Marcel Rufo
- Avez-vous constaté une augmentation du mal-être chez les adolescents ?
- Indiscutablement. Cela se manifeste surtout par des idées suicidaires. Je ne dis pas tentative de suicide, mais idées suicidaires, dans le sens où ils se disent « je n’ai pas d’avenir » ou « mon avenir est sombre ». Ce phénomène est d’abord lié aux conséquences du confinement de mars 2020 et de l’arrêt de la scolarité. Cela a été très important chez les adolescents à cause de la perte du groupe, de la sociabilité, de la bande. Et puis il y a aussi eu la pandémie, la guerre en Ukraine ou encore l’écologie. Les nuages sombres s’accumulent sur l’avenir. Être adolescent, c’est vivre au présent, essayer de rompre avec le passé de l’enfance pour devenir grand, et surtout avoir aussi la crainte de l’avenir. Donc l’avenir, qui est obéré par tout ce que l’on vient de dire, les inquiète. Cette somme d’inquiétudes entraine chez eux une crainte. Je crois aussi qu’un état antérieur de sensibilité a pu s’exprimer du fait des différents évènements dramatiques. La guerre sur notre continent, c’est tout à fait nouveau et aucune génération d’adolescents n’a vécu cela depuis la seconde guerre mondiale.
- Comment la pédopsychiatrie répond-elle à ce mal-être ?
- La pédopsychiatrie est en limite de charge. Tous les pédopsychiatres se rendent compte que leurs demandes dépassent largement leurs possibilités. Par exemple, je vois que mes consultations mensuelles à la maison des adolescents de Calvi sont pleines sur deux mois. Il faudrait, en accord avec l’ARS, que l’on puisse développer la téléconsultation. Pour la Corse, la téléconsultation c’est assez génial car cela permet à des personnes situées loin des centres de pouvoir consulter sans faire de la route. Et puis, la téléconsultation est très très intéressante pour les adolescents. C’est un système de fonctionnement auquel ils adhèrent tout à fait parce que leur mode de communication c’est l’image. Il faut tirer bénéfice de cette saleté de pandémie où les téléconsultations ont démontré leur intérêt et leur pertinence au niveau de cette population. J’espère que l’on pourra développer ce système qui sera finalement peut-être aussi bien que les consultations en présentiel. Il y a des résistances de la part de certains de mes collègues qui pensent que rien ne remplace le présentiel. Je ne suis pas sûr que cela soit vrai. Intervenir précocement, c’est peut-être mieux que d’attendre une consultation en présentiel 6 mois plus tard. C’est assez banal de dire cela, mais quand quelqu’un est mal, il vaut mieux le voir plus vite. L’un de mes maitres en psychiatrie appelait régulièrement ses anciens patients pour savoir comment ils allaient. Je trouvais cela génial, plutôt que d’attendre la demande qui est le vieux concept classique de la psychiatrie.
LIRE AUSSI En Corse, les maisons des adolescents, précieux lieux d’écoute face au mal-être
- Vous le disiez, vous comme vos collègues êtes en limite de charge aujourd’hui. Une situation sans précédent ?
- Oui, c’est une situation sans précédent du fait aussi du vieillissement de la discipline. La moyenne d’âge des pédopsychiatres, c’est 55 ans. Les praticiens sont souvent obligés de continuer leur activité parce qu’il y a une demande et qu’en même temps, ils considèrent que c’est leur devoir. Pour ma part, je n’imagine pas arrêter mes consultations à la maison des adolescents de Calvi, alors qu’elles rendent service, qu’elles sont gratuites. Au contraire, je demande l’aide d’un second pédopsychiatre. Je trouve que cela serait intéressant de renforcer les moyens en personnes et en matériel pour la téléconsultation. La mission d’aide et de soutien de l’ARS est indispensable à ce niveau.
