraiment puissante de la part de l’État sur ce phénomène. Donc, Gérald Darmanin qui vient à l’Assemblée de Corse parler de la mafia, puis le préfet qui prend la parole lors d’une manifestation anti-mafia, ce sont des prises de conscience et une reconnaissance sans précédent de la gravité du phénomène. Jusqu’à maintenant, les politiques parlaient de voyous, éventuellement de grand banditisme, mais pour des cas isolés. On les entendait peu évoquer le caractère organisé de cette criminalité. 


 

Cette série documentaire est une commande du producteur de l’agence Capa, Patrice Lorton. Il a réuni Violette Lazard, co-autrice de « Vendetta », et le réalisateur Philippe Lagnier, salarié de l’agence Capa, qui n’avait jamais travaillé en Corse. Se définissant comme « éclectique », Philippe Lagnier est un spécialiste de la Russie, pour y avoir vécu près de dix ans dans les années 90. Il a récemment réalisé « Ukraine, l’enfance volée », un documentaire sur les enfants ukrainiens traumatisés par la guerre. Ce qui l’a intéressé dans « Vendetta » ? « C’est d’inscrire cette histoire-là dans une sorte de socio-histoire de la Corse. Tout en rappelant le contexte national et politique dans lequel la Brise de mer a prospéré, avec un état jacobin obnubilé par la montée du nationalisme en Corse et qui n’a pas vu (ou n’a pas voulu voir) se développer cette mafia." Professionnel aguerri, Philippe Lagnier reconnaît avoir été surpris à certains moments par ce tournage en Corse : « On a eu énormément de refus d’interviews. En gros, il y avait une demande sur vingt qui aboutissait. Et parfois, en « off », on a eu des gens qui nous disaient une chose, et puis en « in », qui nous disaient toute autre chose. Ca m’a plus surpris que Violette qui connaît très bien l’île. Elle savait qu’il y a des choses qui ne se disent pas, face caméra. »

Les trois épisodes de "Vendetta" seront tous diffusés ce mercredi soir, à partir de 21h 10, sur France 3. Ils seront ensuite disponibles en replay sur France Télévisions.

Le résumé : C’est une tragédie de Shakespeare, mais dans un décor méditerranéen. Une incroyable saga, écrite avec le sang des pères et les larmes des fils. En Corse, on ne plaisante pas avec l’honneur de la Brise de mer. La Brise de mer ? C’est le gang criminel le plus puissant des 40 dernières années en France. La Brise, ce sont des exécutions sommaires, le casse du siècle à Genève, des complicités en Afrique. La Brise, ce sont des cercles de jeux, des bars, des discothèques. La Brise, c’est une histoire terriblement corse et tout à fait universelle.