Chaque année, alors que la saison n'est pas encore arrivée à son terme, on se lance dans des bilans de toute sorte sur le tourisme. Entre analyses instantanées - concernant la fréquentation, la dépense, les moyens d'accès à la Corse - et projections de ce qui est sur ce qui pourrait être, on est poussé dans une confusion de données, un trop-plein où l'on peine à discerner un fil conducteur.
Jusqu'à présent, les spécialistes s'interrogeaient avec inquiétude sur le fait que le tourisme constitue la seule richesse économique importante de l'île, une richesse rendue aléatoire par une concurrence extérieure impitoyable. Le tourisme rapporte de l'argent et crée de l'emploi – un emploi pour 85 touristes disent les statisticiens. Aujourd'hui, le ton évolue, avec une question préoccupante : jusqu'à quel niveau le tourisme sera-t-il supportable, ou jusqu'à quel niveau de saturations ses inconvénients dépasseront-ils ses aspects positifs. ?
Pourtant, en Corse, on ne connaît pas, ou pas encore, le vrai tourisme de masse, qui pousse des endroits sur-fréquentés comme Barcelone ou Amsterdam à juguler la pression par des mesures radicales, avec d'autant plus de fermeté qu'une certaine hostilité anti-touriste croît au sein de la population. Ce sentiment, on le constate tous les jours, commence à poindre chez les Corses, avivé par la considération que le tourisme fait s'emballer les prix, en particulier de l'immobilier, accroît le parc locatif clandestin et permet à ceux qui en ont les moyens d'investir dans des résidences secondaires de rapport.
Une qualité de vie
De mandature en mandature, les autorités territoriales chargées du secteur se trouvent confrontées à la même problématique, celles que doivent connaître les chefs d'orchestre : comment faire coexister, au profit de la région et de ses habitants, toutes les formes de tourisme, le tourisme littoral, fortement saisonnalisé, le tourisme d'affaires, le tourisme culturel, le tourisme sportif... Comme un chef d'orchestre, le gouvernement de l'île n'est pas maître de la partition. Au fil des années, des décisions stratégiques ont été prises en fonction de la spécificité locale, dont certaines étaient des mesures de bon sens. Elles ont été rejetée par l’État qui ne voulait pas d'exception aux lois en vigueur.
Il reste des marges d'action, mais limitées. La Corse n'est pas seulement un décor, mais aussi un lieu où l'on sent une qualité de vie. Jusqu'à présent, il en a été ainsi. On appelle les sites comme Venise ou Florence des « évidences culturelles ». La Corse se doit d'être une « évidence environnementale », qui met en avant son authenticité. Le tourisme qui se dégage de là est forcément minoritaire. En effet, quelles que soient les campagnes de promotion et leur impact, quelle que soit la consécration officielle des médias, la vraie labellisation est aujourd'hui celle du plus grand nombre, des réseaux sociaux, des sites où les consommateurs de tourisme relatent leurs expériences. On parle de lieux « instagrammables », où des photos vues des millions de fois ont un effet incitatif. La Corse, c'est évident, ne joue pas dans cette cour.
Encore que... Chaque région mise sur ce qu'elle a de mieux à offrir. Le bord de mer reste la valeur de base de la fréquentation, mais de plus en plus, loin du « all inclusive », on évoque le tourisme vert, concept vertueux qui tarde à se mettre en place, peut-être parce qu'il est trop vertueux. Il concerne des vacanciers pour qui la notion de loisirs doit correspondre à certaines valeurs, avec en tête « le respect de l'environnement, la protection de la nature en favorisant les intérêts économiques et culturels des populations locales. » Mot pour mot, cette définition se trouve dans les conclusions du sommet de Rio de 1992. Comme le temps passe...
Cela dit, avant d'exiger des touristes qu'ils respectent l'environnement, on devrait d’abord se le demander à soi-même. Mais cela est une autre histoire.