- Au-delà de ces idées suicidaires que vous évoquiez précédemment, ne voit-on pas aussi de plus en plus d’adolescents qui, du fait de leur situation psychologique, peinent à pouvoir aller à l’école ?
- Oui, il y a un refus scolaire anxieux très important. C’est presque une épidémie. Là-aussi, on voit l’intérêt d’un système de téléconsultation vidéo. Lorsque l’adolescent va à l’infirmerie parce qu’il a mal au ventre, à la tête ou qu’il a eu un vertige, tout de suite on pourrait avoir un contact en vidéo avec un pédopsychiatre par le biais de l’infirmière scolaire, in situ sur le collège ou le lycée, et donc dépsychiatrisé quelque part la relation avec le praticien. L’infirmière est la personne idoine, c’est elle qui reçoit le plus de demandes des adolescents. À travers elle, on va pouvoir faire de la prévention, une sorte de vaccin psychologique pour éviter que la situation ne s’aggrave. Si on envoie en consultation l’adolescent qui a mal au ventre, qui se plaint d’abord d’un fait somatique, il ne va pas vouloir entendre que c’est psychologique. En faisant une vidéo consultation, l’infirmière va finalement permettre une consultation où l’on ne stigmatise pas l’adolescent à venir en pédopsychiatrie, et en plus cela va plus vite.
- Est-ce que ces adolescents arrivent à exprimer leur mal-être et à mettre des mots sur leurs maux ?
- Il faut savoir que lors d’une consultation avec un adolescent, le pédopsychiatre est aussi consulté. C’est-à-dire que l’adolescent surveille d’abord ce que le pédopsychiatre a comme ressources. C’est une confrontation plus qu’une consultation. L’adolescent au début se met dans certaines postures d’hostilité, face auxquelles il ne faut, évidemment, pas répondre de façon hostile. Il faut comprendre que si un adulte déprimé s’effondre, un adolescent manifeste pour sa part la dépression par l’hostilité. C’est quelque chose qu’il faut savoir pour pouvoir les aborder. C’est tout le plaisir et la difficulté de cette relation entre adolescent et thérapeute.
- Derrière tous ces phénomènes, est-ce que les réseaux sociaux ne contribuent pas aussi à jouer un rôle de catalyseur en diffusant en continu des informations, parfois fausses, en poussant les adolescents à se comparer en permanence aux autres et en les exposant au cyberharcèlement ?
- Les réseaux sociaux existent, et on ne peut pas les supprimer, d’autant plus qu’ils sont le mode favori de communication des adolescents. Mais il est vrai que le cyberharcèlement par exemple est presque la cause majeure des phobies scolaires. Quelqu’un qui est cyberharcelé est harcelé en permanence. C’est beaucoup plus dommageable qu’un harcèlement physique. Sur la toile, c’est répétitif et les adolescents fragiles sont souvent ciblés par des agresseurs qui sont eux-mêmes aussi dans une situation de fragilité. C’est tout l’intérêt des techniques de travail avec les collèges et les lycées. La parole, c’est vraiment le médicament générique pour éviter tout cela.
- On a vu il y a quelques jours ce drame à Saint-Jean-de-Luz où un adolescent a poignardé mortellement sa professeure. Est-ce que c’est quelque chose qui risque de se reproduire si on ne prend pas plus en compte ce mal-être adolescent ?
- Cet adolescent est connu comme malade. On voit que l’absence de lits n’a pas permis son hospitalisation. Des soins pour lui auraient évité cet horrible passage à l’acte sur quelqu’un qui n’y était pour rien. La maladie mentale nécessite des soins, une hospitalisation et des médicaments, mais là encore je pense que l’on n’a pas des moyens suffisants pour traiter les malades présentant ce type de troubles. Par exemple, il n’y a pas de lieu d’hospitalisation en Corse pour les adolescents, en dehors de Castelluccio à Ajaccio ou Sant’Ornello à Bastia. Les unités d’hospitalisation pour adolescents seraient vraiment très utiles.
