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Communauté d'agglomération de Bastia : Le budget de la dispute, retoqué par les maires et adopté par chapitre


Nicole Mari le Mercredi 15 Avril 2015 à 22:42

Suspense clos pour le budget de la Communauté d'agglomération de Bastia (CAB) qui, après des semaines de polémique, d'incertitude et de rapports de force, a, finalement, été repris en main par les maires et adopté. Ces derniers ont imposé leur point de vue et remis les pendules communautaires à l’heure communale. Le président de la CAB, acculé, a tenté de résister jusqu’au bout, mais n’a pu empêcher le vote de sept amendements à une écrasante majorité de 33 voix sur 39. Des maires et des élus ont, de nouveau, demandé sa démission. François Tatti a annoncé qu’il irait au bout de son mandat.



Guy Armanet, Gilles Simeoni, Jean-Louis Milani, Jean-Joseph Massoni et (de dos), Michel Rossi en conciliabule.
Guy Armanet, Gilles Simeoni, Jean-Louis Milani, Jean-Joseph Massoni et (de dos), Michel Rossi en conciliabule.
La salle de délibération est pleine. Les bancs du public sont noirs de monde, pris d'assaut par les personnels CGT de la CAB qui craignent, disent-ils, pour leur avenir (cf par ailleurs). Leur demande de rencontrer les maires des cinq communes membres retarde de près d'une demi-heure le début de cette session budgétaire si attendue et si redoutée. Les délégués communautaires sont quasiment tous présents. Si l'issue du vote ne fait aucun doute, personne ne sait encore si le débat va tourner à l’épreuve de force ou à l’armistice… ce sera la paix armée ! La veille, face au ferme refus des maires des cinq communes-membres de voter sa proposition de budget, le président de la CAB, François Tatti, n'a pas vraiment tenté d'apaiser l'incendie qu'il a allumé et entretenu depuis quatre mois. La séance s'annonçait, donc, houleuse, elle fut âpre. Les maires ne se sont pas privés d'assener de dures vérités à leur président qui, visiblement, ne s'attendait pas à un tel réquisitoire !
 
Seul contre tous !
La première polémique de la session, liée à la non-convocation de Philippe Peretti, successeur d'Eric Calloni démissionnaire, est à l’aune de la tension existant au sein de la majorité bastiaise. Cette absence, qui pourrait remettre en cause la légalité du vote, est réglée après une suspension de séance et le recours aux services de la Préfecture. Commence, alors, un étrange débat budgétaire où un président en exercice décide de ferrailler, seul, ses deux délégués restant muets, contre un hémicycle coalisé contre lui. Pas une seule voix ne s’élève pour lui apporter son soutien !
Le vice-président, Michel Rossi, maire libéral de Ville-di-Pietrabugno, tente bien, dans un souci d’apaisement, de déminer le terrain, mais l’obstination de François Tatti et sa stratégie jusqu’au-boutiste finissent par lasser sa bonne volonté.
 
Des réductions inopportunes
« J’ai entendu le message des maires », assure, pourtant, le président de la CAB dans un long exposé liminaire de près de 40 minutes où il rappelle le lourd héritage de l'ancienne mandature, tente de justifier ses choix et de prévenir les critiques. Il balaye, d’un revers de main, le contre-budget proposé par les maires, le jugeant construit sur « des erreurs et des réductions des dépenses qui ne sont pas opportunes ». Préconisant une hausse de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) de 60%, il refuse de la limiter à 10%. « Ma proposition de budget m’a semblé être le meilleur compromis possible dans la situation actuelle. En l’absence de réponse des communes sur la remise en cause des éléments de solidarité, la seule façon de combler le déficit de 3,7 millions € est d’augmenter la fiscalité. Il n’y a pas d’autre solution. En tous cas, moi, je n’en ai pas ! ».
 
Une gestion opaque
La riposte ne se fait pas attendre. La première et la plus virulente charge est tirée par Jean-Jacques Padovani, maire de San Martino Di Lota et vice-président de la CAB : « Nous sommes en désaccord total avec certaines orientations fondamentales du budget que vous nous présentez. Nous allons voter un budget différent. Ce désaccord profond sur le budget n'est que l'image du désaccord profond qui existe sur la méthode ». Il dénonce « l'opacité de la gestion », le refus de communiquer des informations techniques, juridiques et financières, l'inflation de dépenses courantes et de personnels et des embauches inadéquates. « Nous n'avons ni visibilité, ni explications pour ces recrutements qui pèsent 400 000 € par an et pour des dépenses qui ont dérapé de 600 000  ». Il accuse, également, le président Tatti d'avoir rompu avec les principes de gouvernance, érigés en début de mandature, d'instrumentaliser les personnels de la CAB et d'agiter le faux épouvantail de baisse des salaires et de remises en cause des acquis sociaux. « Vous avez manqué de loyauté à notre égard ! Vous vous êtes obstiné dans un exercice solitaire du pouvoir en nous plaçant systématiquement devant le fait accompli. Nos demandes sont restées sans réponse. Vous avez perdu la confiance de la majorité. Il vous appartient aujourd'hui d'en tirer toutes les conséquences », conclut Jacky Padovani. François Tatti est blême.
 
