Comme tous les pouvoirs démocratiques face à une contestation qui ne peut pas être réprimée par la violence brutale, le gouvernement a tenté de décrédibiliser, donc de déstabiliser, les gilets jaunes à grand renfort de petites phrases assassines et d'éléments de langage dévalorisants. Mais rien n'y a fait et les sondages sont impitoyables : le mouvement reste soutenu par une majorité de Français qui s'y reconnaissent, même ceux qui se tiennent à l'écart et n'y participent pas.
C'est pourquoi, pressé par les événements, le Président de la République s'est livré à un exercice difficile : lâcher du lest tout en affirmant ne rien changer à son programme initial, celui, souligne-t-il sans cesse, pour lequel il a été élu. Les optimistes verront dans son allocution télévisée un mea culpa discret, les pessimistes un exercice de voltige habilement hypocrite destiné à couvrir la situation d'un nuage de fumée rassurant. Une chose est sûre : il a pris la mesure de la colère qui s'exprime à travers le territoire et a choisi ses mots avec soin pour dire combien il comprenait la contestation, celle-ci prenant parfois des formes qu'il réprouve, celle de la violence en particulier.
Mais Emmanuel Macron mesure le risque qu'il aurait encouru en cédant sur les initiatives écologiques qu'il a décrétées en matière de carburants ; il se souvient que la reculade sur les portiques anti-taxes en Bretagne après l'apparition des bonnets rouges avait été désastreuse pour François Hollande, comme un aveu de faiblesse. C'était en octobre 2013, mais cet exemple perdure encore parmi les initiatives à éviter de la part des responsables politiques.
Persistance de la crise
Le Président l'a affirmé haut et fort : s'il prend des décisions contraires à la demande populaire, c'est qu'il n'a pas le choix. La fin du monde est aussi importante que la fin du mois, selon sa formule, même si l'on n'y pense pas.
Mais les mots ne résolvent pas tout, et calment encore moins : il n'en demeure pas moins que la crise est quand même là, oppressante, crise de confiance comme crise de solutions et de perspectives. Face aux mécontents, aux laissés pour compte de la lutte contre le réchauffement climatique – et avec eux - Emmanuel Macron veut lancer « une grande concertation de terrain sur la transition écologique et sociale. » Et pas dans l'esprit de Clemenceau, dont on rappelle la formule : « Si l'on veut enterrer un problème, on crée une commission. » Non, car le Président a compris l’urgence de s'investir dans un échange constructif.
Pour ce faire, par rapport à ce qui s'est passé depuis quelques jours, il a un avantage : le conflit lancé par les gilets jaunes garde son autonomie. Jusqu'à présent, ni les partis d'opposition traditionnels ni les syndicats n'ont réussi à le récupérer, et ce n'est pas l'envie qui leur manque. Mais il a aussi un désavantage : il n'est pas coupé que de la base citoyenne, mais aussi des corps intermédiaires. Le récent congrès des maires a consacré une quasi rupture entre l'exécutif, accusé de mettre en œuvre une recentralisation rampante, et les pouvoirs locaux qui se plaignent à la fois du manque de moyens et du manque de liberté d'initiative. La superbe solitude jupitérienne de Président de la République aura duré moins d'un demi mandat. Il lui faut à présent descendre dans l'arène, avec le handicap d'une impopularité tenace et persistante.