- Indiscutablement. Cela se manifeste surtout par des idées suicidaires. Je ne dis pas tentative de suicide, mais idées suicidaires, dans le sens où ils se disent « je n’ai pas d’avenir » ou « mon avenir est sombre ». Ce phénomène est d’abord lié aux conséquences du confinement de mars 2020 et de l’arrêt de la scolarité. Cela a été très important chez les adolescents à cause de la perte du groupe, de la sociabilité, de la bande. Et puis il y a aussi eu la pandémie, la guerre en Ukraine ou encore l’écologie. Les nuages sombres s’accumulent sur l’avenir. Être adolescent, c’est vivre au présent, essayer de rompre avec le passé de l’enfance pour devenir grand, et surtout avoir aussi la crainte de l’avenir. Donc l’avenir, qui est obéré par tout ce que l’on vient de dire, les inquiète. Cette somme d’inquiétudes entraine chez eux une crainte. Je crois aussi qu’un état antérieur de sensibilité a pu s’exprimer du fait des différents évènements dramatiques. La guerre sur notre continent, c’est tout à fait nouveau et aucune génération d’adolescents n’a vécu cela depuis la seconde guerre mondiale.
- Comment la pédopsychiatrie répond-elle à ce mal-être ?
- La pédopsychiatrie est en limite de charge. Tous les pédopsychiatres se rendent compte que leurs demandes dépassent largement leurs possibilités. Par exemple, je vois que mes consultations mensuelles à la maison des adolescents de Calvi sont pleines sur deux mois. Il faudrait, en accord avec l’ARS, que l’on puisse développer la téléconsultation. Pour la Corse, la téléconsultation c’est assez génial car cela permet à des personnes situées loin des centres de pouvoir consulter sans faire de la route. Et puis, la téléconsultation est très très intéressante pour les adolescents. C’est un système de fonctionnement auquel ils adhèrent tout à fait parce que leur mode de communication c’est l’image. Il faut tirer bénéfice de cette saleté de pandémie où les téléconsultations ont démontré leur intérêt et leur pertinence au niveau de cette population. J’espère que l’on pourra développer ce système qui sera finalement peut-être aussi bien que les consultations en présentiel. Il y a des résistances de la part de certains de mes collègues qui pensent que rien ne remplace le présentiel. Je ne suis pas sûr que cela soit vrai. Intervenir précocement, c’est peut-être mieux que d’attendre une consultation en présentiel 6 mois plus tard. C’est assez banal de dire cela, mais quand quelqu’un est mal, il vaut mieux le voir plus vite. L’un de mes maitres en psychiatrie appelait régulièrement ses anciens patients pour savoir comment ils allaient. Je trouvais cela génial, plutôt que d’attendre la demande qui est le vieux concept classique de la psychiatrie.
LIRE AUSSI En Corse, les maisons des adolescents, précieux lieux d’écoute face au mal-être
- Vous le disiez, vous comme vos collègues êtes en limite de charge aujourd’hui. Une situation sans précédent ?
- Oui, c’est une situation sans précédent du fait aussi du vieillissement de la discipline. La moyenne d’âge des pédopsychiatres, c’est 55 ans. Les praticiens sont souvent obligés de continuer leur activité parce qu’il y a une demande et qu’en même temps, ils considèrent que c’est leur devoir. Pour ma part, je n’imagine pas arrêter mes consultations à la maison des adolescents de Calvi, alors qu’elles rendent service, qu’elles sont gratuites. Au contraire, je demande l’aide d’un second pédopsychiatre. Je trouve que cela serait intéressant de renforcer les moyens en personnes et en matériel pour la téléconsultation. La mission d’aide et de soutien de l’ARS est indispensable à ce niveau.
- Au-delà de ces idées suicidaires que vous évoquiez précédemment, ne voit-on pas aussi de plus en plus d’adolescents qui, du fait de leur situation psychologique, peinent à pouvoir aller à l’école ?