Erreurs et trahison
A sa suite, Michel Rossi s’émeut de la façon dont la présidence fait porter la responsabilité de la hausse de la fiscalité sur les communes membres. « Je suis choqué ! Je ne l'accepte pas, d'autant que ma commune a beaucoup donné à la CAB et a si peu reçu. Je m'estime vexé, trahi ! C'est une erreur de votre part », lance-t-il à François Tatti, assis à ses côtés. Il explique que d'autres choix budgétaires sont possibles : « On aurait pu présenter un véritable plan de relance avec une réduction des dépenses et une rationalisation des moyens ».  Il plaide pour un changement de méthode de gouvernance et pour un retour aux principes de base. « Vous êtes capable de le faire ou, alors, il faut aller ailleurs ! Même si je vis mal que les communes soient dans le viseur, je souhaite que nous trouvons la voie de l'apaisement ». Il appelle à plus de raison et de concertation.
 
Pas sans les maires !
La 3ème salve, tirée par un autre vice-président, Guy Armanet, maire de Santa Maria Di Lota, est bien plus cassante : « Vous utilisez à merveille l'amalgame bastiais pour brouiller les pistes. Vous n'avez pas suivi le pacte de responsabilité. Vous avez oublié l'essentiel de votre mission et ce pourquoi nous vous avons mandaté ! Nous vous avons donné le droit d'exercer la présidence, non de nous l'imposer! ». Pour lui, la rationalisation et la diminution des dépenses sont une impérieuse nécessité. « Ces désaccords nous ont conduit à une situation de blocage et à un budget de rupture. Vous avez raison, notre esprit de responsabilité finira par l'emporter car vous ne pouvez pas diriger la CAB sans l'accord des cinq maires ! Je préfère à votre « Rêvons plus grand », notre « Uniti Vinceremu » ! ».
 
Des usagers en otage
L'opposition, qui se réduit à trois délégués, mange son pain blanc. Francis Riolacci ne se prive pas de rappeler à François Tatti qu'il a voté, sans discuter, les budgets de la CAB et de la ville pendant des années. Il rejette l’argument des allocations de reversement aux communes, « dont vous avez fait le cœur de votre stratégie financière depuis six mois et qui ne représentent que 13% du budget de la CAB contre 30% pour la moyenne nationale et 57% pour la CAPA ». Tout comme le choix d'une hausse de la fiscalité : « Vous avez voulu garantir la poursuite de votre présidence et votre place dans la majorité bastiaise. Vous prenez les usagers en otage en infligeant 70% de hausse de la TEOM. Je m'y oppose. Le budget, que vous nous proposez, est inacceptable ! ».
Jean Zuccarelli estime que ce débat envoie de nombreux messages, très préoccupants pour les Bastiais. Pour lui, « l’échec du budget » est le « prix de votre irresponsabilité à tous » et « d'un manque de maturité politique collective. C'est un jeu lamentable de rejeter sur vos anciens alliés cet échec patient qui est le votre et qui met en lumière votre gouvernance opaque ».
 
Des contraintes
Le maire de Bastia, Gilles Simeoni, n’appréciant pas les longues diatribes de l’opposition, lui rappelle qu'elle a perdu les élections et que sa gestion a été rejetée sans appel par les Bastiais. « Vos interventions sont systématiquement injurieuses. La violence de vos termes masquent mal l'indigence de vos propos et le constat triplement négatif de près d'un demi-siècle de pouvoir clientéliste et claniste, sans partage ! ». Pas plus qu’il n’apprécie les insinuations auprès des personnels : «  Il est hors de question de revenir sur les acquis sociaux des personnels, quelques soient les difficultés que nous rencontrons ! ». S’il agrée la montée en puissance de la CAB, celle-ci rétorque-t-il, ne peut se faire que dans la complémentarité avec les communes. « Nous avons plaidé à plusieurs reprises qu'on ne peut pas faire la CAB sans les communes, ni contre les communes ! ». Gilles Simeoni tacle les prévisions d’investissements qu’il juge peu « cohérentes » avec les contraintes de l'heure. Pour lui, la CAB doit se recentrer sur ses compétences : la remise aux normes des infrastructures sportives. « Ce plan qui coûte 1 million € prouve l'impéritie de cet outil sous l'ancienne mandature ».
 
