« Je vais retourner en haut, comme les Indiens », avait, simplement, répondu Edmond Simeoni en parlant de sa mort. Là-haut, c'est son village natal de Lozzi où, pour l'accompagner à sa dernière demeure, s'y pressait, lundi matin, sous un froid glacial et une pluie battante, une foule dense, sous les parapluies et les drapeaux, les pieds dans la boue. Des centaines de personnes souvent arrivées dès l'aube, serrées comme pour mieux se soutenir dans l'épreuve. Des hommes et des femmes de tous âges, les compagnons de lutte de la première heure, des cheveux blancs, souvent trop émus pour parler, qui prouvent, par leur fidélité inébranlable, combien le combat d'Edmond s'est inscrit dans la durée, des jeunes, enfants d'Aleria, qui savent ce qu'ils lui doivent et mesurent les acquis actuels à l'aune de ses prises de position... La dépouille de la figure emblématique du nationalisme corse avait regagné sa terre ancestrale, la veille, et avait été placée, recouverte d'una bandera, dans l'allée centrale de l'église San Ghjacumu, au pied de l'autel, et veillée comme on le fait au Niolu.
I canti di a terra
C'est l'évêque de Corse, Mgr Olivier de Germay, assisté des pères Olivier Culioli, Christophe Boccheciampe, Jean-Simon Carlotti, Antoine Peretti et Roger Poggi, ainsi que des diacres François-Aimé Arrighi et Pierre-Jean Franceschi, qui a célébré la messe, initialement prévue entièrement in lingua nustrale, et, rendue, de fait, bilingue. Un dernier clin d'oeil à un homme qui, toute sa vie, a tendu la main vers l'autre, quelque soit cet autre. Comme Edmond Simeoni l'avait demandé, en ouverture de la messe, A Filetta a interprété deux chants qui illustrent symboliquement son parcours : A paghjella di l'impiccati, le chant des pendus du Niolu de 1774, révoltés et victimes d'une répression impitoyable, et A Muntagnera, la voix des transhumances, du Filosorma, de ceux qui connaissent, sous les hautes cimes, la liberté des grands espaces. Deux chants interprétés dans un silence absolu, l'émotion affleurant sur les visages de la famille a gagné l'assemblée. La cérémonie est rythmée par les chants des acteurs culturels marquants du Riacquistu, de Canta des origines à Ghuvan-Santu Guelfucci, Alain Bernardini d'I Muvrini, Christian Andreani, prieur d'a cunfraternità di San Martinu in Patrimoniu....
Une homélie de l'espérance
Mgr de Germay le déclare : il a beaucoup échangé avec Edmond Simeoni, dont « la persévérance et l'abnégation forçaient le respect ». Il a vu en lui « un époux et un père, un médecin, un humaniste, un homme politique, un passionné, qui aimait la Corse et les Corses ». Il évoque « son combat pour la justice, ou plutôt contre l'injustice, son choix de la non-violence comme seule voie possible ». Une première homélie qui trouve son point d'orgue dans la prophétie de Simeon - Simeoni in lingua nustrale - extraite de l’évangile de Saint-Luc, lue par le diacre Pierre-Jean Franceschi. Simeon, averti par l'Esprit Saint qu'il ne mourrait pas avant d'avoir vu Jésus, le reconnaît lors de la présentation de l'enfant au Temple. Il dit, alors, « Maintenant, je peux mourir » ... Dans une seconde et longue homélie, le diacre développe, in lingua nustrale, l'homophonie : « Edmond Simeoni rejoint tous ses chers disparus sur un message d'espérance, celui d'un monde nouveau désormais accessible – par l'amour de sa terre, l'amour de sa famille, l'amour de l'humanité. A ses fils, il a transmis la vie, mais plus encore des valeurs de rectitude, comme lui-même se tient droit devant le Seigneur. Il a bien œuvré ici-bas, il peut partir avec la conscience du travail accompli ».
« A lotta, sempre a lotta »
Les chants corses retentissent, de nouveau, pour la communion. La messe se clôt sur la parole des deux fils du défunt : Marc et Gilles. Deux paroles fortes, le regard embué, la voix brisée par l'émotion, une émotion communicative. Dans le dernier salut à leur père, ils n'oublient pas d'avoir des mots tendres pour leur mère, Lucie, pour leurs oncles, Roland, qu'Edmond part rejoindre pour l'éternité, pour Max, assis, concentré à leurs côtés au pied de l'autel. Marc dit sa tristesse, quelque peu adoucie par la ferveur populaire. Il retrace l'enfance de son père à Lozzi, son espièglerie, sa vivacité et son âme forgée par un environnement magnifique, la passion de la nature poussant à la passion des hommes. En 1992, des gens demandaient à Edmond le sens de son engagement : « A lotta, a lotta, sempre a lotta », répondait-il. Pour Marc « ce ne serait pas lui rendre justice de le résumer à cela. » Il décrit le père avant le militant, et l'humanisme d'« un médecin qui n'avait rien oublié de ses serments et respectait la vie humaine par dessus tout ». C'est pourquoi « on ne pouvait pas réduire son combat à un nombrilisme passéiste. » Pour preuve, « il croyait charnellement à la communauté de destin, il savait que la Corse fabriquerait toujours des Corses ». C'est en larmes qu'il conclut : « Notre père nous a expliqué que nous existions, que nous étions un peuple ». Les larmes de Marc gagnent son frère Gilles et l'assistance qui ne peut retenir son émotion.
« Un paese dà fà »
Gilles Simeoni monte, à son tour, au pupitre, et salue les connus ou inconnus, les « Corses de naissance ou de choix », les jeunes et vieux qui se retrouvent unis dans le même hommage. Son père sera porté à l'épaule vers l'ultime étape, mais son âme, à travers les taillis et les torrents de son enfance, « chevauche déjà sur ce vent que rien n'arrête, comme la liberté. » Lui aussi ne peut cacher sa profonde tristesse, mais elle se teinte d'une sorte d'apaisement mêlé de fierté. Car son père a initié « la naissance d'une nation presque éteinte, et cela avec la vie qu'il a choisie, voulue ». Ses derniers mots ont été pour ses compagnons de lutte. « Nos idées ont déjà gagné et notre pays se fera », a-t-il déclaré. Gilles Simeoni prend l'engagement de parfaire ce vœu : « Nous avons pu avoir des adversaires, mais nous n'avons que des amis, avec le même amour de cette terre ». Au moment « du dépouillement de la mort, de l'évidence et de l'essentiel », la voie morale tracée par son père se fait plus impérieuse. « Entre la nécessité absolue de la démocratie et le refus du reniement, le chemin qui a prévalu et qui prévaut, c'est celui de l'éthique et de l'amour ». Sur ses mots d'adieux en forme de promesse s'est élevé un vibrant Dio vi salve Regina immédiatement entonné par toute l'assistance. Avant que ne retentisse U Culombu repris dans le même choeur vivrant, Un culombu qui, une fois encore, « chiama di u so ribombu a santa libertà », cette « inéluctable liberté » dont parlait Edmond Simeoni et qu'il a incarnée et défendue toute sa vie.