- Oui, il y a un refus scolaire anxieux très important. C’est presque une épidémie. Là-aussi, on voit l’intérêt d’un système de téléconsultation vidéo. Lorsque l’adolescent va à l’infirmerie parce qu’il a mal au ventre, à la tête ou qu’il a eu un vertige, tout de suite on pourrait avoir un contact en vidéo avec un pédopsychiatre par le biais de l’infirmière scolaire, in situ sur le collège ou le lycée, et donc dépsychiatrisé quelque part la relation avec le praticien. L’infirmière est la personne idoine, c’est elle qui reçoit le plus de demandes des adolescents. À travers elle, on va pouvoir faire de la prévention, une sorte de vaccin psychologique pour éviter que la situation ne s’aggrave. Si on envoie en consultation l’adolescent qui a mal au ventre, qui se plaint d’abord d’un fait somatique, il ne va pas vouloir entendre que c’est psychologique. En faisant une vidéo consultation, l’infirmière va finalement permettre une consultation où l’on ne stigmatise pas l’adolescent à venir en pédopsychiatrie, et en plus cela va plus vite.
- Est-ce que ces adolescents arrivent à exprimer leur mal-être et à mettre des mots sur leurs maux ?
- Il faut savoir que lors d’une consultation avec un adolescent, le pédopsychiatre est aussi consulté. C’est-à-dire que l’adolescent surveille d’abord ce que le pédopsychiatre a comme ressources. C’est une confrontation plus qu’une consultation. L’adolescent au début se met dans certaines postures d’hostilité, face auxquelles il ne faut, évidemment, pas répondre de façon hostile. Il faut comprendre que si un adulte déprimé s’effondre, un adolescent manifeste pour sa part la dépression par l’hostilité. C’est quelque chose qu’il faut savoir pour pouvoir les aborder. C’est tout le plaisir et la difficulté de cette relation entre adolescent et thérapeute.
- Derrière tous ces phénomènes, est-ce que les réseaux sociaux ne contribuent pas aussi à jouer un rôle de catalyseur en diffusant en continu des informations, parfois fausses, en poussant les adolescents à se comparer en permanence aux autres et en les exposant au cyberharcèlement ?
- Les réseaux sociaux existent, et on ne peut pas les supprimer, d’autant plus qu’ils sont le mode favori de communication des adolescents. Mais il est vrai que le cyberharcèlement par exemple est presque la cause majeure des phobies scolaires. Quelqu’un qui est cyberharcelé est harcelé en permanence. C’est beaucoup plus dommageable qu’un harcèlement physique. Sur la toile, c’est répétitif et les adolescents fragiles sont souvent ciblés par des agresseurs qui sont eux-mêmes aussi dans une situation de fragilité. C’est tout l’intérêt des techniques de travail avec les collèges et les lycées. La parole, c’est vraiment le médicament générique pour éviter tout cela.
- On a vu il y a quelques jours ce drame à Saint-Jean-de-Luz où un adolescent a poignardé mortellement sa professeure. Est-ce que c’est quelque chose qui risque de se reproduire si on ne prend pas plus en compte ce mal-être adolescent ?
- Cet adolescent est connu comme malade. On voit que l’absence de lits n’a pas permis son hospitalisation. Des soins pour lui auraient évité cet horrible passage à l’acte sur quelqu’un qui n’y était pour rien. La maladie mentale nécessite des soins, une hospitalisation et des médicaments, mais là encore je pense que l’on n’a pas des moyens suffisants pour traiter les malades présentant ce type de troubles. Par exemple, il n’y a pas de lieu d’hospitalisation en Corse pour les adolescents, en dehors de Castelluccio à Ajaccio ou Sant’Ornello à Bastia. Les unités d’hospitalisation pour adolescents seraient vraiment très utiles.