Les écuries d’Augias
Autre compétence, le traitement des ordures ménagères (TEOM) : « c'est le quotidien des gens qui nous interpelle chaque jour, l'attente d'efficacité est forte. Or, depuis mars, on se rend compte que le service ne s'améliore pas et s'est dégradé. Il est impensable d’augmenter la pression pour un service non conforme aux attentes des Bastiais ».  Comme ses collègues, le maire de Bastia prône de réaliser des économies et de réduire les dépenses, notamment le transfert aux organismes, estimant que la rigueur doit être partagée par tous. Réfutant d'endosser la responsabilité de la hausse de la TEOM, il tacle « le pacte occulte, jamais validé par le suffrage universel, entre la majorité municipale et son double jumellaire : la CAB ! Qui d’entre nous veut une CAB forte pendant que nos communes meurent ? Personne ! ». Il annonce que la CAB ne paiera pas, à la fin de l’année, les 2 millions € qu’elle doit à la ville de Bastia parce que « nous devons nettoyer les écuries d’Augias que vous nous avez laissées ! ».
 
Sept amendements
La séance s’interrompt à midi, le temps à la majorité de déposer sept amendements pour retoquer chaque chapitre du budget initial, et de les discuter en commission. Trois amendements entérinent le principe d’économies et diminuent les dépenses de fonctionnement pour les ramener au niveau de 2014. Le premier table sur une baisse des frais généraux, une recherche d’offres sur les marchés publics plus avantageuses et le développement de la mutualisation des postes. François Tatti le rejette, soulignant que « ces réductions sont impossibles à mettre en œuvre » et, avec ses deux délégués, votent contre. L’opposition, forte de ses trois membres, ne participe pas aux votes. Un autre amendement sabre les frais de personnels liés aux six embauches, les doublons comme deux Directeurs des services (DGS) et les dysfonctionnements qui viennent alourdir la note. François Tatti voit rouge et accuse la majorité de vouloir licencier du personnel venu du continent. S’ensuit un dialogue de sourds avec Gilles Simeoni qui juge la polémique artificielle et mensongère.
 
Une large majorité
Les deux amendements sur la réduction des subventions aux organismes tiers et la baisse des investissements ne réjouissent toujours pas François Tatti. Il tente, sans succès, de tenir bon, envers et contre tous, et ne veut rien lâcher, surtout pas sur le dernier amendement concernant la TEOM. « Je ne peux pas souscrire à une décision aussi importante et aussi risquée ! ». Mais, imperturbable, la majorité vote comme un seul homme ! L’amendement est, comme tous les autres, adopté à une très large majorité par 33 voix sur 39. Le refus du président de voter quatre amendements fait bondir la majorité qui voyait, dans ce geste, « une occasion de sortir par le haut de cette situation de blocage ».
 
Demande de démission
Dans son explication de vote, Emmanuelle De Gentili lui pose la question-clé : « Comment avoir confiance dans la mise en œuvre de ce budget, s’il n’y a pas une volonté commune dans une vision partagée par l’ensemble des maires ? Il faut que vous preniez la mesure de ce qui se passe ? Nous sommes à un tournant. Il n’y a pas de marche arrière possible. Il faut trouver un moyen de fonctionner correctement ». Guy Armanet enfonce le clou : « L’assemblée s’est largement prononcée en faveur d’un budget qui n’est pas le vôtre ! Prenez vos responsabilités ! ». Jean-Louis Milani tranche net : « Vous avez préparé tout seul un budget. Vous avez reçu un cinglant désavœu. Vous ne pouvez plus rester à votre place ! Vous devez partir ! ».
 
De la patience !
Gilles Simeoni demande, également, à François Tatti de tirer les conséquences de tout ce qui se passe. L’opposition, décidant que toute cette querelle ne la concerne pas, ne prend pas part au vote, mais prend clairement position contre l’augmentation de la fiscalité.
Son éviction politique, François Tatti ne veut pas en entendre parler. Très tendu, il tient droit dans ses bottes et tente de reprendre la main en portant, encore une fois, le fer : « Les Bastiais jugent très sévèrement ce qui vient d’être fait ! J’ai été élu jusqu’en 2020. Ceux qui veulent ma place devront attendre et prendre leur mal en patience. Je ne m’opposerai pas à ce budget. Nous ne participerons pas au vote ». Le budget est adopté à 17 heures, près de huit heures après l’ouverture des débats !
 
N.M.